Pressentant la fin prochaine du conflit mondial, Leyvraz jette un regard sur l'avenir; celui qu'il porte sur cette Allemagne en marche vers son écroulement est le suivant : le nouvel ordre européen qui sortira de la guerre ne pourra se faire sans cette nation qui, d'abord, devra reprendre conscience de sa vocation chrétienne. Car, comme l'a déclaré F.W. Foerster (exilé de son pays à cause de ses positions politiques) : ‘"Le peuple allemand ne pourra se réconcilier avec l'Europe qu'après s'être réconcilié avec la vérité2000."’
De plus, Leyvraz s'appuie sur une phrase2001 de Mgr Saliège qui a déclaré : ‘"Le temps de porter témoignage arrive, celui aussi de l'engagement",’ pour inviter ses lecteurs à ne pas rester en retrait : ‘"Est-ce vrai seulement pour les catholiques de France ? Pensons-nous échapper à l'épreuve décisive qui attend la chrétienté ? Des voix claironnantes nous annoncent un nouvel âge d'or de la liberté, de l'égalité, de la fraternité. Nous savons, quant à nous, que sans le Christ tous ces espoirs s'effondreront dans une nouvelle et plus terrible barbarie. Nous savons aussi que le Christ ne fait rien que par notre entremise. Nous sommes ses instruments, dociles ou rétifs, vibrants ou atones. Des accents nouveaux s'élèvent dans le monde chrétien. Sachons nous mettre au diapason2002 !"’ Quelques jours plus tard, il s'exprime, avec une certaine envie, face à cette France appelée à tout reconstruire : ‘"Que sera cette IVme République dont l'âme s'est trempée au feu de la résistance ? - Une chose est certaine : c'est qu'elle est devant un monde à refaire2003"’. Alors qu'en Suisse, on s'efforce de faire passer des idées dans des réformes partielles, les catholiques français, eux, sont tenus d'un seul coup à ‘"apporter toute leur mise, produire tout leur plan, mobiliser toutes leurs énergies dans un combat qui décidera de leur sort pour des siècles peut-être"’. Pour étayer son analyse, Leyvraz cite un article de La Liberté, quotidien catholique lyonnais dont les propos ne peuvent que le réjouir : ‘"(...) 40-44 est une tranche de vie qui, bon gré mal gré, nous appartient et qui était préparée par une République décadente. Pour ne plus revoir pareille honte, il faut être résolument pour un monde nouveau, en rupture avec le capitalisme, avec l'argent, avec les trusts, avec les vieux partis, avec une conception étriquée de la propriété privée dont le pape dans son dernier message - tout en maintenant le principe - nous invite à réviser les modalités. Au lieu de vouloir à tout prix être révolutionnaires, en enlevant au marxisme son venin matérialiste, il faut aller au delà d'une révolution dont le parti communiste ne possède pas l'exclusivité"’. Commentaire de Leyvraz : ‘"Ce langage peut paraître dur; mais qu'est-ce d'autre, en son fond, que l'écho direct de la forte condamnation portée par l'Eglise contre la ploutocratie moderne - en particulier par Pie XI dans Quadragesimo Anno ?"’ Le rédacteur médite alors sur un constat qui le touche, parce qu'il s'est souvent battu pour cela et qu'il se sent tout à coup frère de ces catholiques qui s'engagent dans le nouveau gouvernement : ‘"(...) voici que la vérité prend corps au creuset d'une catastrophe inouïe ... Des hommes entreprennent de faire ce que tant d'autres ont vainement proclamé depuis plus de 50 ans. Pas n'est besoin de leur dire qu'ils courent une grande, une périlleuse aventure; ils le savent mieux que nous. Au pied du mur, ils n'ont pas lâché leurs outils. Ils n'ont pas commis la faute capitale, face au communisme, de présenter un catholicisme timoré, minimisé, un catholicisme d'onguents et d'emplâtres. Avec une audace, avec une générosité bien françaises, ils ont joué franc jeu, ils sont allés à fond. Et l'on peut être sûrs que la force et la plénitude de leur témoignage remettront d'aplomb bien des hommes qui se laissaient gagner par le prestige du communisme"’. Après avoir admis, une nouvelle fois, que la Suisse n'était pas dans une situation identique, Leyvraz s'interroge : N'avons-nous ‘"rien à tirer de leurs combats pour notre gouverne ? - loin de là ! Nous traînons la patte. Nos énergies spirituelles, civiques, sociales, sont par trop détendues, et bien souvent nous prenons pour de la sagesse ce qui n'est que de la paresse ou de la couardise"’. Dès lors, même si la France n'a certes pas encore dit son dernier mot, ‘"nous avons confiance et espoir en elle, et non seulement pour son propre redressement, mais pour le rôle qu'elle jouera demain en Europe et dans le monde2004".’
F.W. FOERSTER, cité par René Leyvraz in "F.W. Foerster ou le chrétien et la politique". Courrier de Genève, 6 novembre 1944.
Parue dans La Croix du 17 septembre 1944.
"Accents nouveaux". Courrier de Genève, 2 octobre 1944.
"Espoir en la France". Courrier de Genève, 8 octobre 1944.
"Espoir en la France", 8 octobre 1944, op. cit.