1. RÉVOLUTION AU "COURRIER DE GENÈVE"

En juin 1945, Bersier - toujours administrateur du Courrier de Genève - établit un projet de réorganisation du quotidien catholique, pour des raisons salariales, publicitaires et de concurrence provoquée par l'irruption de la radio et par la presse quotidienne genevoise; cette réorganisation est également rendue obligatoire suite à l'adhésion du journal à la Convention professionnelle avec la Société suisse des maîtres imprimeurs et le Syndicat suisse des typographes; en effet, l'accord signé contraint le Courrier à démissionner des syndicats chrétiens et corporatifs. Dans son projet, Bersier remet en question le fait que l'actuel éditeur du journal (tâche jusqu'ici associée à celle de rédacteur en chef) soit un prêtre; ce d'autant plus que Chamonin cumule, outre ces deux charges, encore celle de directeur. Bersier demande : ‘"Convient-il de choisir un prêtre comme éditeur responsable d'un journal qui, à l'avenir plus encore que par le passé, devra participer à des campagnes électorales et autres qui seront, à n'en pas douter, d'une extrême violence ? Journal religieux, le Courrier est également un organe politique, ne l'oublions pas2007."’ L'administrateur conclut que l'autorité ecclésiastique aurait intérêt à se retrancher derrière un éditeur laïc, et propose la solution suivante : L'abbé Chamonin resterait directeur; la charge de rédacteur en chef serait confiée à Pierre-François Thomas dont il étale toutes les compétences, peut-être pour répliquer indirectement à la liste des intellectuels qui avait été dressée par Albert Béguin : ‘"Avocat, docteur en droit de l'Université de Genève, bachelier en lettres et philosophie de l'Université de Lyon, (....) spécialiste des langues aussi bien anciennes (grec, latin, slave d'Eglise) que modernes (allemand, italien, anglais, russe, espagnol, portugais, catalan et roumain). Les langues orientales elles-mêmes n'ont rien d'étranger pour lui (bulgare, ukrainien, grec moderne, chinois, arabe, etc.) Professeur d'espagnol et de portugais aux cours du soir, il prépare un travail de privat-docent pour l'Université de Genève sur la notion de loi en philosophie comparée2008"’. Puis Bersier fait remarquer qu'actuellement attaché au Service des études financières de la Société de Banque Suisse, Thomas pourra également remplacer Schubiger à la rubrique de politique étrangère.

Cette dernière proposition se réalise : Thomas est engagé, non comme rédacteur en chef, mais pour commenter en partie la politique extérieure; dès lors, Schubiger se sent évincé : il perd la moitié de la rédaction de ses articles. Cet excellent journaliste doit désormais s'occuper de la "rubrique des chiens écrasés", puisqu'il est nommé responsable des dépêches et des informations paraissant sous le titre "A travers la Cité". Cette éviction n'est pas innocente et elle souligne le sérieux malaise qui règne au sein d'une rédaction divisée; en effet, Déléaval et d'autres rédacteurs du journal, séduits par un certain "ordre nouveau" et pleins d'admiration pour l'Allemagne, se plaisent à échanger fréquemment devant Schubiger - qui ne partage pas leurs options politiques - des sarcasmes contre les Alliés.

Notes
2007.

Gaston BERSIER. "Projet de réorganisation du Courrier de Genève", juin 1945. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote D 40. p. 9.

2008.

Ibid., p. 10.