Si l'Eglise veut répondre aux quêtes des hommes de ce temps, elle aussi doit s'ouvrir à la nouveauté et oser innover. Ainsi, devant ‘"la désaffection de plus en plus grande des paroisses urbaines, face au dépaysement des ruraux"’ qui ont dû quitter une communauté paroissiale soudée pour s'exiler en ville, Leyvraz insiste pour que la paroisse soit revigorée et qu'elle redevienne une vraie communauté. En affirmant qu'il ne s'agit pas de "restaurer" des formes ou des cadres vermoulus2238", l'éditorialiste montre qu'il est ouvert à un certain changement. Le terme de "restauration" qui lui était si cher fait place au mot "renouveau", qui apparaît maintenant beaucoup sous sa plume, et qu'il oppose souvent au Néant. Tout en maintenant le lien qu'il établit toujours entre pratique religieuse et engagement social, Leyvraz fait un pas supplémentaire dans son analyse habituelle, en y incluant (comme pour d'autres domaines) l'aspect communautaire : Si le ‘"communisme est parmi nous le signe d'un devoir non accompli, si l'Eglise a perdu la classe ouvrière, c'est pour une large part du fait que les chrétiens eux-mêmes n'ont pas su répondre à temps au profond besoin de communauté qui depuis plus d'un siècle travaille l'humanité ravagée par un individualisme sans frein, par un matérialisme sans scrupule2239".’
La raréfaction des candidats au sacerdoce et l'isolement du prolétariat face à l'Eglise permet à Leyvraz de relever que Rome invite toujours plus les laïcs à s'associer ‘"à l'apostolat hiérarchique. (...) Ce n'est point par hasard, mais pour répondre à un besoin profond et urgent de notre temps"’. Pour être efficace, il faut lutter contre tout esprit de séparation : ‘"(...) si nous marquons des distances, si nous laissons se creuser des fossés, nous tournons le dos à la collaboration si fortement préconisée par les papes. Et nous ouvrons une querelle sans issue sur la question de savoir qui est le premier ou le principal responsable - du clergé ou du laïcat - du malaise dont nous souffrons2240"’. Loin d'adopter une approche revendicative, Leyvraz estime que devant un curé qui veut ‘" "caporaliser" son troupeau2241" ’ou devant le laïc qui "intente" un procès aux ecclésiastiques, l'attitude à conserver à tout prix est celle de l'ouverture, de l'amour, de la confiance, afin d'éviter la désagrégation. En outre, le journaliste revendique que le clergé - toujours plus désemparé, isolé et mal préparé à répondre à la décadence des moeurs - puisse y ‘"faire face avec des moyens adaptés aux conditions présentes. N'entendez pas, par là, qu'il faille se lancer tête baissée dans les "nouveautés". Mais il faut faire l'inventaire prudent et soigneux de nos armes, pour voir celles qui portent et celles qui ne portent plus dans les conflits d'aujourd'hui. La Vérité est immuable, mais l'apostolat pratique doit évoluer pour répondre aux besoins de chaque époque2242".’
En abordant la question du clergé, Leyvraz est amené à approfondir celle d'un laïcat qui, dans son désir d'agir en Eglise, entend désormais être mieux reconnu. Remettant en quelque sorte chacun à sa place, l'éditorialiste prend bien soin d'établir une distinction entre l'apostolat du laïc et celui du prêtre, deux formes d'action qu'il ne faudrait en aucun cas confondre : ‘"(...) je crois que bon nombre [de fidèles] tombent dans une certaine erreur d'optique qui tient à la "désacralisation" de notre temps et qui leur fait considérer que le laïc engagé peut plus ou moins suppléer le prêtre. Tout cela, chez la plupart, n'est pas conscient : il s'agit d'une ambiance qui me semble défavorable aux vocations. Entendons-nous bien : le laïcat engagé a un rôle considérable à jouer dans la rechristianisation du monde actuel. Ce rôle, Pie XI, confirmé avec force par son successeur, l'a hautement proclamé. (...) Il ne s'agit donc nullement, dans notre esprit, d'opposer laïcat engagé et sacerdoce comme s'ils étaient des forces concurrentes ou antagonistes, alors qu'ils sont évidemment complémentaires ! Rien ne serait plus funeste à l'Eglise qu'une pareille conception. Il ne faut pourtant pas que se répande dans notre chrétienté, dans nos familles, l'idée d'une sorte d'équivalence entre le laïcat engagé et le sacerdoce, en sorte que les jeunes susceptibles de s'ouvrir à la vocation aient le sentiment qu'on peut également servir l'Eglise comme laïc engagé ou comme prêtre. Car à ce moment-là, on sera tenté ou convaincu d'esquiver les grands sacrifices qu'exige la vocation sacerdotale ou de les rejeter facilement sur ... les autres. L'expression trop courante chez les jeunes : J'aimerais mieux me faire curé que ..., bien qu'il s'agisse d'une "blague", n'en est pas moins subtilement inquiétante. A la vérité, dans le tumulte du monde actuel, beaucoup sont enclins à oublier la véritable hiérarchie des valeurs - et beaucoup l'oublient. Le sacerdoce et le laïcat engagé - on ne devrait pas avoir besoin de le rappeler - sont sur deux plans tout à fait différents. Il va de soi que le premier est au-dessus du second. Le don du laïc à l'action catholique est impérieusement nécessaire, à notre époque surtout. Mais le don du prêtre à l'Eglise est d'une tout autre nature et d'une tout autre signification. Il importe au plus haut point que cette notion soit clairement présente et vivante dans chacun de nos foyers. Faute de quoi les vocations sacerdotales continueront à diminuer. Or, tout nous dit qu'il est impérieusement nécessaire au salut du monde que leur nombre s'accroisse, et rapidement2243".’ En tenant à bien distinguer la vocation sacerdotale de celle du laïc, Leyvraz reste donc dans la ligne d'une théologie qui place le presbytérat dans une participation particulièrement étroite au sacerdoce du Christ.
"Autour de nos clochers". Courrier de Genève, 18 février 1947.
"Par ce Signe, tu vaincras !". Courrier de Genève, 8 octobre 1947.
"Avec eux dans le combat. A nos prêtres". Courrier de Genève, 17 juin 1948.
"Quand on dit : "les curés" ...". Courrier de Genève, 17 juillet 1946.
"Avec eux dans le combat. A nos prêtres". 17 juin 1948, op. cit.
"Vocations, vocations ...". Le Courrier, 7-8 novembre 1953.