Souvent, dans les articles qui traitent de la mort ou de la souffrance, Leyvraz dit à ses lecteurs combien la prière est importante pour lui. Il met un accent particulier sur la récitation du rosaire, à laquelle il s'est attaché dès sa conversion, ‘"sans la moindre répugnance, sans la moindre difficulté, et depuis lors, je n'ai cessé de la pratiquer, de plus en plus, et de mieux en mieux je l'espère. J'y ai trouvé des ressources inépuisables, et chaque jour j'y découvre des trésors nouveaux. (...) Que le rosaire soit votre compagnon de chaque jour, et non pas seulement un objet qu'on mettra entre vos mains roidies après le dernier adieu. S'il vous suit pas à pas dans la vie, il résoudra pour vous mille difficultés qui vous paraissent insurmontables2274"’ ! Chaque matin, à la rue des Granges, à l'aube, il prend un moment pour passer du troisième étage où se trouve son bureau au vaste grenier qui lui rappelle un chalet sur l'alpe. Il emprunte ‘"le long couloir passé au lait de chaux. Au fond, là-bas, à peine détachée de l'ombre sur la paroi de mortier rude, une haute croix de bois ... Le couloir fait un coude : nous voici devant une grande icône de saint Salonius, premier évêque de Genève, peinte à cru sur le plâtre [par Edmond Ganter]. Faisons un quart de tour : nous voici devant la porte de la chapelle. La chapelle du Courrier ... Elle a bien quatre mètres sur trois, et avec ses cinq prie-Dieu boîteux et dépareillés, elle ne brille pas ... Là se trouve l'âme du journal : le Saint des Saints, dans l'ombre, sous la pâle lueur des lampes sacrées. Mettons-nous à genoux, mon frère, et prions en silence. Pas n'est besoin d'aller chercher Dieu sur les sommets, dans le décor des cimes déchirées. Il est là mieux encore, Il attend. Il espère ...2275"’. L'organisation des Semaines de Prière pour l'Unité par le Rassemblement oecuménique de Genève, fondé en 1954, l'amène à témoigner de son propre parcours et à donner à sa prière une teinte particulière :
‘"Le converti laisse derrière lui, au terme d'une crise douloureuse, toute sa parenté et beaucoup d'amitiés auxquelles il tient par des liens profonds. S'il passe, comme je l'ai fait, du protestantisme au catholicisme, il n'a pas le sentiment de "brûler ce qu'il a adoré". Au départ, du point de vue strictement humain, il est enclin à dénigrer ce qu'il quitte pour magnifier ce qu'il aborde. Mais, Dieu le conduisant d'étape en étape à travers les épreuves de la vie, il ne tarde pas à comprendre que toute comparaison est vaine sur ce plan-là. (...) Du coeur du converti, nécessairement déchiré, s'élève vers Dieu une supplication continue pour l'Unité, une prière de tous les jours, de toutes les semaines, de toute l'année, de toute la vie ... Car la division des chrétiens passe par ce coeur et y maintient une blessure toujours ouverte. Il sait lui, par delà les préjugés et les malentendus qui s'interposent depuis plus de quatre siècles entre les chrétiens des deux confessions, qu'il y a un fond commun infiniment plus riche et plus précieux que les divergences même les plus réelles et les plus graves2276".’Un jour, un de ses lecteurs lui demande : ‘"Parlez-nous de la prière, de votre prière, de votre expérience de la prière. Il faut prier sans cesse, dites-vous, mais comment faire et comment faites-vous ?"’ Leyvraz écrit : ‘"L'expérience de la prière est chose intime, et j'hésite à répondre ... Pourtant, je ne voudrais pas me dérober si mon témoignage peut aider quelques-uns. Nous autres journalistes, nous devons faire chaque jour toute espèce de supputations sur les événements, dans le cadre obsédant du conflit Est-Ouest. Il faut que ce soit fait avec soin, et cela exige du chroniqueur une attention constante. Mais nous savons bien que nous ne pouvons pas agir sur les événements. Ils se déroulent dans la mêlée de forces qui nous échappent. - "Il n'est rien de tel, dit Péguy, que de suivre les événements pour se convaincre qu'ils ne nous suivent pas" ...2277."’ Face à cette impuissance humaine sur la marche du monde, Leyvraz voit la prière comme un chemin de patience et d'espérance. Plaidant pour ne pas opposer la prière de l'Eglise à la prière individuelle, le journaliste confesse pourtant qu'il est "d'une génération individualiste" qui parfois s'agace de ce signe des temps qu'est le ‘"foisonnement de la piété communautaire. (...) Loin de nous dresser là-contre, sachons nous en réjouir. Dans une époque aussi "atomisée" que la nôtre, et par là même aussi vouée aux comportements de masse, le support ecclésial et liturgique prendra de plus en plus d'importance. Le culte divin n'est pas qu'une confidence de la personne à Dieu. Il est d'abord communion, et tout ce qui met obstacle à cette communion doit être écarté, comme doit être favorisé tout ce qui y est propice. (...) Ceci dit, il reste que la vie chrétienne est avant tout une relation de la personne à Dieu. (...) De quelque manière (...) que vous priiez, persévérez-y d'abord, sans vous préoccuper de vos insuffisances et de vos distractions. C'est un point capital. J'ai lu une bonne douzaine de traités sur la prière sans en tirer grand-chose, parce qu'ils étaient au dessus de mes possibilités. (...) Dieu n'attend pas de nous des discours subtils. Il attend un mouvement de notre coeur sans commune mesure avec la tenue "intellectuelle" de nos propos. Au contraire, dès que nous cherchons à "raffiner", nous manquons la communication. Dieu nous comprend à mi-mot et même, dans la prière mentale, sans aucune parole prononcée. (...) Il y a quelques années seulement que j'ai trouvé les vrais chemins de la prière. Auparavant, comme "intellectuel", je pensais qu'il fallait donner à Dieu des explications en bonne et due forme. A Lui qui sait tout ! Je ne tirais donc pas grand fruit de mes prières, sauf la bonne intention dont il m'était tenu compte. Il m'a fallu quelque trente ans pour voir que plus la prière est simple, plus elle est efficace. Le Rosaire m'a d'abord puissamment aidé et m'aide encore, bien que je n'y soit pas assez assidu. (...) Il y a une dizaine d'années, j'ai fait une rencontre salutaire : celle de la "Prière de Jésus" telle qu'elle est pratiquée depuis des siècles dans l'Eglise orientale, et de plus en plus en Occident, même chez des protestants. (...) Il n'y a rien de plus simple. La "Prière de Jésus" consiste à répéter aussi longtemps que possible, au rythme de la respiration, l'invocation : "Seigneur Jésus-Christ. - Ayez pitié de nous", la première partie se disant pendant l'aspiration, l'autre pendant l'expiration. (...) Bien entendu, pas plus que le Rosaire, la "Prière de Jésus" ne doit être une récitation mécanique. Elle baigne dans le climat évangélique. Elle permet aussi de diriger chemin faisant le "radar" de nos intentions du moment : la famille, tel ami qui souffre, les Missions, les âmes de nos disparus, tel ennemi qu'il faut apprendre à aimer, etc. - sans qu'il soit besoin de formuler vocalement ces intentions2278".’ Pour Leyvraz, la prière constitue certainement la colonne vertébrale de son engagement. Elle le relie à Dieu, à ceux qui sont morts ainsi qu'aux vivants, en particulier ses bien-aimés desquels sa conversion au catholicisme l'avait naturellement éloigné.
Dans la vie de l'éditorialiste, il y a non seulement la prière, mais aussi la communion et la confession, toujours reliées à sa fragilité, à sa réalité d'homme pécheur qui, au travers de ce dernier sacrement, rencontre un Père spirituel qui le guide lors de ces nombreux moments où le journaliste se sent complètement désemparé parce que tant de lecteurs se confient à lui :
‘"Que de problèmes ne vient-on pas lui soumettre, et souvent très intimes, par lettres ou de vive voix ! Que de confidences douloureuses, et parfois désespérées, n'ai-je pas recueilli ici-même, dans ce bureau où j'écris. Et que de fois, me sentant désarmé, à bout de ressources, n'ai-je pas eu recours au prêtre quand c'était possible, comme au père de tous2279 ?"’"Le rosaire parmi nous". Le Courrier, 14 novembre 1951.
"Là-haut, la chapelle ...". Le Courrier, 5 janvier 1950.
"Témoignage d'un converti". Le Courrier, 24 janvier 1961.
"Les Chemins de la prière". Le Courrier, 11 juillet 1961.
"Les Chemins de la prière", 11 juillet 1961, op. cit.
"Heureux qui trouve un Père". Le Courrier, 12-13-14 mai 1951.