Le 2 mars 1953, le trentième anniversaire de l'entrée au Courrier du rédacteur en chef est fêté avec faste; cet événement donnera à Leyvraz l'occasion de décrire à la Radio suisse-italienne, dans la série "Les grandes signatures du journalisme", les exigences de son métier :
‘"En arrivant à son bureau, le journaliste est aussitôt saisi par la tourmente des événements. Quel que soit son secteur - politique étrangère, politique suisse, questions sociales ou économiques, problèmes spirituels ou moraux - il faut qu'il y voie clair dans la journée. Il faut qu'il arrive à se former une opinion aussi honnête, aussi droite que possible sur une actualité dont la complexité est presque infinie. Sa responsabilité est considérable : car le plus souvent, ses lecteurs jugeront d'après lui, d'après lui seront justes ou injustes, objectifs ou partisans. Son opinion, le journaliste doit encore l'exprimer en termes vivants et entraînants. Le public ne supporte pas les raseurs, les pédants, les philosophes abstrus, les techniciens qui jargonnent, les moralistes engoncés et tutti quanti. Cela ne veut pas dire qu'il ne demande qu'à être amusé. Mais si l'on prétend l'enseigner, il ne faut pas l'ennuyer. C'est un impératif catégorique. Prenez-y garde cependant : un journaliste sans passion n'entraîne personne. Il faut qu'il travaille avec son coeur, plus encore qu'avec son intelligence. On lui pardonnera de perdre des procès; on ne lui pardonnera pas de fuir les risques et les coups. Encore faut-il qu'il reste maître de ses humeurs, pour ne pas dissiper son crédit en attaques inconsidérées. Raison et passion doivent s'équilibrer en lui. Sa tâche est donc des plus malaisées. Il ne peut la mener à bien que s'il a l'esprit sans cesse ouvert à l'objection, à la contradiction. A son chevet, le "pour" et le "contre" doivent veiller jour et nuit. Pour le journaliste chrétien, cette tâche me paraît particulièrement délicate. Se réclamant de valeurs éternelles et universelles, il risque à tout instant de les confondre avec sa vanité personnelle, avec des intérêts, des ambitions ou des partis-pris temporels, trahissant ainsi le message du Christ dont il est porteur et mettant par là même des âmes et des destins en péril2280."’La Une du Courrier salue cette longue présence de Leyvraz en ces termes :
‘"Il y a trente ans, notre cher rédacteur en chef, M. René Leyvraz, entrait à la rédaction de notre journal. La grande famille du COURRIER lui apporte aujourd'hui le témoignage de sa respectueuse affection. Elle l'exprime, cette affection, en termes tout simples. On ne fait pas de phrases entre amis. On se regarde droit dans les yeux, on se serre la main. On sait à quoi s'en tenir. Notre cher rédacteur en chef est l'âme du journal. C'est lui qui, par la rectitude de son jugement, par son courage intellectuel, par son énergie au service de toutes les causes justes, FAIT le COURRIER, lui donne son orientation, adresse aux lecteurs sur tous les problèmes essentiels des messages qui prennent, selon les circonstances, un émouvant caractère personnel. Journaliste par toutes les fibres de son être, M. René Leyvraz est un exemple pour tous ses collaborateurs. Il est le modèle à imiter, le chef et l'ami que l'on consulte avec profit dans les moments pénibles, avec lequel on se réjouit lorsqu'un événement heureux survient. Il est celui dont la porte est toujours ouverte, qui reçoit chacun avec un bon sourire fraternel. Avec lui, chaque problème prend sa proportion réelle, chaque fait sa véritable signification. Sur toutes ces nouvelles, sur toute la vie de notre pauvre monde écartelé, M. René Leyvraz porte des jugements empreints de la plus authentique charité chrétienne. Pour lui, le journalisme est un apostolat, une haute et noble vocation au service de ses frères. Nous lui disons MERCI. Nous lui disons : RESTEZ ENCORE DE LONGUES ANNÉES PARMI NOUS. Prodiguez-nous encore longtemps votre affection. Nous vous la rendons bien2281."’De toutes parts, les félicitations affluent; Mgr Charrière lui adresse un télégramme auquel le rédacteur en chef répond : ‘"Savez-vous que la toute première réaction à notre première page de ce matin a été votre télégramme ? J'en ai été touché beaucoup plus que je ne puis le dire, et je tiens à vous en exprimer ma profonde gratitude. Les hommes passent. L'hommage qu'on m'a fait est cent fois trop beau, et je suis loin de le mériter pleinement. Mais l'intention amicale m'a ému jusqu'au fond du coeur, et je m'en vais poursuivre ma tâche avec un courage renouvelé2282."’ Une semaine plus tard, il récrit à l'évêque :
‘"Je vois (...) que la Semaine catholique m'a comblé. Je succombe sous les éloges ! Mais comment remercier Dieu de m'avoir donné en vous un guide qui est un frère, un ami de tous les instants. Elle est là, ma grande force depuis ma rentrée de 19452283."’Le Parti - par la voix de son Président, Emile Dupont - rend également hommage au journaliste :
‘"Récemment, M. René Leyvraz a célébré le 30ème anniversaire de son entrée au Courrier de Genève. Durant ces trente années, il a donné les plus belles preuves de courage, d'indépendance et de clairvoyance. A ces qualités morales, il joint la parfaite maîtrise d'un style clair et incisif dans la meilleure tradition des grands journalistes de langue française. Au cours de cette période, M. René Leyvraz n'a pas été seulement un informateur sûr, mais il a été et il est devenu pour beaucoup un guide et des liens d'amitié visibles ou invisibles se sont créés entre lui et ses milliers de lecteurs. Le Président du Parti Indépendant Chrétien-Social est donc heureux de l'occasion qui lui est donnée de dire à M. René Leyvraz ce que lui doivent les membres du parti qu'il préside et la reconnaissance et l'amitié qu'ils lui portent. Ils savent que cette amitié leur est rendue et M. René Leyvraz leur en a donné de multiples témoignages2284."’René LEYVRAZ, témoignage radiodiffusé, repris dans l'édito "Trente ans de journalisme catholique". Le Courrier, 2 mars 1953.
LE COURRIER. "Hommage à notre rédacteur en chef". Le Courrier, 2 mars 1953.
Lettre de René LEYVRAZ à Mgr François Charrière, 2 mars 1953. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote Courrier 45-56, pièce 16509.
Lettre de René LEYVRAZ à Mgr François Charrière, 9 mars 1953. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote Courrier 45-56, pièce 16339.
Préface d'Emile DUPONT, président du Parti, à la publication ronéotypée d'une conférence donnée par Leyvraz le 14 septembre 1952, lors de la fête annuelle du Parti, sur le thème "Politique sociale et Défense nationale". Archives du Parti, Genève, pièce 82.12.