4. LA SORTIE DU CADRE CONFESSIONNEL

Une autre mutation à l'intérieur du Parti a été provoquée par le décret du 5 mars 1947, émanant du Saint-Office, qui défendait de bénir les bannières des partis, quels qu'ils soient, pour éviter à l'Eglise d'être entraînée dans des conflits politiques. Ce mot d'ordre a suscité diverses réactions en Suisse; les partis catholiques qui s'étaient fortement érigés sur une politique de démonstration illustrée dans ces grands rassemblements placés souvent sous la houlette d'ecclésiastiques, sentaient tous les risques qui découleraient d'une telle décision. Jusqu'ici, il existait en effet ‘"entre l'Eglise et le parti conservateur une sorte de communauté d'action relevant du partenariat, dont chaque partenaire [tirait] profit. L'Eglise [fournissait] au parti le fondement idéologique, et le parti [intervenait] dans l'Etat et la société en faveur des intérêts de l'Eglise et du catholicisme2297".’

Deux ans plus tard, Mgr Charrière estimait nécessaire d'expliciter la position de l'Eglise, par l'intermédiaire de Leyvraz; ce dernier lui soumettait un projet d'édito accompagné de ces mots : ‘"Je vous envoie ci-joint l'article demandé. Je crains qu'il ne réponde pas tout à fait à vos voeux. Il m'a donné du fil à retordre, non pas pour la doctrine, qui est claire, mais à cause des situations de fait, qui sont souvent très complexes. Tout en établissant que l'Eglise ne patronne aucun parti, il ne faut pas donner à nos militants politiques l'impression qu'il sont plus ou moins "lâchés" ou désavoués, ce qui n'est certes pas votre intention2298."’ Dans un style "questions-réponses" de catéchisme, Leyvraz s'appliquait à cadrer les expressions de "catho-licisme politique" et de "parti catholique" qui englobaient les demandes suivantes ‘: "Le catholique peut-il adhérer à n'importe quel parti ?" "Mise à part la réserve imposée face au parti communiste, le catholique est-il libre de son option politique ?" "A-t-il le devoir de s'affilier à un parti ?" "(...) n'y a-t-il pas des partis qui ont des titres spéciaux à la bienveillance de l'Eglise par les services qu'ils lui ont rendus en défendant ses droits ? N'est-ce pas le cas, en Suisse, du Parti conservateur, ou des partis chrétiens-sociaux qui existent dans divers cantons ? Et par là, ne revenons-nous pratiquement à la notion du "parti catholique" ?"’ La réponse du rédacteur à ces dernières questions était la suivante :

‘"Il serait absurde et contraire aux faits, de contester les mérites des partis dont vous parlez. N'oubliez pas cependant qu'en dehors de leur action de défense religieuse, ces partis sont à tout instant appelés à entrer dans des contingences pratiques ou techniques où l'Eglise n'entend pas s'engager, parce qu'elles ne sont point de son domaine; qu'ils représentent des intérêts qui ne sont pas les siens. L'Eglise leur laisse donc, comme à tous les partis et à chaque citoyen, le soin d'interpréter et d'appliquer sous leur propre responsabilité les principes qu'elle donne sur les plans civique, économique et social. A vous donc, à chacun d'entre vous, de peser les mérites des partis, de choisir celui qui vous paraît le mieux mériter votre adhésion et votre appui. Votre liberté d'appréciation et de décision reste donc entière, dans l'ensemble et dans le détail. On peut simplement vous demander d'être juste et objectif dans votre examen et dans vos conclusions2299."’

Retombées : les mots d'ordre du Vatican et la mise au point souhaitée par l'évêque poussent le parti indépendant chrétien-social genevois à afficher son autonomie face à cet épiscopat qui ne les soutient plus, et à sortir de son cadre confessionnel. L'influence autrefois exercée sur le Parti par certains prêtres (grâce aux liens entretenus avec l'abbé Carry, le Père Pilloud ou l'abbé Savoy) est bien éteinte. Et le mot "catholique" disparaîtra des nouveaux statuts qui seront adoptés en octobre 1950.

Notes
2297.

Urs ALTERMATT. Le catholicisme au défi de la modernité. L'histoire sociale des catholiques suisses aux XIXe et XXe siècles. Lausanne : éd. Payot, 1994, p. 116, collection Histoire.

2298.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr François Charrière, 8 octobre 1949. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote Courrier 45-56.

2299.

"Catholicisme et politique". Le Courrier, 11 octobre 1949.