En février 1959, Yves Maître et Guy Fontanet présentent, suite à leurs réflexions, deux rapports divergents au Comité Central du Parti. Le premier ‘"fait une distinction entre l'armement atomique offensif et défensif. Seul ce dernier type d'armes serait introduit dans notre pays qui, s'il en était équipé, se trouverait à l'occasion d'un prochain conflit, dans une situation identique à celle où il s'est trouvé dans les deux premiers conflits mondiaux. M. Maître ne croit pas un instant que la renonciation, par la Suisse, de (sic) l'armement atomique puisse avoir la moindre répercussion internationale"’. Guy Fontanet, lui, ‘"insiste pour que l'on ne voie pas dans la campagne anti-atomique un mouvement nécessairement anti-patriotique, voir (sic) communiste"’. Frappé par l'unanimité des savants à dénoncer le danger atomique, Fontanet fournit quelques précisions techniques puis analyse les effets des radiations nucléaires qui sont de nature tant somatique que génétique. ‘"Il estime que les armes atomiques s'attaquant au principe même de la vie, l'acceptation de leur introduction ne pose pas du tout les mêmes problèmes moraux que ceux résultant de l'armement conventionnel"’; pour Fontanet, le respect de la vie est supérieur à la conscience nationale; en outre, il ne partage pas l'avis de son collègue qui établit une distinction entre engins offensifs et défensifs car, estime le rapporteur, ces derniers produisent les mêmes effets génétiques et somatiques. De plus, partageant vraisemblablement l'avis de Leyvraz, Fontanet s'étend sur la mission qui incombe à la Suisse d'organiser une alliance de petits pays qui, à l'O.N.U., s'opposeraient à la guerre atomique; il considère aussi qu'une défense nationale peut fort bien s'organiser sans acquérir de telles armes. L'éclatement de la science qui a tant évolué au cours des vingt dernières années impose de raisonner différemment.
Lors de cette présentation, les avis exprimés dans la discussion au sein du Parti sont très divergents. Par exemple, tout en estimant que la Suisse doit prendre des initiatives pour amener les Puissances à abandonner le nucléaire, Emile Dupont (qui pense que la question de l'armement helvétique ressortit à l'Armée) montre qu'il ne partage toujours pas le point de vue de Leyvraz; il doute que le rejet d'une telle défense nationale puisse avoir quelque répercussion sur le plan mondial; ‘"ce serait, tout au plus, un point marqué par le plan soviétique. (...) Refuser l'introduction de l'armement atomique en invoquant les conséquences somatiques et génétiques, c'est les faire passer avant une certaine conception de la liberté de nos institutions politiques. N'y a-t-il pas là une abdication2413" ?’
Les mois passent, et la question nucléaire en lien avec la Confédération helvétique n'est toujours pas résolue. En août 1961, une Commission interne "Armement atomique" sera créée dans le Parti; placée sous la présidence de Ganter, elle regroupera - entre autres - René Leyvraz, Yves Maître, Guy Fontanet, Francis Laurencet et Charles Primborgne. Cette réflexion sera menée en lien avec les Jésuites de Genève, dans le cadre de leur revue Choisir 2414 .
Commentant l'appel pour la paix lancé par Jean XXIII en novembre 1961, Leyvraz semble ne pas tout à fait partager l'optimisme du pape qui ne croit pas à l'imminence d'une troisième conflagration et qui, sans dissimuler pour autant sa profonde anxiété, se refuse à exagérer l' ‘"apparence trop peu sérieuse et tragiquement déplorable de menace de guerre2415"’. En effet, l'éditorialiste ajoute : ‘"Nous nous rassurons volontiers en proclamant qu'une nouvelle guerre mondiale est impossible, impensable même, parce qu'elle serait une catastrophe pour tous, et que nul n'oserait prendre la responsabilité de la déclencher. Cela est vraisemblable et raisonnable. Mais qui oserait garantir qu'à force de jouer avec le feu, on ne finira pas par provoquer le monstrueux incendie, sous le régime d'une tension sans cesse accrue par la menace à jet continu ? ... Il ne suffit pas qu'une chose soit insensée pour qu'elle soit impossible. Du point de vue même de l'intérêt allemand, la guerre de 1939-45 était une entreprise folle. Elle n'en a pas moins ravagé la terre pendant six ans."’ Leyvraz termine tout de même son article par ces mots :
‘"La paix du monde est menacée, elle n'est pas définitivement compromise. S.S. Jean XXIII adresse son appel "à tous nos fils, à tous ceux que nous nous sentons le droit et le devoir d'appeler ainsi, à ceux qui croient en Dieu et à son Christ, et aussi aux non-croyants, parce que tous appartiennent à Dieu et au Christ par droit d'origine et de rédemption". Puisse cet appel être entendu de tous ! Notre devoir urgent est de le seconder de nos ferventes prières, chaque jour, inlassablement2416."’Procès-verbal de la séance du Comité central du Parti, 2 février 1959. Archives du parti indépendant chrétien-social, Genève.
Née en novembre 1959, cette revue de la Compagnie de Jésus veut se situer à mi-chemin entre Nova et Vetera, publication de haute culture philosophique et théologique, et le Courrier, afin d'atteindre et d'inspirer une large élite dans tous les milieux. Leyvraz siège au sein du Comité directeur de Choisir depuis sa création.
JEAN XXIII cité par Leyvraz in "Pour sauver la paix". Le Courrier, 12 septembre 1961.
"René LEYVRAZ, "Pour sauver la paix", ibid.