2. UN ARRANGEMENT QUI SE VOUDRAIT SOUS LE SIGNE DU PARDON

Vraisemblablement suite à la séance du Conseil évoquée ci-dessus par Leyvraz et qui s'était tenue le 15 novembre, le journaliste adresse une nouvelle lettre (dont nous n'avons pas retrouvé la trace) à l'évêque, qui répond en date du 2 décembre2445 : ‘"J'ai recommencé plusieurs fois la lettre par laquelle je veux répondre à la vôtre du 17.XI. C'est la raison de mon retard. Je ne veux pas le prolonger et c'est pourquoi j'essaye quand même. Je tiens surtout à vous assurer que mon silence ne signifie pas refus de pardon ou rancune. Je pardonne de tout coeur soyez-en certain. Mais je ne vois pas ce que je puis faire pour améliorer la situation. Je prie et je demande au Seigneur d'éclairer les esprits et de réchauffer les coeurs. Pour moi que faire puisque je me sais tellement critiqué par vous et vos amis jusque dans les milieux protestants, puisque des catholiques ont envisagé l'intervention de mes supérieurs. Vous ne pouvez pas l'ignorer ! J'ai d'ailleurs si mal réussi quand j'ai essayé de vous faire comprendre certaines choses ! Je vous entends encore déclarer dans un texte lu, que, en plus de dix ans, vous avez vu dix minutes votre évêque ! Oui, en dehors de la prière du pardon je ne vois vraiment pas, pour le moment en tous cas, ce que je puis faire car, je dois l'ajouter, certains de vos derniers articles, (sans parler de ceux qui m'ont contraint à une déclaration que j'aurais aimé éviter ou retarder)2446, contiennent des passages que je ne puis approuver, je le regrette. (Ma déclaration sur les armes atomiques était parfaitement nuancée et acceptable mais vous savez ce qu'on en a dit et ce qu'on en a fait)2447. Inutile de poursuivre une correspondance à propos de ce que je vous écris. Même ma présente lettre - je ne pense pas en écrire une autre - risque d'être mal reçue. Mais je tenais à vous assurer de mon pardon et de mes prières."’ Le brouillon de cette lettre montre que Mgr Charrière aurait voulu dire combien la question atomique lui avait valu d'ennuis et que, finalement, en barrant les phrases que nous avons mises entre parenthèses, il a décidé de ne pas envenimer les tensions avec Leyvraz par un retour sur ce sujet.

Un certain arrangement a dû intervenir au sujet de la rédaction, puisque Leyvraz écrit :

‘"Je suis très sensible à votre message et vous en remercie de tout coeur. J'en retiens surtout la communauté de prière, qui seule peut nous aider à sortir de cette impasse. Je crois que nous nous dirigeons, non sans peine, vers un règlement équitable du problème du Courrier, qui mettra enfin, je l'espère, chaque chose à sa place : l'Administration, la Rédaction, l'arbitre entre les deux et la présence du Rédacteur en chef à toutes les séances du Conseil, qui seule peut prévenir le retour d'aussi douloureux malentendus. L'équipe actuelle, avec M. Couturier, sort le meilleur journal possible selon nos forces et nos moyens. L'essentiel est d'éviter de troubler de nouveau ce fonctionnement normal. Je sais que je vous ai fait de la peine. J'accueille votre pardon avec une filiale gratitude. Je vous prie de croire, cher Monseigneur, à mon dévouement le plus respectueux2448."’

Malgré ces lignes qui se veulent positives, une nouvelle lettre envoyée par Leyvraz, trois semaines plus tard, montre que celui-ci ne "passe pas l'éponge", puisqu'il rappelle que l'orage aurait pu être évité par une simple réunion de la rédaction qui aurait permis ‘"d'intégrer sans peine une force nouvelle et assurer une bonne répartition des tâches. Le coup de force qui a été tenté contre la Rédaction ne se justifie d'aucune manière et à aucun degré. Il nous a causé gratuitement, à nous et à nos familles, des souffrances démesurées. Il n'y a de paix que dans l'amour, et il n'y a pas d'amour vrai sans justice; vous l'avez dit souvent. Ici, dans cette Rédaction, je vois chacun travailler jusqu'à la limite de ses forces, et j'inclus dans ces lignes Michel Couturier qui est un excellent confrère"’. La suite laisse apercevoir un pressentiment de Leyvraz, à savoir que, malgré les arrangements, l'équipe de rédaction reste menacée; si cela était avéré, elle serait prête à se battre à nouveau :

‘"A six - contre le triple ou le quadruple ailleurs - nous sortons un quotidien qui, par sa tenue, est bien au dessus de nos moyens rédactionnels. Personne ne doit donc être sacrifié, sinon la guerre recommencera et rien n'est moins désirable pour la stabilité et le développement du journal. Michel Couturier m'a dit, en toute sérénité, qu'il ne resterait pas longtemps au Courrier. Or, il me revient de divers côtés que l'opération finale se ferait aux dépens d'Auguste Haab, définitivement privé de son statut de rédacteur et viré aux corrections. Or, nous ne pouvons plus nous passer de lui sans surcharge intolérable pour les autres rédacteurs, surtout si nous voulons développer, améliorer le journal. D'ailleurs, il n'a aucunement mérité cette disgrâce, qui indisposerait irréparablement contre le Courrier tous les milieux populaires, ouvriers, du catholicisme genevois envers lesquels - la récente enquête de sociologie religieuse faite à Genève le prouve - nous avons au contraire le devoir de montrer le plus possible d'ouverture. Je suis obligé de constater, non sans amertume, que je suis toujours le dernier à être consulté sur les compétences et les mérites de mes collaborateurs. J'espère que les rumeurs dont je me fais l'écho sont sans fondement. Si tel n'était pas le cas, nous irions au-devant de troubles nouveaux, plus graves encore que les premiers2449 ."’
Notes
2445.

Cette lettre que nous citons est un brouillon manuscrit de réponse de Mgr François CHARRIÈRE à René Leyvraz, 2 décembre 1958. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote Xl Co 17. Document destiné vraisemblablement à être tapé à la machine; nous n'avons pas retrouvé le double de la lettre qui sera effectivement envoyée à Leyvraz.

2446.

Cette phrase que nous mettons entre parenthèses est rayée sur le brouillon et ne figure donc certainement pas dans la lettre envoyée.

2447.

Même remarque que ci-dessus.

2448.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr François Charrière, 3 décembre 1958. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote Xl Co 17.

2449.

Lettre de René LEYVRAZ à Mgr François Charrière, 21 décembre 1958. Archives de l'Evêché, Fribourg, cote Xl Co 17.