En février-mars 1962, la Mission est prêchée à Genève par des "missionnaires" français auxquels beaucoup de fidèles reprochent bien vite de ne rien comprendre à la mentalité et à la réalité genevoises ... Voulant oeuvrer dans un cadre plus large que la seule vie paroissiale, la Mission s'étend à l'ensemble du territoire genevois en s'adressant à des catégories : monde ouvrier, milieux indépendants, monde agricole, catholiques de langues étrangères, jeunesse ouvrière, jeunes indépendants, monde scolaire (en distinguant entre écoles privées et publiques), scoutisme, enfance, malades, personnes hospitalisées, personnes âgées et incurables.
Dans un édito, Leyvraz - qui ne peut que soutenir ce grand événement - dit sa déception face à tous ceux qui désertent cette occasion de renouvellement :
‘"Il me revient de divers côtés, et je l'ai constaté moi-même dans ma paroisse, que la participation des hommes à la grande mission catholique de Genève est faible, sinon dérisoire ... Dans les grandes paroisses urbaines, on l'évalue à un dixième environ. La proportion est meilleure dans les paroisses rurales, mais cela ne suffit pas à nous rassurer : si la mission ne donne pas son plein dans l'agglomération, elle aura manqué son objectif principal. Il est vrai que les "carrefours" sont vivants, efficaces, et c'est bon signe, mais il ne rassemblent qu'une élite, et l'effet communautaire de la mission, l'élan de masse qu'elle doit susciter et qui doit ranimer la vie catholique pour les années qui viennent ne sera pas obtenu si les hommes désertent les réunions générales du soir. Louées soient nos soeurs et nos compagnes qui forment les neuf dixièmes des auditoires de la mission ! C'est le plus souvent la fidélité des femmes qui a maintenu la flamme de la foi dans nos chrétientés investies et sapées par les courants du siècle. (....) Pourquoi tant d'hommes se dérobent-ils ? Je ne crois pas aux petites excuses : les pantoufles, le yass2519, la pipe ou la cigarette ... Ou simplement la "cosse" ... En creusant plus avant, nous trouvons ce sentiment très répandu que le monde d'aujourd'hui échappe au christianisme, aux prises des chrétiens; que son sort, quoi qu'ils puissent tenter, se décide sans eux, hors d'eux, sinon contre eux; que le courant général des idées et des moeurs entraîne loin de nous les esprits et les coeurs; qu'enfin le poids des masses indifférentes ou paganisées nous pousse vers quelque cataclysme où la force seule, et la force atomique, déciderait de nos destins ... Il existe dans le monde actuel un désespoir diffus, qui se trahit par l'expansion directe ou indirecte des philosophies du Néant, mais aussi, chez bien des croyants, par une réduction manichéiste du combat chrétien à l'affrontement du Bien et du Mal, de la Lumière et des Ténèbres tout entiers résumés dans le communisme et l'anticommunisme ... Mais la plupart ne vont pas jusque là : ils subissent simplement la dépression née du malheur des temps. Pour ceux qui tiennent fermement à leur foi, la religion est le refuge de l'âme angoissée, mais sans ouverture sur le monde, sans réponse discernable aux problèmes de l'humanité présente. Vraiment elle est devenue Privat-sache (sic) - "affaire privée" - comme le voulait Marx, et non plus messagère et nourricière d'une grande espérance.Indéniablement, le bilan2522 dressé au terme de la Mission a, comme sa préparation, une connotation très "Action catholique". Même si plusieurs fidèles n'ont pas apprécié que la réflexion soit menée par des "étrangers", le rapport final en donnera un reflet positif : grâce à la Mission, les laïcs ont acquis une vue plus claire de ce que devrait être leur christianisme, leur religion, et également des responsabilités qu'ils devraient assumer, là où ils sont "providentiellement" placés; ils ont pu exprimer leur désir d'être soutenus par des prêtres dans leurs réflexions sur la vie et dans leur action, afin que toute leur vie soit animée par leur foi. Les orientations générales dégagées suite à ce bilan sont les suivantes : Travailler à un engagement plus précis des adultes dans leur milieu de vie et dans la paroisse; développer certaines collaborations entre clergé et laïcs; coordonner toutes les forces d'Eglise (clergé, religieux, laïcs) au niveau des paroisses, des diverses structures et du canton.
Le yass est un jeu de cartes de souche suisse alémanique, qu'on peut apparenter à la belotte.
Jn 6,68.
"Pour nous, hommes de Genève". Le Courrier, 13 mars 1962.
"Mission 1962. Documents préparatoires, bilan et suivi". Archives Vicariat général, Genève.