L'ouverture au monde, symbolisée particulièrement dans le vaste rassemblement des évêques de tous les continents, n'est pas un sujet nouveau pour Leyvraz. En effet, depuis plusieurs années, grâce à Lebret tout particulièrement, il a tenté de sensibiliser ses lecteurs aux problèmes de l'Afrique du sud d'abord, puis à ces continents sous-développés qui souffrent de la faim et de la surpopulation, de la ségrégation raciale, de l'exploitation économique, de la dépendance politique et idéologique, du déséquilibre entre le Nord et le Sud. Son regard a passé d'une acceptation de la situation coloniale à la problématique du développement. Ensuite, il en est venu à dire que ces pays pauvres attendaient, de la part de l'Europe, une oeuvre ‘"immense et toute hérissée de difficultés. Il faut de l'argent, des machines, des techniciens. Mais il faut surtout une présence fraternelle, humble et patiente2546".’ Et d'entraîner ses lecteurs vers une action d'engagement, en préconisant une information soignée sur le développement et les modalités de l'aide au tiers-monde afin que ‘"l'Occident tout entier se passionne pour cette oeuvre dont dépend la paix du monde2547" !’
La promulgation par Paul VI de l'encyclique Populorum Progressio - traitée, par certains, de document "communiste" qui défend ‘"la même conception que celle de Mao Tsé-Toung2548"’ - permet à Leyvraz de revenir, une dernière fois, à la chère Doctrine sociale de l'Eglise pour rappeler que, partout où une étude méthodologique de cette pensée s'est instaurée, ‘"le christianisme a agi puissamment - de manière directe ou indirecte - sur l'ordre économique et social"’. Pour illustrer la force des encycliques, Leyvraz cite les propos du curé de Torcy, dans le Journal d'un curé de campagne : ‘"Ainsi, par exemple, la fameuse encyclique de Léon XIII, Rerum Novarum, vous lisez ça tranquillement, du bord des cils, comme un mandement de carême quelconque. A l'époque, mon petit, nous avons cru sentir la terre trembler sous nos pieds. Quel enthousiasme ! J'étais, pour lors, curé de Norenfontes, en plein pays de mines. Cette idée si simple que le travail n'est pas une marchandise, soumise à la loi de l'offre et de la demande, qu'on ne peut pas spéculer sur les salaires, sur la vie des hommes, comme sur le blé, le sucre ou le café, ça bouleversait les consciences, crois-tu ? Pour l'avoir expliquée en chaire, à mes bonshommes, j'ai passé pour un socialiste et les bien-pensants m'ont fait envoyer en disgrâce à Montreuil. La disgrâce, je m'en fichais bien, rends-toi compte. Mais dans le moment ..."2549 ’. Leyvraz garde sa confiance en dépit des critiques qui pleuvent contre Paul VI : ‘"Le Pape a longuement médité son message, et il n'y a aucune raison sérieuse de penser qu'il songe aujourd'hui à le réviser ou à l'atténuer."’ Après avoir signalé que même les socialistes se montrent scandalisés par le texte de Populorum Progressio, le journaliste pointe une dernière fois son doigt contre les affairistes : ‘"La cause du "vif mécontentement de la droite", c'est le diagnostic que Paul VI pose sur le comportement économique du grand capitalisme occidental vis-à-vis du tiers-monde, surtout en ce qui concerne les prix généralement insuffisants imposés aux pays sous-développés pour leurs matières premières et leurs produits agricoles."’ Puis, pour montrer que cette analyse est solidement fondée, Leyvraz la met en rapport avec la situation du président chilien Eduardo Frei, contraint d'abandonner la lutte, lui qui avait réussi à instaurer le ‘"seul régime politique et social sud-américain qui paraissait avoir dominé l'exploitation capitaliste et conjuré le péril communiste sans sortir de la démocratie2550".’
"L'aide aux pays du tiers-monde". Le Courrier, 19 janvier 1965.
Ibid.
Phrase écrite dans Il Tempo, et citée par Leyvraz in "Une encyclique historique". Le Courrier, 8-9 avril 1967, p. 3.
Georges BERNANOS. Le journal d'un curé de campagne. Cité par Leyvraz in "Une encyclique historique", 8-9 avril 1967, op. cit.
René LEYVRAZ, ibid.