d) Une vie représentative

La vie de Leyvraz personnifie le catholicisme romand de son époque : il est ancré dans cet âge d'or des années 30 auquel il participe et qui repose sur une forte culture religieuse. Mais en même temps, il est représentatif du courant genevois formé de ces "enfants terribles" qui entendent déjà prendre leur indépendance. Déçu de la politique et de l'évêque qui, par ses consignes de prudence, montre qu'il refuse de critiquer une position parce qu'elle est officielle, Leyvraz devient alors un fils récalcitrant qui veut pouvoir conserver la liberté de ses opinions et de ses combats. L'Affaire Paderewski (qui le poussera, au nom de la Justice, à s'en prendre aux plus hautes autorités du pays), et celle de l'armement atomique l'amèneront à être aux avant-postes d'un mouvement qui va se dessiner dans le catholicisme : celui d'une contestation affichée face à l'autorité.

La manière par laquelle on tente d'écarter Leyvraz du Courrier est, elle aussi, représentative; elle annonce un mode de faire aujourd'hui désigné sous le terme de "mobbing" : en écartant le rédacteur en chef des instances dirigeantes, on l'empêche de communiquer, de s'exprimer, de s'expliquer, attitude dont il se plaint souvent. On le discrédite en disant que, même s'il est certes un bon journaliste, il n'a pas les capacités requises pour être rédacteur en chef. En s'appuyant sur l'analyse faite par Gabel, on démolit son travail en critiquant sa conception du journal. Enfin, sans le lui dire ouvertement, alors qu'un cahier des charges l'amène à croire qu'une clarification est intervenue, on change l'attribution de ses tâches en les confiant à un autre.

Bref, la vie et l'oeuvre de René Leyvraz constituent un véritable appui pour connaître et comprendre une tranche de l'histoire riche en surprises et en rebondissements.