1.2.2. Un rapport influencé par la publicité comme mode de financement privilégié de la presse spécialisée.

Le développement actuel de la presse spécialisée, et d’une manière plus générale le succès du marketing publicitaire dans le domaine de la communication, est à relier à un mouvement de saturation du marché de masse. Deux voies, souvent suivies conjointement, permettent d’y échapper : ‘“ ouvrir de nouveaux marchés à l’extérieur ” et “ réarticuler le marché à l’intérieur ”’ 47 .

La première consiste à étendre le nombre de personnes susceptibles à la fois d’être intéressées par une information bien précise et de payer pour l’obtenir. Le mouvement de spécialisation de l’information trouve alors dans l’internationalisation une solution à l’élargissement de sa “ zone de chalandise ”. La mainmise de groupes multinationaux sur le secteur de la presse magazine britannique peut ainsi être mise en évidence dans cette perspective d’industrialisation de la culture 48 . Le déclin des marchés de masse est même envisagé pour les sociétés post-fordistes comme aboutissant à la fabrication par les firmes multinationales non seulement de produits culturels mais également d’audiences à l’échelle planétaire par la diffusion de modes et de centres d’intérêt qui dépassent les frontières.

La seconde voie revient à compenser la faiblesse des revenus de la vente, due à l’amoindrissement du nombre des lecteurs, par une hausse des recettes publicitaires. Cette formule convient parfaitement à l’information spécialisée puisque celle-ci attire fortement les annonceurs, séduits par la possibilité de toucher en priorité des acheteurs potentiels de produits ou services liés au domaine abordé : ‘“ trend is toward magazines that focus their editorial content and advertising on carefully identified groups of readers (...) and potential buyers of advertised products ”’ 49 .

L’information spécialisée trouve donc sa rentabilité par le biais de moyens totalement adaptés à la société marchande. Ses implications sur la nature de la médiation des divers domaines d’activité se ressentent alors de manière très sensible, surtout celles héritées de la publicité qui, davantage que l’internationalisation, reste le mode de financement majeur de la presse spécialisée en France. Deux niveaux de l’inflexion produite par la publicité sur le rapport entre l’information spécialisée et le domaine auquel elle est consacrée peuvent être distingués.

Le premier équivaut simplement à la transposition des conséquences du marketing sur le “ découpage du monde ” par la presse évoquées précédemment. Le passage d’un journal-produit à un journal-support d’audience proposée à des annonceurs - car ‘“ dans les quotidiens, bien des pages magazine sont nées du souci d’offrir une page spécialisée à la publicité et non de celui de répondre aux besoins des lecteurs en ordonnant au mieux le contenu du journal ”’ 50 ‘ -’ se traduit par :

Le second niveau est celui où les annonceurs pèsent tellement sur la publication qu’ils en influencent le contenu avec pour conséquence ‘“ une...certaine indistinction entre le rédactionnel et le publicitaire ”’ 52 au point que ‘“ certaines catégories de magazines apparaissent même comme des sortes de sous-produits publicitaires d’un marché économique spécialisé ”’ 53 . Certaines spécialités médiatiques - comme celle du sport par exemple : ‘“ La presse sportive (...) est liée intimement à l’événement qu’elle a créé, ou qu’elle a contribué et encouragé à créer et dont elle a tiré, tire, et tirera toujours profit. Elle fait vivre le sport, parce qu’elle vit du sport ”’ 54 - témoignent ainsi d’une totale imbrication entre l’information spécialisée et le domaine auquel elle est consacrée.

Notes
47.

ACHACHE Gilles, 1991, Le marketing politique, in Hermès, n° 4, pp. 103-112.

48.

DRIVER Stephen, GILLESPIE Andrew, 1993, Structural change in the cultural industries : British magazine publishing in the 1980s, in Media, Culture and Society, vol. 15, pp. 183-201.

49.

AGEE Warren K., AULT Phillip H., EMERY Edwin, 1989, Introduction aux communications de masse, Bruxelles : De Boeck-Wesmael, p. 160.

50.

ALBERT Pierre, 1990, op. cit., p. 84.

51.

BONVOISIN Samra-Martine, MAGNIEN Michèle, 1986, La presse féminine, Paris : P.U.F, coll. Que-Sais-Je ?

52.

MIEGE Bernard, 1989, op. cit., p. 148.

53.

ALBERT Pierre, 1990, op. cit., p. 84.

54.

MARCHAND Jacques, 1989, La presse sportive, Paris : C.F.P.J., p. 12.