Première partie :
La période des expérimentations d’inspiration cybernétique. La naissance de la presse multimédia.

Introduction première partie

La presse multimédia a connu une phase initiale de développement plutôt originale. Ses spécificités, et en particulier ses extensions inédites sur CD-Rom et l’Internet, ont contribué à infléchir les modalités caractéristiques de la naissance d’une nouvelle spécialité médiatique.

La représentation du domaine offerte par la presse multimédia, est héritée des visions d’inspiration cybernétique d’une société reliée par les réseaux de communication. A la limite du monde de l’informatique et de celui de la science-fiction, elle résulte de l’univers social dans lequel baignent ses premiers vulgarisateurs. Elle n’est commandée par aucune étude de marché préalable, et les annonceurs encore trop frileux n’exercent quasiment aucune pression.

Cette configuration de départ est très particulière, mais n’est pas complètement surprenante. L’apparition d’un nouveau thème dans la presse spécialisée est toujours marqué par une insertion importante des rédacteurs dans le domaine, dont ils sont souvent originaires. Ils sont en effet eux-mêmes représentatifs des lecteurs, donc quasiment le seul point de repère pour les entrepreneurs de presse qui à ce moment ne peuvent mener d’études significatives sur ce qu’ils estiment être un marché à l’avenir florissant. Ce qui autorise au total une certaine créativité, loin des contraintes économiques habituelles.

L’originalité de la description médiatique du thème du multimédia naît ainsi de ces conditions, assez courantes dans la presse spécialisée. Toutefois, elle acquiert un caractère spécifique, directement lié à sa diversification sur les supports CD-Rom et Internet.

Une profonde transformation des différentes formes de la presse multimédia est ainsi repérable : l’apparence graphique des magazines papier comme l’ergonomie des extensions sur supports CD-Rom et Web, sont directement en relation avec l’approche du contenu des publications qu’elles tendent à refléter.

Cette “ cyberattitude ” est répandue grâce aux éditions électroniques, majoritairement détenues par les nouveaux acteurs médiatiques : journalistes bien sûr, mais surtout passionnés et hobbyistes. Ces derniers exercent bénévolement, généralement d’autant plus qu’ils considèrent le réseau Internet comme un espace non-marchand, dans la tradition de libre circulation et d’échange réciproque de l’information dont ils sont les héritiers.

Nous verrons ainsi dans un premier temps que la presse multimédia s’intéresse dans cette période aux transformations de la société induites par les nouvelles technologies de communication. Il s’agit d’une vision du multimédia fortement teintée de cyberculture.

Celle-ci s’appuie sur des idées récurrentes et caractéristiques telles que la modernité, assimilée aux technologies de communication; la supériorité du social sur la technique; ou encore l’insistance sur la liberté de circulation de l’information, au point de “ flirter ” avec le libéralisme. Elle s’exprime tant au niveau du contenu que du contenant, avec un véritable mimétisme entre l’édition papier et l’édition électronique, marquée par de nombreuses expérimentations techniques, souvent futuristes.

De ce fond idéologique commun, ressortent tout de même deux grands types de publications :

Le premier rassemble des revues inspirées par la pensée cybernétique. Elles représentent la tendance “ underground ” ou “ branchée ” de l’informatique, et connaissent un nouveau regain avec les espoirs issus des progrès de la numérisation.

Le second courant, que nous qualifierons de “ multimédia et société ”, regroupe des publications moins travaillées par l’idéologie-utopie de la communication. Les nouvelles technologies de communication et en particulier l’Internet y sont envisagées à partir de leurs implications sur de nombreux et très divers aspects de la vie sociale. Par ce côté, le courant “ multimédia et société ” annonce la phase suivante.

Les versions électroniques de la presse multimédia lors de cette période seront analysées plus spécifiquement dans un second temps. Elles se distinguent par le fait d’être fortement différenciées du support papier, soit parce que les dimensions qui y sont développées ne sont pas les mêmes, soit parce que certaines publications n’existent qu’en version électronique.

Concernant le premier point, nous verrons que deux cas de figures se présentent. Les dimensions développées sur support multimédia peuvent consister en l’accélération de celles présentes sur le support papier : ainsi de l’actualisation qui peut pallier au rythme de parution le plus souvent mensuel des magazines papier, des forums qui substituent un dialogue plus direct au courrier des lecteurs médié par les journaux, ou encore des tentatives de personnalisation de l’information qui vont au-delà de la spécialisation des thèmes de la presse. Mais d’autres dimensions, inédites, n’existent parfois pas sur le support papier et sont alors expérimentées : “univers virtuels ” dans la presse, expositions d’“ art numérique ” à partir d’applications audio ou vidéo, développement de diverses activités de service.

Puis nous étudierons en détail l’aspect des publications exclusivement disponibles sur support multimédia. Distinguant celles produites par des acteurs médiatiques professionnels et celles réalisées par des amateurs, nous tenterons de repérer pour chacune les dimensions privilégiées et leur complémentarité avec la presse existante sur support imprimé. Nous constaterons alors qu’émerge une dimension de pratique qui deviendra déterminante par la suite.

Les facteurs explicatifs de cette représentation du multimédia et de cette articulation entre les deux types de supports lors de cette période cyber de la presse multimédia, seront présentés dans un troisième temps. Les niveaux d’interdépendance entre les acteurs et d’influence des critères économiques présentent la particularité d’être non seulement typiques des débuts du cycle de constitution d’une presse spécialisée mais également de tenir aux spécificités de notre objet de recherche.

On constate ainsi une certaine confusion entre les acteurs médiatiques et les acteurs du domaine. Tout d’abord, parce que c’est une période où les groupes de presse traditionnels peinent à véritablement apprécier les contours de la nouvelle spécialité informationnelle : en conséquence, ils délèguent une part de leurs choix éditoriaux à des rédacteurs chargés de cerner médiatiquement le nouveau secteur parce qu’ils en sont justement issus. Mais, au delà de cette phase relativement habituelle de test du marché, il faut, pour complètement expliquer les expérimentations tant sur le contenu que sur le contenant des débuts de la presse multimédia, relever l’apparition de nouveaux acteurs médiatiques par le biais des supports multimédias. Un fait nouveau consiste en effet en ce que des acteurs du domaine peuvent eux aussi, grâce aux nouveaux supports, devenir acteurs médiatiques. D’autant plus que leur familiarité avec la technique constitue un artefact facilitant leur mutation d’acteurs du multimédia en acteurs médiatiques.

Parallèlement, les facteurs économiques pèsent moins qu’à l’accoutumée. Là encore, pour des raisons tout à fait habituelles dans une telle période où le choix des thèmes et des sujets relève davantage de l’intuitif que du recours au marketing. Mais aussi parce que la forte diversification sur support multimédia et Internet repose sur une logique hobbyiste, et surtout parce que l’Internet est encore à l’époque totalement empreint de sa tradition de gratuité. Il s’agit ici d’un nouvel artefact dû aux spécificités de la presse multimédia : les acteurs qui se lancent dans la conception de supports médiatiques sur Internet sont encore plus sensibles que d’autres à cet aspect de libre accès à l’information et d’échange réciproque.