Première section :
La représentation, d’inspiration cybernétique, d’une transformation de la société par les N.T.I.C.

Introduction première section

Dans cette première moitié des années 90, en même temps que progressent les technologies de numérisation et de compression des signaux, se développe ou plutôt se réactive un ensemble de visions portant sur les nouvelles technologies de communication (principalement réunies autour de l’informatique, de l’audiovisuel et des télécommunications) qui font référence à la théorie cybernétique. Ces discours s’appuient sur une matrice idéologique que certains auteurs, parmi lesquels Philippe Breton, qualifient d’utopie de la communication 140 .

D’après lui, l’idéologie de la communication se transmet par quatre voies d’influence intellectuelle.

  • La première se développe au sein du champ scientifique, la communication devenant un thème transversal pour un certain nombre de disciplines.
  • La deuxième est celle de la littérature de vulgarisation qui consacre une place de plus en plus importante à cette nouvelle problématique.
  • La troisième est celle de la littérature de science fiction : le terme “ cyberespace ” a d’ailleurs été employé pour la première fois par le romancier William Gibson dans son ouvrage Neuromancer publié en 1984.
  • La quatrième voie, enfin, est celle des essayistes, des futurologues, qui essaient de décrire les transformations sociales imputables selon eux aux nouvelles technologies de communication et en particulier à l’informatique.

La presse spécialisée grand public, qui nous intéresse ici, est certainement à repérer dans la deuxième catégorie de ces modes de transmission de l’utopie de la communication : celle qui concerne la littérature de vulgarisation. Elle a connu ces dernières années une forte croissance avec le développement de l’Internet, symbolisée par l’avènement de la revue Wired, mondialement connue et portant en elle cette idée de transformation de la société par les nouvelles technologies. Patrice Flichy, dans un article consacré aux relations entre utopie et innovation dans le cas du développement d’Internet la décrit ainsi : ‘“ la revue constituera l’organe d’expression de la contre-culture informatique associant information technique, spiritualisme new-age et hyperbole futuriste ”’ 141 .

Les magazines spécialisés qui se développent en France à l’époque n’échappent pas non plus à ce mouvement : tout devient “ cyber-ceci ”, “ cyber-cela ”, comme métamorphosé par les N.T.I.C et en particulier l’Internet. Plus précisément, les publications consacrées au multimédia lors de cette période présentent un certain nombre de traits communs qui constituent leur vision spécifique du domaine.

Le premier de ces éléments fédérateurs consiste à associer le multimédia à la modernité, au futur. Ceci s’exprime dans le contenu des articles, mais peut-être plus encore dans les illustrations, dans les graphismes.

La seconde vision commune est de considérer que la technique doit être inféodée au social et revient alors à repérer toutes les applications qui peuvent être faites de l’ordinateur, des télécommunications, de l’Internet en général.

Enfin, l’accent est très souvent mis sur une troisième dimension, celle de la liberté de communication, héritée d’une vision idéologique de la cyberculture, de type libertaire. Ce thème de la liberté de communication est d’ailleurs souvent réadapté au discours libéral dominant, dans une perspective de liberté des échanges.

Ces trois éléments, qui constituent les caractéristiques du fond idéologique commun de la presse multimédia lors de son apparition, sont visibles également dans sa forme. Le support papier tout comme les supports électroniques retraduisent dans leur aspect graphique et leur architecture ergonomique les idées qui sont émises à l’intérieur des textes. L’édition imprimée adopte une allure proche de la structuration informatique, et les versions électroniques, tant sur CD-Rom que sur Internet, tendent par leur appareillage multimodal à refléter l’esprit futuriste et techniciste de la presse multimédia naissante.

Nous procéderons ensuite à une analyse plus détaillée de cette représentation du multimédia en distinguant deux courants.

Le premier, que nous avons nommé courant “ underground ” ou “ branché ”, est composé de magazines et de supports électroniques directement inspirés par la cyberculture.

Le deuxième courant, que nous avons intitulé “ multimédia et société ”, est un peu plus détaché de cette tradition idéologique originelle. Il semble plutôt annoncer la phase suivante de l’évolution de la presse multimédia : il conserve les éléments caractérisant la vision “ cyber ” du multimédia, mais sous un aspect journalistique plus classique.

Notes
140.

BRETON Philippe, 1997a, op. cit.

141.

FLICHY Patrice, 1997, op. cit., p. 67.