1.2.1. Le mimétisme entre l’édition imprimée et l’objet qu’elle décrit.

L’une des premières choses qui attire le regard lorsque l’on a entre les mains les magazines consacrées au multimédia lors de cette période, c’est leur ressemblance avec l’objet qu’elles décrivent.

Sur le support imprimé de la publication, tant au niveau de son code, de sa forme que de son canal, transparaissent les trois dimensions que nous avons explicitées auparavant, c’est à dire la modernité, le rapport à la technique et la liberté de communication.

Les codes spécifiques du langage des Internautes sont par exemple reproduits à l’identique dans les pages des magazines.

Les signes graphiques couramment utilisés sur l’Internet sont aussi présents de manière très fréquente dans les pages des magazines papier.

Ainsi des “ smileys ” employés dans le courrier électronique pour exprimer des sentiments non visibles par écran informatique interposé. Parmi les plus usités de ces icônes, visages aux trois quarts renversés et fabriqués à partir du clavier en combinant des virgules avec des tirets, des points, etc., figurent :-) pour la joie ou au contraire :-( pour la déception, et ;-) pour la complicité.

De la même manière, l’arobace “ @ ”, qui exprime le lieu d’une adresse électronique en temps normaux sur l’Internet, apparaît comme le symbole alphabétique de cette nouvelle langue particulière aux Internautes, et lui confère un caractère de modernité.

Une autre forme de ressemblance entre les deux supports montre l’influence du multimédia sur le papier : elle consiste en la reprise pour les noms de rubriques du magazine, des titres ou des appellations des groupes de discussions sur l’Internet.

Ainsi, une sous-rubrique des brèves du magazine Planète Internet s’appelle “ alt.news.bidon ” et recense justement les propos les plus délirants des forums de l’Internet. Ce genre d’appellations est aussi utilisé de manière plus conjoncturelle comme dans le n°13 où un article sur un sculpteur est classé à la rubrique “ alt.art ”.

Dans ce même désir de modernisme, les forums de l’Internet servent également de modèles pour la présentation du courrier des lecteurs dans les magazines : une telle configuration est notamment adoptée par Internet Reporter.

Deuxième niveau d’analyse : le rapport entre l’attachement aux nouvelles technologies dans l’idéologie de la communication présente dans les contenus, et leur transposition dans la forme que prend le magazine papier, imitant l’apparence technique du support informatique.

On voit notamment proliférer dans les pages imprimées la forme de la fenêtre informatique. Dérivée des premières interfaces graphiques du Macintosh, reprise ensuite dans Windows, elle est aujourd’hui aisément reconnaissable. Le magazine Branché s’en sert notamment de manière très régulière, et ajoute à ce mimétisme déjà fort l’emploi des commandes issues des menus de cette interface graphique, et désormais conventionnelles comme par exemple : Démarrer, Cliquer, Quitter, Enregistrer, etc.

On trouve également dans ces revues un aspect graphique très développé qui n’est pas sans rapport avec l’attachement des acteurs médiatiques de cette période avec les nouvelles technologies et en particulier celles de l’infographie. Le magazine Univers Interactif en est très friand, mais de façon plus générale, le recours à l’infographie est réellement très développé dans l’ensemble des publications.

Troisième niveau d’analyse : le canal du contenant ou plus encore sa structure. L’architecture organisationnelle du support papier reproduit dans bien des cas celle du réseau informatique et en particulier l’hypertextualité de l’Internet.

Les sommaires des magazines présentent des rubriques reliées entre elles par une multitude de liens, matérialisés par des pointillés. Ceci selon un schéma en réseau, une organisation volontairement déstructurée et fondée sur des relations croisées, à opposer à la hiérarchisation linéaire traditionnelle des publications imprimées.

Ce nouveau type de maquette peut être en cela assimilé à l’idée de liberté de la communication car c’est une impression de fluidité de la lecture qui est recherchée par ce biais. La navigation à l’intérieur des informations contenues dans le magazine ne souffrirait d’aucun contrôle, serait complètement libérée de toute structuration préalable.

Cette conception d’une consultation spontanée ou analogique grâce à l’hypertextualité est ancienne. Vannevar Bush a développé la notion d’hypertexte en réaction au découpage des documents imprimés en paragraphes, sous-titres, sous-parties..., qui selon lui ne correspondait pas au fonctionnement de l’esprit humain. Il lui semblait impératif de mettre au point un système d’hypertexte proposant d’une part des instruments d’orientation beaucoup plus intuitifs et d’autre part des voies d’accès en forme de réseaux 157 .

De la dualité de cette définition découlent les deux principaux types de liens hypertextuels : associatif et organisationnel. Les premiers permettent, en cliquant sur un mot ou un texte, de faire apparaître le contenu qui s’y rapporte. Les seconds constituent par leur connexion la structure du document, et au final la trame de la lecture.

Le lien associatif est représenté dans les magazines par l’adjonction de photos ou de graphismes aux textes, reliés entre eux par des pointillés. C’est notamment le cas dans Univers Interactif, Branché, Internet Reporter et Planète Internet. Le lien organisationnel se place quant à lui plutôt dans le sommaire des magazines : celui-ci est volontairement présenté de manière désordonnée, invitant le lecteur à établir son propre choix entre les différents thèmes qui lui sont présentés, sans qu’il soit influencé par une quelconque mise en page trop contraignante. L’ensemble des magazines reprend cette structuration particulière et l’un d’entre eux va même jusqu’à imiter la forme d’une bases de données pour la présentation de sa table des matières : l’oeil.du.web répète sur le mode du fichier informatique, d’abord la page de l’article, ensuite la rubrique dans laquelle il est classé, puis le titre de l’article, et cela pour chacun des articles.

Avec une telle présentation de son sommaire, l’oeil.du.web est un magazine papier qui pousse à son paroxysme le mimétisme avec la structure multimédia ou informatique de l’objet décrit, dans une moindre mesure cependant que sur les supports multimédias eux-mêmes.

Notes
157.

BUSH Vannevar, 1945, As We May Think, in Atlantic Monthly, n° 176, pp. 31-32.