1.2.2. Les extensions électroniques de la presse multimédia comme expérimentations technologiques.

Pour les besoins de l’analyse, nous avons adapté les éléments de la typologie de l’écriture interactive établie par Olivier Koechlin 158 , aux spécificités des extensions électroniques des publications. Nous avons alors une nouvelle fois constaté une correspondance entre contenant et contenu : le support technique est exploité à son maximum et devient lui aussi l’expression de cette idéologie “ cyber ” de la presse multimédia.

Ainsi en ce qui concerne le premier aspect, celui du code, la modernité s’exprime par une sémantisation généralisée et très forte sur support électronique, les icônes revêtant très souvent une allure moderniste.

En ce qui concerne le deuxième point, celui de la forme, l’attachement à la technique se caractérise par une exploitation maximale de la multimodalité sur les nouveaux supports, c’est à dire l’ajout fréquent aux graphiques et aux textes de fonctions sonores et vidéo.

En ce qui concerne le niveau du canal ou de la structure, l’idéologie de liberté de communication sur les nouveaux réseaux informatiques se caractérise par la structuration du CD-Rom en hypertexte intuitif.

Premièrement donc, le code employé sur les versions électroniques retraduit l’idée de modernité présente dans la représentation du multimédia et ceci s’exprime en particulier dans la sémantisation.

Celle-ci est réellement généralisée sur les supports électroniques : à côté des inscriptions nominales, par exemple un nom de rubrique désignant tel ou tel compartiment de la publication, se surajoute un icône qui désigne de façon imagée ce que la rubrique contient. Prenons le cas du CD-Rom d’Univers Interactif où la rubrique Culture est symbolisée par un cerveau humain lumineux, de couleur orange, celle consacrée à Internet par une sorte de poste métallique bleu, lui aussi en surimpression par son aspect brillant sur fond sombre. Ces icônes, c’est à dire le code du support électronique, expriment la modernité non seulement parce qu’elles permettent d’aller directement à la rubrique en cliquant sur l’image concernée, mais aussi parce qu’elles s’inscrivent dans une tendance graphique “ mode ” ou “ branchée ”.

Plus généralement, c’est une vision futuriste qui transparaît dans cette sémantisation, notamment sur les sites Web de Cybersphère et de Internet Reporter. Le centre de la page d’accueil de Cybersphère est occupée par la représentation d’une planète, autour de laquelle sont tracées les orbites de plusieurs satellites, qui correspondent chacun à une des rubriques du magazine. Le magazine Internet Reporter apparaît à l’écran comme une ville stellaire, perdue au fin fond de l’espace, et dont chaque quartier indique, grâce à une pancarte, les différentes rubriques : News, Forum, Publicité, etc. Des satellites gravitent également autour de cet astre urbain : la planète Bonnes adresses, la planète Abonnements, une lune et un soleil qui l’éclairent, ou encore une fusée, inspirée directement de celle dessinée par Hergé dans Tintin, pour la rubrique Chroniques.

Mais plus encore que pour ces indices ou ces icônes, la sémantisation peut être abstraite et poussée en ce qui concerne les symboles, couramment employés sur les supports électroniques. Ceci est davantage avéré pour les fonctions que pour les rubriques, et rappelle à cet égard l’analyse produite par Gérard Poulain, affirmant que les métaphores en usage dans le multimédia doivent être considérées comme une intégration des trois mondes précédents 159 . En réalité, les métaphores fonctionnelles employées sur les extensions multimédias des publications proviennent effectivement de l’informatique - dossiers et fichiers, ouverture et enregistrement -, des télécommunications ou de la correspondance en général - la représentation d’une enveloppe postale pour le courrier électronique -, et de l’audiovisuel - les logos désormais conventionnels de la lecture, l’avance rapide, l’enregistrement,... notamment à travers la reprise du logiciel Quick Time -, mais apparaissent le plus souvent séparément.

Leur combinaison, comme le rapprochement entre leurs trois filières technologiques d’origine, accouche d’une configuration hybride et spécifique, dépassant leur simple juxtaposition. Elle s’inspire souvent de la barre graphique des logiciels de navigation les plus utilisés, comme Microsoft Internet Explorer ou Netscape Navigator. Ainsi les symboles de la maison, apparaissant sur l’une des touches comme une possibilité de retour au sommaire général de la publication, du haut-parleur, auquel est associé la fonction de réglage du volume sonore, ou encore des flèches, pour passer d’une page à une autre, constituent des figures récurrentes. Présentes dès les premiers numéros de La Vague Interactive, ces métaphores issues de l’Internet deviennent dominantes, CD-Média allant même jusqu’à reproduire directement le navigateur de Netscape pour se déplacer dans son CD-Rom.

Passons maintenant à la deuxième composante du support technique, celle de la forme. Elle traduit, à travers l’exploitation intensive de la multimodalité et une volonté plus grande d’interactivité, la fascination pour les innovations techniques observée dans le discours de la presse multimédia. Ses éditions électroniques lors de cette période, se caractérisent avant tout par leur recours massif au son et à la vidéo, au-delà des extraits textuels et des graphiques, même si ces derniers figurent toujours en très grande quantité.

Premier élément, notamment repérable sur les CD-Rom de La Vague Interactive, de CD Média ou d’Univers Interactif : un fond sonore accompagne la consultation des éditions multimédias de ces magazines tout au long de la navigation.

Ces revues peuvent se transformer plus directement encore en supports sonores. Certaines mettent à disposition des extraits audios d’oeuvres musicales : Univers Interactif offre ainsi avec ses “ tracks audio ” la possibilité d’écouter des morceaux sur son CD-Rom, et les propose parfois sous la forme de clips vidéo.

Cette utilisation de la vidéo est elle aussi généralisée puisque, sur plusieurs CD-Rom accompagnant ces magazines, figurent des séquences d’images animées. Elles consistent soit en la reprise d’extraits de films de cinéma, soit plus simplement et plus en rapport avec l’activité médiatique, en l’ajout de scènes filmées pour illustrer le discours de presse.

A la différence du support imprimé sur lequel les développements d’un texte - commentaires et illustrations - sont parfois éparpillés dans la publication, les différentes variations formelles d’une information peuvent immédiatement être reliées d’un simple clic. Sur le CD-Rom d’Univers Interactif par exemple, vont s’adjoindre à une information écrite sur un sujet donné, une version vidéo, un élément sonore, ou encore un complément infographique.

Cet attachement à la technique, et à l’exploitation maximale de ses formes les plus innovantes, s’exprime par l’utilisation généralisée d’éléments audio et vidéo mais toujours dans un sens précis : ils sont censés favoriser une dimension du nouveau support, celle de l’interactivité.

C’est ainsi que le balayage de l’écran grâce à la souris du micro-ordinateur enclenche des artifices visuels et des bruits impromptus, au passage du curseur sur une des zones de l’interface informatique. Ces signaux complètent les métaphores iconiques mentionnées précédemment, pour indiquer quel type d’information renferme la partie traversée. Le glissement sur une rubrique des CD-Roms de CD Média et Univers Interactif entraîne ainsi l’animation d’une image ou la diffusion d’un son caractéristique.

Remarquons ici que cette propension à pousser la technique au maximum se vérifie davantage sur le CD-Rom que sur les sites Web. Elle confirme que lors de cette première période de la presse multimédia, les nouvelles formes de l’édition électronique se développent avant tout sur le support CD-Rom.

C’est le cas également pour le troisième point, celui du canal du nouveau support technique, et en particulier sa structuration. L’idée de la libre circulation d’informations dans une société formée de réseaux de communication se matérialise, dans l’édition électronique de la revue, autour d’une architecture hypertextuelle qui privilégie la démarche intuitive.

La présentation de la publication de presse sur support multimédia se distingue fortement de son apparence traditionnelle sur l’imprimé. A la linéarisation sobre du papier se substitue une interface plus désordonnée, chaque rubrique apparaissant côte à côte sans véritable agencement rationnel. Cette apparence graphique donne l’impression d’une liberté de choix donné au lecteur ou à l’utilisateur du CD-Rom ou du site Web : elle laisse un ensemble de possibilités ouvert, dans lequel il peut s’orienter selon son bon vouloir, selon sa propre liberté d’action.

Cette configuration a caractérisé dès le début les éditions CD-Rom des revues étudiées, La Vague Interactive en tête, n’inspirant qu’ensuite leurs homologues du Web, Cybersphère ou Internet Reporter notamment. Rien d’étonnant à cela car il s’agit du mode particulier d’écriture du CD-Rom.

Celui-ci, comme l’a analysé Emmanuel Ethis, ne respecte pas le principe classique de clarification, autrement dit de division et subdivision régulières en parties et sous-parties, qui a jusqu’ici fait le succès des supports de la transmission du savoir 160 . Cette approche traditionnelle serait aujourd’hui sur le point de disparaître dans les nouvelles technologies de communication et notamment le CD-Rom. En partie à cause de la “ personnalité modale ” de leurs concepteurs : ‘“ Agés de 25 à 35 ans, ils ont, au delà de leur parcours d’apprentissage professionnel souvent identique, des référents culturels très similaires : tous présentent une très grande appétence pour des loisirs télévisuels distillés depuis l’enfance autour de quelques séries TV cultes (feuilletons policiers, fantastique et science-fiction actualisées aujourd’hui principalement dans des propositions qui vont des X-Files aux Guignols de l’Info) ”’ 161 .

Ce profil si caractéristique est très proche de celui des auteurs des éditions électroniques de la presse multimédia. Il tendrait expliquer la structuration particulière de ces publications, imitant celle des réseaux de communication, et sans doute l’attachement aux formes techniques audiovisuelles ainsi que la modernité du code de ces nouveaux supports que sont le CD-Rom et l’Internet.

Il apparaît au final que c’est autant au niveau de son contenu que de son contenant que la presse se caractérise par un aspect teint de cybernétique dans sa description du multimédia lors de cette période. Plus précisément, on peut en distinguer deux phases regroupant deux grands types de magazines et autant de degrés de cette idéologie de la communication et de sa reproduction sur les nouveaux supports techniques.

Notes
158.

KOECHLIN Olivier, 1995, Existe-t-il une écriture interactive ?, in Dossiers de l'audiovisuel, n° 64, pp. 10-12.

159.

POULAIN Gérard, 1996, Métaphore et multimédia - Concepts et applications, Paris : La Documentation Française / CNET-ENST, Collection technique et scientifique des télécommunications.

160.

ETHIS Emmanuel, CD-Rom /Internet et accès au savoir, in Communication et langages, n° 113, pp. 16-27.

161.

Ibid, p. 23.