2.1.1. Une représentation du multimédia très fortement imprégnée de l’idéologie-utopie de la communication.

La référence à la cybernétique, et plus indirectement à toute l’idéologie de la communication qui l’accompagne, est clairement exprimée dans l’ensemble de ces publications. Elles sont toutefois de deux sortes, underground ou branchées.

Les premières, subissent une influence beaucoup plus informatique : elles s’intéressent davantage à tout ce qui concerne la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, ou encore la théorie du chaos héritée des mathématiques.

Les secondes sont davantage portées vers une contre-culture où la cybernétique constitue un modèle sociétal censé annoncer un changement d’ère socioculturelle.

La revue Clone illustre de manière très symptomatique la première tendance par son attachement à relater toutes les expériences en matière de réalité virtuelle et de nouvelles technologies. Dans son n°4 par exemple, elle consacre des dossiers à Alpha World, c’est-à-dire à l’émergence des communautés virtuelles, aux “ ordifringues ”, des vêtements composés de processeurs informatiques, ou encore aux images de synthèse et à un compositeur de musique cybernétique.

La seconde tendance, elle, s’attache davantage aux aspects concernant le mode de vie ou encore la culture interactive. Pas étonnant dès lors de constater qu’à ces magazines collaborent des journalistes appartenant à des organes de presse ayant décrit la contre-culture issue des années 70. Ainsi des rédacteurs de la revue Actuel ont travaillé pour Univers Interactif et ont participé à l’élaboration d’un dossier dans chaque exemplaire de La Vague Interactive : “ Narco-Planète ” dans le n°1, “ Sciences, vous avez dit erreur? ” dans le n°2, ou encore “ Média - La télé intelligente ” dans le n°3. Ajoutons à ce groupe de magazines la revue l’oeil.du.web, parue plus tard, d’octobre 1996 à février 1997, mais où l’on peut déceler une résurgence de la même cyberculture, cette fois réadaptée à un public plus jeune, celui des Internautes, avec des sujets concernant visiblement des gens dont l’âge varie de 15 à 25 ans.

Ces deux tendances correspondent à des variations autour d’un même thème, celui de l’idéologie de la communication, dont nous allons analyser maintenant le détail en détachant les trois composantes recensées précédemment : modernité revendiquée, attirance pour le high-tech , et liberté de la communication.

La modernité s’exprime dans le magazine Clone par une insistance sur la science fiction. Cette référence se retrouve notamment dans les prédictions sur le chaos, prétendue menace pour l’humanité, et également dans des dessins très nombreux de bandes dessinées futuristes.

C’est plutôt en terme de mode qu’est exprimée la modernité dans Univers Interactif, dans La Vague Interactive ou dans l’oeil.du.web : s’attacher à l’idéologie de la communication et s’intéresser à ces modes de vie, revient à se positionner à l’avant garde des courants sociétaux selon ces magazines. Ainsi, par exemple, Univers Interactif consacre un long article aux “ Zippies ”, ces nouveaux hippies de l’ère électronique en détaillant, grâce notamment à un grand nombre de photos prises lors d’un rassemblement, leurs différentes tenues vestimentaires.

Des différences peut-être encore plus fortes se manifestent au niveau de l’attachement à la technologie de pointe.

Pour la branche underground, dont le socle est avant tout constitué par l’informatique, la technologie en elle-même paraît très importante et déterminante par rapport à la société qui l’entoure. Leurs auteurs sont persuadés que la moindre petite puce informatique est susceptible d’engendrer des changements considérables.

En revanche, dans des magazines comme Univers Interactif ou La Vague Interactive, la technique est considérée dans sa dimension esthétique. De manière plus générale, ces revues s’interrogent constamment sur le type de société qui pourrait correspondre à cette nouvelle ère cybernétique, résultant notamment des maillages entre télécommunications et informatique.

Si la défense de la liberté de communication est affirmée dans les deux types de magazines, elle s’exprime toutefois dans des idéologies assez différentes.

Dans la revue Clone, c’est une liberté presque sans limite qui apparaît, souvent appliquée au niveau des pratiques sexuelles. Dans ce domaine, les tabous sont considérés comme devant être levés ainsi que l’expriment des illustrations et des articles consacrés au sadomasochisme ou à la pornographie, et de manière plus permanente par les bandes dessinées de science fiction bien souvent inspirées par des mangas à caractère sexuel. Il s’agit donc dans cette revue d’une aspiration globale à la libération des moeurs plutôt que d’une remise en cause des pouvoirs publics. Les prérogatives de l’Etat sont tout de même parfois dénoncées par les journalistes de Clone, mais sur des sujets tels que la cryptographie ou la chiffrématique leur tenant particulièrement à coeur, en raison de leur habitus scientifique, plus précisément mathématico-informatique.

Dans les autres revues, l’aspect libertaire s’exprime de manière beaucoup plus abstraite, consistant davantage en un intellectualisme révolutionnaire. Il s’exprime d’une part dans une opposition aux pouvoirs établis quels qu’ils soient, bien que les pouvoirs étatiques soient le plus souvent visés, et d’autre part dans une attente de bouleversements majeurs et en profondeur de la société. Ses mutations, suite au développement de l’informatique et d’une manière générale des technologies nouvelles, sont impatiemment espérées et avec une grande dose d’enthousiasme.