2.2.1. Une représentation de type journalistique des aspects concrets du multimédia.

L’idéologie d’une transformation de la société par les nouvelles technologies de communication n’a pas disparu, mais est présente sous une forme plus resserrée. Ceci en même temps que l’objet décrit lui-même est devenu plus concret et matérialisé autour des dispositifs du multimédia tels que le CD-Rom, l’Internet ou encore les différents types de services en ligne.

Ces magazines s’attachent donc à relater les premières utilisations ou les premières expérimentations de ces nouveaux produits qui viennent d’être mis sur le marché dans une perspective plus journalistique. Ils rapportent des faits concrets, ou extrapolent mais seulement à partir de ces premières utilisations effectives. En ce sens, le courant “ multimédia et société ” se distingue du courant “ avant-gardiste ” qui, lui, se plongeait dans des prospectives ou des imaginations de ce que serait la société du futur à partir d’éléments vagues, d’utopies tirées des possibilités de dispositifs imaginés, qui pour la plupart n’existaient pas encore, ou en tout cas, n’avaient pas encore été approchés de manière concrète par les journalistes.

L’idéologie du courant “ multimédia et société ” est sans doute à rapprocher de la thématique “ technique et société ” apparue il y a une vingtaine d’années. Cette dernière regroupait des personnes souvent issues de l’informatique ou des sciences dures, s’interrogeant sur les conséquences de l’informatique ou de la technique dans notre vie quotidienne. Une approche semblable est ici exprimée en ce qui concerne les trois composantes de l’idéologie de la communication caractérisant la presse multimédia.

Le thème de la modernité est évidemment toujours présent dans ce courant “ multimédia et société ”, mais d’une manière différente du précédent. Le courant “ avant-gardiste ” était une vraie projection dans l’avenir, quitte à utiliser la science fiction. Le courant “ multimédia et société ” est en revanche plutôt une description de ce qu’en sont les matériels et les dispositifs les plus modernes.

Certains magazines se concentrent sur les dispositifs les plus innovants. C’est le cas notamment de Branché qui s’intéresse par exemple au mobile connectable à l’Internet par un téléphone lui aussi mobile, également aux dispositifs de réalité virtuelle dans les jeux vidéo ou encore à l’utilisation de l’écran de l’ordinateur pour faire transiter des images de cinéma ou tout simplement un programme de télévision.

Les préoccupations des autres magazines sont en revanche beaucoup plus étendues. Planète Internet ou Internet Reporter s’intéressent aux transformations de la société dans son ensemble, induites par les nouveaux dispositifs qui se mettent en place, allant des autoroutes de l’information à l’Internet. Les différents types d’activités sociales traditionnelles deviennent alors modernisés par l’ajout d’une dimension multimédiatique à leur fonctionnement habituel. Ainsi, le commerce devient électronique, l’espionnage est numérique, l’éducation peut se faire à distance de même que l’ensemble des activités professionnelles avec le télétravail, la police dispose de nouveaux moyens de contrôle pour faire face à une délinquance qui s’internationalise. L’Internet devient une chance pour les pays en voie de développement ou les pays de l’ancien bloc soviétique, et aussi un moyen de remédier au chômage par les offres d’emploi qui sont disponibles sur le réseau. Autant de sujets qui concernent tour à tour Planète Internet et Internet Reporter et annoncent le resserrement de ces magazines autour d’une approche plus journalistique de la modernisation du fonctionnement social par ces nouvelles technologies.

Deuxième composante de l’idéologie de la communication lors de cette période cyber de la presse multimédia, l’attachement à la technique est lui aussi présent mais de manière plus atténuée dans le courant “ multimédia et société ” que dans le courant avant-gardiste. La nouveauté réside donc dans le fait que l’émerveillement constaté dans cette période pour les nouvelles technologies naît d’objets et de dispositifs existants.

On constate cependant une gradation dans ces appréciations. Des magazines tels que Branché vont se concentrer sur les prototypes ou les expérimentations en petites séries, tandis que Planète Internet et surtout Internet Reporter vont se concentrer sur des matériels appelés à se généraliser.

La convergence des technologies de communication qui se met progressivement en place est au centre de leurs préoccupations quand ils envisagent, dans une constante fascination devant la technique, les possibilités d’une transformation de la société. C’est ainsi qu’ils anticipent directement sur la nécessité d’un équipement généralisé en fibre optique, câble et satellite, pour la mise en place des autoroutes de l’information.

Au fur et à mesure que le multimédia se réduit à l’Internet, et que les grandes capacités de débit pour la communication deviennent moins primordiales, les journalistes sont amenés à constater que leurs espoirs s’estompent peu à peu. Ils se rabattent alors sur des technologies intermédiaires, telles que les lignes Numéris pour accroître les potentialités de la voie téléphonique.

Troisième niveau d’analyse de l’idéologie de la communication : celui de la liberté. Le passage du courant avant-gardiste au courant “ multimédia et société ” est précisément celui où l’on peut découvrir sous nos yeux la collusion en train de se faire entre l’idéologie libertaire et l’idéologie libérale. Dans le courant avant-gardiste, étaient représentés à la fois les utilisateurs libertaires des débuts de l’informatique et la voie contre-culturelle, anarchisante et intellectuelle, des revues de sensibilité littéraire.

Ce vieux fond libertaire est toujours présent dans le nouveau courant, mais il est réactivé et transformé par l’idéologie libérale qui se propage en même temps que se mettent en place les autoroutes de l’information et l’Internet. Ces nouveaux dispositifs sont en effet à la fois promus par les Etats d’Europe Occidentale, et surtout Anglo-saxons, où l’idéologie libérale est dominante, et également par les entreprises multinationales qui ont intérêt au libre échange dans une économie mondialisée où elles demeurent toutes puissantes.

Ainsi dans ce courant “ multimédia et société ”, et en particulier dans les magazines Planète Internet ou Internet Reporter, les dénonciations de la censure sur l’Internet, envisagée en terme de limitation de la liberté d’expression, sont reprises par des attaques souvent directes contre les pouvoirs publics. D’une manière plus générale, tout ce qui empêche la libre concurrence ou la liberté d’action sur l’ensemble des marchés est critiqué. A cet égard, France Télécom, devenu la cible principale de ces magazines, est présenté dans de nombreux articles comme emblématique de cette impossibilité de mettre en place les autoroutes de l’information ou un Internet moins chers en France.