1.2.1. Une description enthousiaste tenant aux classiques intérêts communs des acteurs, accrue par l’implication de la presse dans le domaine du multimédia.

Dans la période d’apparition de la presse multimédia comme pour toute spécialité médiatique émergente, les relations entre acteurs médiatiques et acteurs du domaine sont facilitées par la poursuite d’un objectif commun.

Il s’agit pour tous de faire exister ce nouveau domaine :

  • les pionniers du multimédia espèrent qu’ils seront aussi les leaders de ce secteur lors de son expansion.
  • les acteurs médiatiques imaginent, de la même manière, que leur expérience de défrichage de ce nouveau terrain journalistique sera capitale s’il est amené à se développer.

Dans ces conditions, la collaboration entre les deux catégories d’acteurs devient naturelle et à double sens. Les acteurs du domaine perçoivent la presse comme un vecteur de propagande et de notoriété pour leur activité. Ils n’hésitent donc pas à répondre aux nombreuses sollicitations des acteurs médiatiques. Ceux-ci ont de leur côté besoin de telles sources d’informations, fort rares dans cette période de démarrage, afin de conférer une certaine consistance à l’objet qu’ils décrivent.

Ce processus de collaboration conjoncturelle se traduit dans les nombreux exemples d’applications sociales du multimédia et leurs illustrations tous azimuts fournis par les services de communication des acteurs institutionnels à Internet Reporter ou à Planète Internet. Plus concrètement, les versions de démonstrations de jeux vidéo ou les versions gratuites de logiciels, cédées aux revues pour leurs extensions CD-Roms, contribuent à amorcer le marché.

Cette médiatisation typiquement consensuelle d’un nouveau domaine comme le multimédia, est affectée par les intérêts de la presse dans ce secteur.

Tout d’abord, les acteurs médiatiques estiment que le multimédia constitue non seulement une opportunité actuelle de diversification, mais plus largement leur horizon futur.

Les magazines du courant “ multimédia et société ” sont déjà clairement engagés dans cette voie. Internet Reporter appartient à un groupe de presse qui possède également une filiale, Imaginet, dont l’activité consiste à fournir des accès à l’Internet, à créer et héberger des sites Web, ou encore à acheminer des lignes numériques à haut débit. L’implication dans le multimédia se mesure sur une échelle encore supérieure pour Planète Internet dont le groupe de presse Grolier Interactive est lui-même une filiale d’un mastodonte de la communication, Matra-Hachette. Celui-ci est bien décidé, ainsi que l’indique une publicité, à allier le savoir-faire éditorial de Hachette aux compétences technologiques de Matra pour devenir un acteur incontournable de la convergence.

L’apologie du multimédia constatée dans la presse, n’est donc pas sans relation avec les ambitions de cette dernière dans l’unification entre les technologies de communication issues de l’informatique, des télécommunications ou justement des médias. Dans ce contexte, les acteurs médiatiques ne peuvent rester insensibles au développement de ce nouveau domaine et tendent à insister sur son caractère à la fois incontournable et révolutionnaire.

L’existence médiatique du multimédia se révèle ainsi stratégique à double titre pour la presse : un nouveau créneau journalistique en même temps qu’une auto-promotion de type corporatiste.

Celle-ci connaît en outre des variations selon chacune des publications. A l’intérêt général de la presse pour le domaine du multimédia, se surajoutent des intérêts particuliers : chaque acteur médiatique désireux de se faire une place dans ce nouvel eldorado a tendance à en orienter sa représentation dans un sens qui lui soit favorable.

L’attitude globale de la presse, de bienveillance à l’égard du multimédia, peut ainsi se fissurer en autant de points de vue que de positions espérées par les différents acteurs médiatiques dans le domaine en formation. Le risque devient alors grand que chaque magazine serve de vecteur de communication propre à l’un des acteurs médiatiques, par ailleurs engagé dans le multimédia, et module ainsi son discours en faveur de ses produits et de ses services.

Une telle situation a été directement vécue au sein du magazine Planète Internet. Il a cristallisé toutes les tensions, au point de conduire à l’arrêt de la publication. Le rédacteur en chef Jérôme Thorel explique qu’il a refusé de servir ce mélange des genres entre activité médiatique et activité au sein même du domaine : ‘“ Planète Internet est mort justement parce que son positionnement était unique dans la presse Internet : un journal d’informations (ces deux mots deviennent rares côte à côte), avec du politique, du social, de l’économie et du pratique critique. En face, l’actionnaire Grolier Interactive (branche on line de Matra-Hachette, mais qui n’a jamais réussi à convaincre Hachette d’investir dans le seul produit presse de Grolier), avait besoin d’un outil de communication, un canard comme les autres, angélique et béa devant la technologie. Il fallait servir de vecteur au marché, positiver au maximum, arrêter les enquêtes et les comparatifs minutieux des produits et des annonces ... (...) Je vous laisse imaginer les étincelles quand on nous a demandé d’être plus “ positif ” sur ce marché naissant, ne pas dénigrer, “ surtout pour les produits du groupe ” ...”’

Cet exemple illustre assez bien la première phase de la presse multimédia, certes propice au journalisme de communication, mais se fixant certaines limites déontologiques. Une analyse analogue peut être tirée de la forte extension de la presse multimédia sur les nouveaux supports électroniques. Elle s’est traduite par une intensification des relations entre les différents acteurs, facilitée par l’hypertextualité et la multiplication des sites Web, mais sans partialité due à des intérêts particuliers.