1.1.2. Des sujets récurrents et pour la plupart similaires.

La presse multimédia a connu lors de cette période de maturation un éclatement de ses approches. Pourtant celles-ci s’expriment paradoxalement dans des dossiers et des articles dont les sujets sont relativement comparables d’un magazine à l’autre. Les thèmes traités le sont de manière différente, parfois même selon des points de vue opposés, mais restent la plupart du temps identiques dans l’ensemble des publications, et semblent se succéder de façon régulière dans diverses revues.

Cette homogénéité des sujets et la régularité de leurs apparitions tient à deux facteurs qui montrent que la presse multimédia cherche alors une voie qui lui soit propre.

Ce phénomène témoigne en effet d’une part de la recherche d’un nouveau public, celui des lecteurs-Internautes récents ou futurs, qu’il convient d’initier et de familiariser avec la nouvelle technologie.

Il tient d’autre part, à la mise en place progressive d’un agenda médiatique spécifique au domaine du multimédia, illustrant sa progressive autonomisation et institutionnalisation.

La volonté d’attirer l’attention de nouveaux lecteurs et d’intéresser les vagues successives d’arrivants sur l’Internet est clairement exprimée.

Les propos de Luc Sohm, rédacteur en chef d’Ariane, en témoignent en ce qui concerne les magazines adhérant à l’approche “ loisirs ” : ‘“ Ce que je dirais également pour caractériser notre magazine c’est que, on s’intéresse essentiellement aux débutants sur l’Internet. Donc, en fait ça se résume souvent à présenter ce que l’on peut trouver sur l’Internet que ce soit le Web, le courrier électronique etc ... C’est une sorte d’initiation et en même temps une présentation des différents sites du Web sur lesquels nos lecteurs peuvent aller grâce à ce qu’on répertorie auparavant dans le magazine.(...) Effectivement il y a une évolution dans ce sens d’un peu plus de rédactionnel dans notre magazine, mais je dirais que cette partie rédactionnelle elle s’inscrit également dans notre démarche globale de notre magazine qui est d’aider les gens qui débutent. Donc, effectivement, s’il y a un peu plus de contenu, c’est pour aider le débutant, pour aider le novice, l’Internaute qui vient d’arriver sur le réseau, pour l’aider à se repérer, à comprendre. Et ensuite, je dirais que la partie répertoire constitue la base de notre magazine. J’ajouterais également que cette augmentation de la partie rédactionnelle correspond à une attente de notre lectorat. ”’

Un positionnement largement partagé par les revues qui adoptent l’approche “ professionnelle ”. Yann Boutin, rédacteur de CD-Rama déclare notamment à propos des supposées attentes des entreprises ou des personnes attirées par le multimédia eu titre de leur travail : ‘“ on savait par ailleurs que les articles sur Internet les intéressaient beaucoup et que ce qu’ils voulaient c’étaient des articles un peu mode d’emploi : comment faire un site Web ? Comment faire la promotion pour le site Web etc ... ? Et ça parce que c’étaient des trucs qu’ils ne savaient pas faire et ils en avaient le besoin. Je ne veux pas dire que ces articles étaient exhaustifs, ce n’était évidemment pas le cas, ils avaient surtout besoin de méthodes, ils ne savaient pas comment démarrer, ils ne savaient pas comment recruter, les compétences etc ... ”’.

Dans ces publications, les éléments tenant à l’initiation à l’Internet se renouvellent avec insistance. Outre la présentation générale du réseau informatique mondial, qui peut aller jusqu’à s’apparenter à un cours d’histoire de l’Internet - c’est le cas dans Internet - Le Guide du Web n°1 - , sans parler des titres présomptueux “ Tout pour comprendre Internet ”, “ le Best of d’Internet ” étalés sur les couvertures de Ariane n°7 et de .net n°8, ce sont plus généralement les différentes fonctionnalités de l’Internet qui sont systématiquement passées en revue.

Si nous laissons pour l’heure de côté le Web, qui par sa prépondérance mérite une étude encore plus détaillée que nous lui consacrerons ultérieurement, on constate que le courrier électronique figure lui aussi au sommaire de nombreux magazines. Ainsi en témoignent le dossier central de .net n°6 intitulé “ Comment tirer le maximum de votre e-mail - votre logiciel de messagerie sait tout faire, profitez-en ”, ou encore le dossier pratique, plus pointu, consacré aux parades possibles face aux “ mailings ” massifs dans Netsurf n°17 et intitulé “ Spam m’a tué ! Défendez-vous contre les arroseurs de courriers ”.

On remarque par ailleurs que toutes les formes de dialogue à plusieurs permises par l’Internet sont mises en valeur. Webmaster n°4 consacre ainsi un de ses articles principaux au “ Chat : le Net en 3D ”, Netsurf n°10 s’intéresse au dialogue en temps réel sur Internet, tandis que .net n°12 consacre sa couverture aux groupes de discussion sous le titre suivant : “ Communiquer avec la planète entière, comment y entrer, comment participer, trouver les forums interdits ”.

Les magazines consacrés au multimédia multiplient également les renseignements sur les modalités pratiques d’accès au réseau des réseaux. Ils établissent régulièrement dans leurs pages une liste où sont répertoriés les différents fournisseurs d’accès à Internet et leurs tarifs de connexion. Des dossiers entiers sont consacrés à cette question : dans .net n°18 : ‘“ Les meilleurs fournisseurs d’accès - le Tour de France des services Internet par région (...) tous les prix des fournisseurs sélectionnés”, dans Ariane n°6 : “ Internet, comment choisir son fournisseur d’accès ”, dans Netsurf n°18 : “ L’accès sans abonnement, une bonne affaire ? ’”, dans Internet Cyber Guide n°2 : “ Choisir un opérateur ”.

Ce dernier magazine annonce en outre dès la première de couverture un autre des sujets classiques, cette période : “ Deux mille sites francophones ”. Il est repris dans le n°1 d’Hachette.net : “ L’Internet en français ”, ou sur .net n°7 : “ Internet 100 % français ”. De sorte qu’on a l’impression que la barrière de la langue est un obstacle à l’arrivée de nouveaux utilisateurs sur Internet au même titre que des difficultés plus matérielles. Aussi, ces publications s’efforcent de lever toutes les appréhensions des futurs Internautes en publiant des Unes allant à l’encontre d’idées très répandues auprès des néophytes : le coût élevé de la pratique du réseau informatique mondial, ainsi de .net n°9 qui titre “ Mille et une choses gratuites sur le Net ”, et Netscope n°5 qui consacre sa couverture au “ Gratuit du Web - Hébergement gratuit - e-mail gratuit - référencement gratuit ”; ou la lenteur du débit des données numériques que les magazines s’évertuent à combattre de manière parfois involontairement conjointe en s’appliquant à donner des conseils pour “ aller plus vite ” comme Netsurf n°16 et .net n°11.

Cet exemple montre que les sujets peuvent être identiques dans des publications animées par le souci commun d’initier ces nouveaux lecteurs, futurs Internautes. Une autre raison explique cette similitude des contenus, même lorsque les approches éditoriales sont différentes : elle tient au moment de parution des magazines. L’inscription dans le calendrier de l’année civile entraîne un phénomène classique dans la presse écrite, et de manière générale dans l’activité médiatique : la floraison de “ marronniers ”. Ainsi au gré des saisons, les publications choisiront de traiter à des échéances régulières, des sujets qui s’y rapportent. Les publications consacrées au multimédia n’échappent pas à cette règle. De manière particulièrement symptomatique, les publications répertoriant les sites Web se livrent toutes, dans leurs éditions de juillet et d’août, à un tour d’horizon des adresses Internet liées aux vacances estivales. Elles les annoncent en couverture comme suit : “ Partir autour du monde - conseils pratiques, guide de voyage, aventure : les cinq continents en cent cinquante sites ” (Hachette.net n°5), “ Préparer vos vacances avec Internet ” (Ariane n°7), et enfin “ Vacances en ligne - les mille meilleurs sites - tourisme et voyages, festivals, concerts, boîtes de nuit, sport, casino, rencontres, livres ” (Internet Le Guide du Web n°1).

Mais l’originalité de la presse multimédia lors de cette période de maturation réside dans sa non-limitation à l’agenda médiatique général, pour peu à peu en édifier un qui lui soit propre. Au fil des ans, un certain nombre de rendez-vous s’avèrent des événements médiatiques incontournables pour la presse multimédia. Ils focalisent sur eux, que ce soit dans des articles ou des dossiers, l’attention de l’ensemble de ces publications. A cet égard, chaque édition du Milia, le marché international de l’édition et des nouveaux médias, dans la première semaine de février, semble instaurer un rendez-vous majeur : l’ensemble des magazines profite généralement de cette date pour faire un bilan de l’année écoulée et présenter les nouveautés appelées à se généraliser.

La temporalité journalistique de la presse multimédia est également rythmée par des événements plus conjoncturels, et néanmoins se produisant de manière assez régulière : la publication par les pouvoirs publics et les instances représentatives du secteur de rapports faisant le point sur l’état du domaine; la mise sur le marché, soit pour une durée provisoire de démonstrations et de tests, soit pour la vente effective, de nouvelles versions de logiciels de logiciels phares de l’Internet tels que les navigateurs Web ou les gestionnaires de courriers électroniques. Ces facteurs de conformisme dans le choix des sujets s’inscrivent toutefois à l’intérieur d’une délimitation plus globale de la représentation du domaine du multimédia, recentrée sur l’Internet et en particulier sur le Web.