C’est l’ensemble des innovations technologiques en matière de communication, et surtout leurs conséquences sur la vie sociale, que couvrait la presse multimédia lors de la phase précédente. Ce spectre à la fois large et abstrait a toutefois été peu à peu circonscrit et établi sur des bases plus concrètes, avec les magazines du courant “ multimédia et société ” : leurs dénominations, Internet Reporter et Planète Internet, amorçaient déjà un virage vers l’objet Internet.
Il est confirmé lors de cette phase de maturation par l’émergence d’autres publications aux noms tout à fait explicites : Netsurf - le magazine Internet, Webmaster - Tout Internet pour l’entreprise, Internet Professionnel, .net - le magazine d’Internet, Hachette.net - le meilleur du Net, Ariane - le magazine de l’Internet francophone, Internet Le Guide du Web ou Cyber Guide.
Ce nouvel objet, affiché de façon ostentatoire sur les couvertures de ces magazines et s’insère encore plus profondément dans leurs pages intérieures. La préférence est donnée au “ on-line ” plutôt qu’au “ off-line ”, privilégiant du même coup la logique de réseaux par rapport au CD-Rom jusqu’ici dominant. Parallèlement, le choix de l’informatique est fait, au détriment de la vidéo et donc de la visio-phonie ou la vidéo-conférence, dispositifs encore trop peu généralisés par rapport à l’échange de données informatiques.
A cet égard, l’évolution des ambitions éditoriales de CD-Rama est symptomatique. Ce magazine se propose de traiter, dans ses cinq premiers numéros, tout ce qui concerne ‘“ le CD-Rom, le CD-Interactif, le Photo-CD et le Vidéo-CD ”’. Il se limite jusqu’au n°16 aux “ applications multimédias ”, mais s’engage lui aussi à partir du n°17 à traiter le thème “ Internet et multimédia ”. C’est ce que détaille Yann Boutin : ‘“ En fait, au tout début de CD-Rama c’est vrai que le magazine était essentiellement orienté vers le CD-Rom et les autres supports je dirais statiques. (...) Internet c’est une sorte de ..., une sorte de support universel, c’est pas un simple réseau. Internet a des atouts que le CD-Rom n’a pas, donc c’est vrai que le CD-Rom pour faire du stockage de données ... je ne sais pas, d’utilisation d’annuaires, d’archivages pourquoi pas, mais pour le multimédia en lui-même, c’est à dire pour toutes les applications d’entreprises, pour toutes les applications grand public etc ... Internet a beaucoup plus de débouchés (...) il était clair que pour nous que c’était Internet qui devait prendre le dessus sur le reste, c’est pour ça que au début le sous-titre de CD-Rama ça devait être le “ mensuel des applications électroniques ” ou un truc comme ça, ensuite “ des applications multimédia ” et après au bout d’un moment ça a été “ Internet et multimédia ” pour bien montrer que c’était, qu’on était très orienté Internet. ”’
Des trois branches des technologies de communication appelées à converger : l’informatique, les télécommunications et l’audiovisuel, ce sera finalement sur les deux premières que va reposer la représentation médiatique du domaine lors de cette période de maturation.
La presse multimédia trouve en effet avec l’Internet un premier dispositif stable de convergence, même partielle, sur lequel elle va s’appuyer. Rappelons que la convergence des technologies de communication, représentée par le terme de “ multimédia ”, est un construit résultant de l'interaction entre les différents protagonistes qui s'y réfèrent. Les premières réalisations concrètes qui s'en réclament alors sont autant d’occasions pour chaque acteur de porter un jugement.
L’Internet est la convergence partielle des années 1990 sur laquelle se réorientent et se cristallisent les visions de la convergence. D'une part, elle se généralise à une période charnière : après les grands discours qui ont suivi l'avancée technologique, et avant la mise en place des grandes infrastructures publiques et des projets industriels. D'autre part, l'hybridation technique dont elle est issue combine informatique et télécommunications mais abandonne quelque peu le troisième domaine, l'audiovisuel.
Que ce soit au niveau de son apparition chronologique ou de son appareillage, l’Internet semble constituer en ce sens un cas exemplaire de “convergence partielle” ou “micro-convergence”. Celle-ci est au coeur du ‘“procès de sélection sociale des acteurs et des propositions pouvant devenir et devenant porteurs du grand projet [de convergence] et moteurs de sa concrÈtisation ”’ 171 . Sa situation de convergence partielle la rend particulièrement exposée à cette activité de représentation. Sur cette réalisation intermédiaire, supposée porter “ dans ses flancs la convergence “ à-venir-mais-qui-se-fait-déjà ” ” 172 , vont se rencontrer les multiples références à la convergence.
En ce sens, l’Internet constitue l'occasion rêvée, et une des premières offertes, de confronter ou d'appuyer sa vision de la convergence des technologies de communication à une réalisation concrète. Ce qui explique l'intérêt que lui ont porté nombre de magazines consacrés au multimédia. Ce recentrage de la presse multimédia autour du thème de l’Internet sera encore affiné puisque, peu à peu, c’est une de ses fonctionnalités, le Web, qui deviendra le centre d’intérêt majeur de ces magazines annonçant en cela la période suivante.
LACROIX Jean-Guy, TREMBLAY Gaëtan., 1994, La reconduction du grand projet, in LACROIX Jean-Guy, MIEGE Bernard, TREMBLAY Gaëtan (dir.), De la télématique aux autoroutes électroniques - Le grand projet reconduit, Sainte-Foy (Québec) / Grenoble : P.U.Q. / P.U.G., p. 245.
Ibid, p. 248.