Conclusion première section

La description journalistique du multimédia change radicalement dans cette seconde phase. Elle suit un double mouvement, en apparence paradoxal, qui s'oppose trait pour trait à la représentation d'inspiration cybernétique, et qui contient les éléments fondateurs du modèle généraliste de la presse multimédia stabilisé dans la phase suivante.

La diversification des approches pour traiter le thème du multimédia constitue la première évolution notable.

A l'inverse de la vision monolithique d'inspiration cybernétique, elle est éclatée en quatre angles de vue différents. Parmi ceux-ci, les aspects professionnels et de loisirs dominent cette période, mais les parties techniques et pratiques émergentes se révéleront finalement les plus essentielles par la suite.

La seconde modification d'importance se situe au niveau des similitudes dans le choix des sujets : la presse multimédia tend à s'unifier par rapport à ce qu'elle décrit.

L'abstraction qui caractérisait le discours idéologique de la période précédente cède la place à une description plus précise, à propos de réalisations concrètes. Celles qui se matérialisent alors sont liées à l'Internet et en particulier au Web, plaque tournante de la configuration ultérieure de la presse multimédia.

La présentation du tableau 10 résume ces deux cheminements parallèles.

Tableau 10 :
Multiplication des approches journalistiques du thème du multimédia. Similitude et recentrage des sujets, autour de l'Internet.
Approche professionnelle :
magazines traitant du multimédia exclusivement sous cet angle. (voir tableau 11 pour le détail.)
Facteurs de similitude des sujets :
- contenus similaires portant sur l'initiation à l'Internet, due à l'arrivée d'un nouveau public de lecteurs-Internautes : rappels historiques de la constitution du
Approche loisirs : magazines traitant du multimédia exclusivement sous cet angle. (voir tableau 11 pour le détail.) "réseau des réseaux", présentation de ses différentes fonctionnalités, renseignements sur les modalités pratiques d'accès et de connexion.
Approche technique :
- rubriques de présentation des différents matériels et dispositifs, revues de détail des nouveaux produits arrivant sur le marché.
- travail journalistique de vulgarisation, avec notamment un recours fréquent à la forme du schéma, classique dans les revues d'informatique.
- récurrence des sujets provenant de la mise en place d'un agenda spécifique à la médiatisation du multimédia : "marronniers" classiquement journalistiques (exemple : sélection de sites Web de voyage lors des éditions estivales des revues), et propres au domaine en formation (événements se reproduisant régulièrement comme le Milia, publication de rapports officiels, sortie de nouvelles versions de logiciels "vedettes").
Approche pratique :
- articles et dossiers comparables à des modes d'emploi des applications du multimédia.
- fonction de formation, avec notamment un recours fréquent aux reproductions photographiques d'écrans d'ordinateur pour accompagner les propos pédagogiques ou didactiques, tournure classique dans la presse informatique.
Etapes du recentrage :
- des N.T.I.C. à l'Internet : focalisation sur cette "convergence partielle" traduite par les préférences pour le on-line plutôt que le off-line, et pour les télécommunications et l'informatique plutôt que l'audiovisuel.
- de l'Internet au Web : fonctionnalité à la une des magazines (dossiers centraux sur les moteurs de recherche ou les logiciels de navigation), car fédératrice des approches loisirs (surf ) et professionnelles (sites-vitrines d'entreprise, Intranet, création de sites comme nouveau métier).

Ces évolutions qui caractérisent la seconde phase de constitution de la presse multimédia montrent à quel point il s'agit d'une période transitoire. Néanmoins, elle ne se limite pas à assurer un lien entre les expérimentations initiales et le modèle stabilisé.

La représentation du multimédia lors de cette période présente en effet un visage propre : celui d'une bipartition entre des publications exclusivement consacrées aux aspects professionnels du domaine et d'autres uniquement dédiées aux activités de loisirs qui y sont liées.

Le tableau 11 dresse une typologie de chacune d'entre elles. Il en ressort une deuxième ligne de fracture, liée au mode d’appréhension médiatique du nouveau domaine.

Que ce soit dans la catégorie loisirs ou professionnelle, certaines revues réemploient de manière assez conventionnelle les vieilles recettes de la presse magazine pour la médiatisation du multimédia, tandis que d'autres innovent en adaptant les éléments spécifiques issus de la période cyber à des préoccupations plus pratiques et techniques. De cette subtile alchimie, naîtra le modèle généraliste qui donnera à la presse multimédia sa stabilité. En particulier autour des revues .net et Netsurf que l'on découvre déjà aux avant-postes de sa maturation.

Tableau 11 :
Typologie des publications traitant le multimédia selon une seule approche. Approche loisirs Approche professionnelle
Traitement journalistique classique.
Reprise de modèles conventionnels par les acteurs nouvellement venus dans la presse multimédia.
Guides de l'Internet : Ariane, Internet - Le Guide du Web, Netscope, Hachette.net.
- répertoire d'adresses de sites Web, accompagnées de commentaires (fiches descriptives) comparables à ceux des guides touristiques.
- rareté du rédactionnel, ou alors comme alibi pour bénéficier d'une reconnaissance de la profession et des avantages qu'elle procure.
Magazines proches du modèle classique de la presse professionnelle : CD-Rama, Internet Professionnel.
- insistance sur les dispositifs et matériels réactualisant les systèmes centralisés de l'informatique d'entreprise : Intranet, Network Computers.
- rubriques habituelles dans la presse informatique professionnelle.
  Particularités de Hachette.net :
- sélection de sites Web à visée moins utilitariste, autour de thèmes plus divertissants.
- parties rédactionnelles plus fournies.
 
Traitement original.
Retraduction des éléments "cyber" précédents, et préparation du modèle généraliste suivant
revue de surf sur le Web (en tant que nouveau loisir) : .net
- permanence de l'apparence "cyber" de la publication : sommaire imitant l'architecture hypertextuelle en réseau de liens, nombreuses illustrations et infographies.
- recyclage des valeurs caractérisant l'idéologie dominant la phase précédente: liberté et modernité (exprimées dans les sensations du surf, et en particulier l’îvresse de la vitesse du débit de connexion).
- intérêt marqué pour les aspects techniques et pratiques, indispensables pour que le surf soit source de plaisir, annonciateurs de la période suivante.
revues néo-profesionnelles (regard moderne et décalé) : Netsurf, Webmaster.
- déformation de l'idéologie libertaire en argumentation libérale : exaltation entrepreneuriale du libre-échange économique.
- préoccupations de la phase précédente adaptées au monde du travail, et à partir de dispositifs concrets : réflexion sur les transformations de l'activité économique par les nouvelles technologies de communication, et plus précisément par les applications professionnelles de l'Internet.
    Particularités de Webmaster :
- points communs avec les revues professionnelles classiques, mais traitement spécifique : analyse avec recul et ironie du retour des systèmes centralisées sous les traits de l'Intranet et des Network Computers, rubriques similaires mais présentées sous une apparence "cyber ".
- vision globale et distanciée qui reste dans la perspective "cyber" précédente, à la différence de l'évolution de Netsurf vers des considérations pragmatiques.

Ce traitement journalistique du thème du multimédia, très classique lors de cette période, est en bien des points semblable au mode de diversification conventionnel que connaît parallèlement cette spécialité médiatique en cours de maturation.

Non seulement parce que la dichotomie y reste forte entre les revues, selon leur choix d'une médiatisation sous l'angle professionnel ou du loisir. La division entre ces approches journalistiques traditionnelles se retrouve ainsi jusque dans la configuration multi-médiatique adoptée.

Mais surtout parce que le développement d'une information-connaissance à visée pratique sur les nouveaux supports constituera la base générale de leur exploitation optimale future. En cela, les publications de la presse multimédia développent sur leurs extensions électroniques une dimension s’inscrivant dans la droite lignée de celles expérimentées sur le Minitel.