2.2.2. Une articulation très élaborée entre chacun des supports.

Dans cette période de maturation, c’est sans doute au niveau de la complémentarité entre leurs éditions imprimées et électroniques, que les deux catégories principales de la presse multimédia à l’époque se démarquent le plus l’une de l’autre.

La dimension d’information-connaissance à visée pratique n’est en effet pas seulement plus exacerbée sur les extensions électroniques des publications de l’approche professionnelle. Elle s’inscrit surtout dans un processus de diversification à la fois plus équilibré et plus réfléchi.

D’une part, ses trois composantes précédemment observées ne se retrouvent pas de manière égale sur le CD-Rom et sur l’Internet, mais dans des proportions différentes selon leur faculté d’adaptation.

D’autre part, cette répartition n’est pas le fruit du hasard mais résulte bel et bien d’une stratégie consciente de diversification, de la part des acteurs médiatiques engagés dans cette voie.

Les trois modalités de l’information-connaissance à visée pratique, privilégiées par les publications de l’approche professionnelle sur leurs extensions électroniques, ne se retrouvent pas unilatéralement sur chacun de ces nouveaux supports.

C’est presque exclusivement par l’intermédiaire des CD-Roms, comme ceux de Webmaster, CD-Rama ou Netsurf, que sont proposés des logiciels d’applications professionnelles. La taille des fichiers explique en partie que leur fourniture off-line est préférable à leur téléchargement via l’Internet, qui se révélerait coûteux en temps de connexion.

Parce qu’ils sont liés à ces produits informatiques, des services d’information dédiés au conseil et à la formation les accompagnent quelquefois sur ces CD-Roms, comme pour Webmaster ou CD-Rama. Mais leur fort caractère rédactionnel, dû à leur dimension d’aide à la compréhension, les amène aussi souvent à figurer sur les sites Web. Ceux-ci, TechnoSphère ou le site d’Internet Professionnel en témoignent par exemple, sont davantage consacrés à ces contenus scripturaux lors de cette période.

L’activité de veille sur le secteur apparaît presque uniquement sur les sites Web, de CD-Rama, Webmaster et Internet Professionnel. Seule l’aptitude à l’actualisation de l’Internet permet en effet le renouvellement continu de l’information, nécessaire à cette dimension accélérée de l’activité médiatique.

Cette affectation de chacune des composantes, de la dimension d’information-connaissance à visée pratique, à un support électronique adéquat n’est pas seulement une caractéristique générale, observable pour l’ensemble de la catégorie professionnelle. Elle se vérifie au niveau de chacune des publications qui la composent, et s’articule de plus autour de la “ version originelle ” qu’est le magazine papier. Cette règle est respectée, (si l’on met de côté le cas particulier de Netsurf déjà signalé), partiellement pour Internet Professionnel, qui possède une extension Web mais pas de CD-Rom, et entièrement pour les trois versions de CD-Rama et Webmaster.

Ce dernier affiche d’ailleurs très explicitement le choix d’une telle configuration dans des encarts auto-promotionnels figurant dans son magazine papier. Les trois versions, imprimé, Internet, et CD-Rom, sont présentées côte à côte, accompagnées respectivement des textes suivants : ‘“ L’info comme vous ne l’avez jamais lue (...) le mensuel traite toute l’actualité Internet d’une façon à la fois professionnelle et accessible ”, “ L’info comme vous ne l’avez jamais vue (...) de l’info en continu, des petites annonces, des compléments techniques et économiques, des chiffres-clés, des services professionnels indispensables, des forums, etc.”, “ L’info comme vous ne l’avez jamais eue (...) le CD-Rom Webmaster permet d’aborder des sujets plus techniques ou descriptifs avec une valeur ajoutée éditoriale spécifique [que sont les logiciels de démonstration ]”’.

Cette conception mûrement réfléchie d’une diversification à trois niveaux, à la différence de la catégorie loisir où elle était beaucoup plus intuitive car plus évidente, est confirmée dans les propos de Luc Saint-Elie: ‘“ L’idée de Webmaster, elle était que parler de multimédia sur support papier était un peu stupide alors qu’il existe maintenant plein de médias différents. Et donc Webmaster, ça voulait être un magazine qui soit en trois parties : une partie sur un serveur Web puisque ça parle d’Internet, une partie papier et une partie sur CD-Rom, et le tout étant prédécoupé. Dans la partie papier, il devait y avoir ce qui était les papiers plus je dirais société-culture, la partie Internet serveur Web devant contenir tout ce qui, tous les papiers de type technique, et le CD-Rom permettant de diffuser des logiciels, des documents dont on parlait dans les deux autres parties pour faire une espèce de petite référence de temps en temps. L’idée était que ce ne sont pas les mêmes publics qui lisent un journal papier et qui vont s’adresser à un serveur Web, donc quelqu’un qui est de tendance plutôt technique et qui s’intéresse à Internet ira plus naturellement consulter un serveur Web, quelqu’un qui bosse dans un service de communication ou de marketing, qui est intéressé par Internet en tant que vecteur de communication n’est pas forcément quelqu’un qui est tout simplement installé techniquement, qui dispose du matériel pour et qui est familiarisé avec ça et peut être qu’il sera plus à l’aise avec un support papier. Donc, l’idée c’était de séparer le tout, de l’éclater sur trois médias et sans répliquer, sans que les médias se répliquent l’un à l’autre mais en proposant une partie des contenus spécifiques sur un média, une autre partie sur un autre média et la dernière partie sur le troisième, l’idée c’était ça. En fait, ça n’a pas du tout marché par manque de moyens, on était deux, la maison ici y a cru assez modérément. ”’

Yann Boutin, concepteur du site de CD-Rama, se plaint lui aussi de cette limitation économique à ses ambitions d’extension de sa publication : ‘“ le site Web, si je n’avais pas été là, il ne serait pas là c’est clair. (...) le site, il s’est monté comme ça, zéro moyen pendant un mois. J’ai beaucoup bossé dessus, beaucoup bossé pour faire un truc sympa, mais au bout d’un mois, moi j’étais journaliste, je n’étais pas du tout payé, j’avais fait ça comme bénévole, j’avais fait ça moi pour me former etc ... mais au bout d’un mois ... bon. (...) Moi je crois que pour un magazine, il y a deux stratégies. Soit un magazine qui fait partie d’un gros groupe, et à ce moment là, ce que je dirais c’est qu’il faut développer un contenu parallèle, donc un contenu qui ne soit pas un contenu de l’édition papier, et qui soit un contenu je dirais tout à fait original. Original au sens qui n’a rien à voir avec l’édition papier, qui peut avoir un contenu propre au Web. Pourquoi ? Parce que un grand groupe de presse a les moyens justement de se lancer sur le Web en investissant au début, en disant on va perdre de l’argent au début et en sachant que si le contenu est suffisamment riche, après les lecteurs viendront, et qui dit lecteurs dit publicité. ”’