1.1.1. L’approche professionnelle ou une interdépendance entre les acteurs naturelle dans le cas de la presse spécialisée.

L’activité médiatique sur laquelle reposent les publications de l’approche professionnelle est tout à fait conforme à celle en vigueur dans les autres secteurs de la presse spécialisée.

Ceci s’explique par le fait que le champ de l’information consacrée aux aspects professionnels du multimédia est investi par des groupes de communication qui se sont imposés depuis longtemps dans cette branche de la presse magazine. Ils sont, à ce titre, les véritables dépositaires de son mode de fonctionnement.

Ce savoir-faire journalistique apparaît de manière encore plus concrète et détaillée dans les propos des rédacteurs collaborant à ce type de publications. Leur rapport aux sources, c’est à dire l’interdépendance avec les autres acteurs, paraît tout à fait maîtrisé.

Contrairement à la période cyber où les acteurs médiatiques semblaient naître en même temps que le domaine, la presse multimédia se révèle, au fil de sa maturation, être l’oeuvre de personnes qui sont tout sauf des novices en matière de presse magazine. En ce qui concerne son aspect professionnel, ce sont même les géants de l’information spécialisée dans les applications de l’informatique à la sphère du travail, qui sont à l’origine des publications.

Internet Professionnel appartient au groupe Tests,qui se présente lui-même comme le leader de la presse concernant l’informatique, l’électronique et les réseaux avec, il est vrai, des revues aussi nombreuses et reconnues que : 01 Informatique, 01 Réseaux, Décisions Micro et Réseaux, Electronique international hebdo, L’ordinateur individuel, PC Professionnel.

Le groupe de presse dont dépend Webmaster est son principal concurrent, avec une diffusion un peu moindre en France, mais en revanche une audience supérieure au niveau international. Il s’agit en effet de l’Américain IDG Communications, qui a su se tailler une place de choix dans l’hexagone, avec des magazines aussi connus que Le Monde Informatique, Réseaux et Télécoms, ou encore Distributique.

Ces acteurs, parfaitement établis dans la presse informatique, ont ainsi lancé des publications consacrées aux aspects professionnels du multimédia 175 . Ce faisant, ils dotent ces nouvelles revues d’un mode de médiatisation tout à fait similaire à celui existant généralement dans l’ensemble de la presse magazine.

Cela se traduit en ce qui concerne la logique d’interdépendance par une relation toujours très étroite entre les acteurs médiatiques et les acteurs du domaine, mais contrairement à la période cyber, à l’aide de procédés ajustés empiriquement et validés depuis plusieurs années. Les rédacteurs de ces publications se réfèrent d’ailleurs explicitement à ce modèle commun de la pratique journalistique dans la presse informatique, pour décrire leur propre activité au jour le jour.

Elle est en effet vécue comme une interrelation avec les acteurs du domaine, nécessaire mais parfois pesante. Leur expérience leur permet de la gérer au mieux et surtout de l’accepter comme telle. Ce que précise justement Luc Saint-Elie : ‘“ C’est que tu es dans des milieux où tu parles d’un matériel qui est dix fois au dessus de ce que lui demandera l’utilisateur le plus pointu. Alors, souvent, la réflexion c’est de dire : effectivement, tel truc il n’est pas génial. Mais d’autre part, sur le nombre de machins qui va être vendu, si ça se trouve, il n’y a pas un seul mec qui va s’apercevoir que cette fonction n’est pas géniale, c’est une espèce de ... ça devient très compliqué. Donc tout ça pour dire qu’on ne peut pas dire que l’annonceur va directement influer mais qu’il influe, te dire qu’on est indépendant de la publicité ce n’est pas vrai. Ca, le mec si il dit ça, c’est forcément un menteur. Je dis il n’y a pas de journaux qui vivent sans pub, et d’ailleurs je ne sais pas si c’est une bonne chose, si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Parce que l’idéal théorique ça serait qu’un canard vive de ses lecteurs. Sauf qu’un canard vive de ses lecteurs, ça conduit à faire du pilotage à l’audimat et peut être même à avoir des sanctions, une influence plus directe au niveau du canard alors que les annonceurs exercent une poussée peut-être plus forte, mais à la fois plus lente et moins sensible. (...) mais dans tous les cas de figure, on ne peut absolument pas dire qu’on est dégagé des contingences publicitaires, ça, c’est évidemment pas vrai. ”’

Yann Boutin détaille une même nécessité quotidienne de jongler entre les idéaux professionnels et les impératifs pragmatiques : ‘“ Bon moi je dirais déjà ... communiqués de presse ... en trois ans, sur le marché je ne crois pas que j’ai vu un communiqué de presse qui était bien foutu, c’est très rare. Le communiqué de presse, c’est du rhabillage, de la belle formule, du tape à l’oeil, c’est pas utile. Très honnêtement, quand on bosse dans un canard comme CD-Rama avec les petits moyens, la désorganisation etc ... on est très souvent face à des coups de bourre. Alors les communiqués de presse, c’est génial quand on a un coup de bourre et que le patron vous appelle en vous disant “ bon, là j’ai un blanc, il faut que tu me le combles ”. Moi je dirais que c’est dans ces moments là, et il faut voir aussi quand même qu’à CD-Rama on était franchement pas très bien payé, on était en dessous des tarifs du marché et c’est vrai qu’à la longue dans ce genre de cas, on ne faisait pas preuve de très bonne volonté. On avait un coup de bourre, hop on prenait un communiqué de presse, on va tourner les phrases et on sort un article à partir du communiqué de presse comme ça donc un article qui n’est pas fouillé etc ... Ca c’est le mouvais côté, le côté obscur je dirais sinon pour ce qui me concerne je dirais 60 % de mon boulot c’était plus les articles de recherche type mémoire. (...) Le reste du boulot effectivement, c’était du travail entre guillemets de reportage. Mais attention, quand on dit reportage, là encore ça n’allait jamais très loin ”’.

L’attitude réflexive de ces acteurs médiatiques concernant leur rapport aux sources d’informations et, de manière plus générale, leur capacité d’expertise vis-à-vis de leur métier, leur a permis d’appréhender le passage aux supports CD-Roms et surtout Internet dans une totale continuité journalistique. Ce qui a débouché sur une exploitation à bon escient de ces nouvelles technologies, matérialisée par le développement d’une information-connaissance à visée pratique qui n’est en fait qu’une extension de leur activité spécifique.

Notes
175.

Et ce de manière assez attendue puisqu’ils font partie des “ Quelques groupes de presse spécialisés, comme le groupe Tests (filiale de Havas, CEP Communication), IDG Communications, Ziff-Davis France, Excelsior informatique, etc., et des sociétés éditrices spécifiques [qui] cherchent à exploiter chaque créneau [de la presse informatique]”, cf. BETHERY Annie, GASCUEL Jacqueline, 1997, op. cit., p. 231.