1.1.2. L’approche professionnelle ou l’unification journalistique dans la diversification électronique autour de l’information-connaissance à visée pratique.

Dans la période cyber, les technologies CD-Rom et Internet étaient souvent envisagées comme des nouveaux supports pour la presse, capables de révolutionner l’activité médiatique. Elles sont désormais analysées plus lucidement, en termes de prolongement du fonctionnement des magazines papier.

Cette évolution dans les mentalités et dans les réalisations matérielles qui en découlent, est là encore expressément le fait des publications de l’approche professionnelle. La capacité d’auto-analyse de ses acteurs médiatiques, déjà évoquée précédemment, joue à nouveau un grand rôle : elle permet d’anticiper les changements affectant la logique d’interdépendance entre les acteurs sur les extensions électroniques, et ainsi de ne pas trop l’éloigner du modèle journalistique classique.

Concernant leur inclinaison à privilégier une information spécialisée de type professionnelle, elle les conduit à exploiter les nouveaux supports dans le sens d’une aide à la connaissance pratique du secteur. Elle est en outre assortie d’une mise en garde par rapport à la territorialité du magazine et la crédibilité de l’information, suite aux liaisons hypertextuelles. Les extraits suivants d’entretiens menés auprès de Luc Saint-Elie et de Yann Boutin en témoignent.

Luc Saint-Elie : ‘“ je trouverais moi normal, qu’il y ait un jour une espèce de charte de déontologie, ou appelle ça comme tu veux, qui spécifie que lorsqu’un journal fait un lien vers un autre site, il soit clairement et de manière explicite indiqué à son lecteur : attention vous n’êtes plus dans le journal, vous êtes ailleurs. Ca ne veut pas dire qu’ailleurs ce n’est pas bien, mais ailleurs c’est pas nous. Parce que sans ça, ça revient à faire véhiculer toute la crédibilité. Si tu lis un truc dans un canard donné, a priori c’est que tu y accordes une certaine crédibilité et donc c’est t’inciter sans que tu t’en rendes compte à aller transporter, transposer cette crédibilité que tu accordais à un journal précis ailleurs.”’

Yann Boutin : ‘“ ’ ‘A partir du moment où je commence à parler de Microsoft, il faut que je mette un lien vers Microsoft, pourquoi ? Pour deux raisons : la première, c’est pour d’abord compléter l’information c’est à dire que heu ... si je parle effectivement d’Explorer ’ ‘[ Internet Explorer est le logiciel de navigation de Microsoft ]’ ‘, il est normal que je mettre un lien vers la page où on peut télécharger Explorer. Il faut après que mon lecteur puisse aller tester le logiciel, c’est normal. Et la seconde raison, c’est pour je dirais à la fois cautionner et, en même temps, à la fois cautionner l’information que j’ai donnée, c’est à dire montrer “ voilà le site, c’est ça, vous pouvez aller voir ”, et en même temps permettre au lecteur de se poser des questions par rapport à mon avis, moi me remettre en question. Donc donner au lecteur la possibilité d’aller voir par lui-même, de tester et de me contredire.’ ‘ ”’

Les possibilités d’extensions sur les nouveaux supports électroniques ne poussent en rien les publications de l’approche professionnelle de la presse multimédia à se démarquer radicalement du cadre journalistique classique dont elles sont issues. Cette diversification contribue plutôt à l’aménager, en examinant quels types de transformations à la marge peuvent apporter un plus. Mais toujours en envisageant dans quelles mesures elles sont acceptables, c’est-à-dire en veillant au strict respect du rapport conventionnel d’interdépendance entre les acteurs, régissant l’activité médiatique.

Une telle vision de ce que doit être la presse dans la nouvelle configuration multimédiatique repose sur une réflexion commune autour de l’édition électronique en général. Luc Saint-Elie en résume assez bien le substrat dans le passage suivant: ‘“ je crois que l’idée d’utiliser le Web non pas comme un truc qui va répliquer ce que tu fais sur papier, ce que tout le monde fait pour l’instant et que je trouve vraiment stupide, mais une autre manière de communiquer, autrement, sur un autre sujet et envers un autre public, moi ça j’y crois tout à fait, et ça je pense qu’il y a un vrai manque de réflexion. ”’ Il l’applique également de manière intéressante pour des sujets connexes, comme l’utilisation du courrier électronique dans la relation entre le rédacteur et le lecteur : ‘“ le métier de journaliste, c’est de faire passer quelque chose : est-ce que tu es censé y répondre ? Je ne sais pas si ça serait bien, surtout d’y répondre individuellement. A la limite, la question se poserait un peu différemment si un journal mettait en place justement un forum auquel de temps en temps les journalistes participeraient. Alors ça à mon avis ça serait quelque chose de pas mal parce que ce serait..., le rôle de journaliste c’est d’être quelqu’un de public, ce n’est pas un interlocuteur privé, un journaliste. Donc dans ce cas à la limite, ça serait différent. Mais qu’un journaliste se mette à répondre individuellement, à mon avis ce serait compliqué parce que du coup tu perds tout le référent. Quand tu dis quelque chose, tu le dis dans un contexte et le contexte est important. C’est pas exactement le même papier avec les mots, les mêmes termes selon que tu vas le mettre dans l’Humanité ou dans le Figaro, il ne va pas avoir le même sens lorsque tu dis un truc publiquement. ”’

Ce raisonnement, en termes de complémentarité plutôt que de concurrence entre les supports, pour appréhender la diversification, est partagé par la plupart des acteurs de l’approche professionnelle de la presse multimédia. Il va s’inscrire dans les faits par une utilisation des CD-Roms et de l’Internet pour une information-connaissance à visée pratique. La prééminence de cette dimension ne s’explique toutefois pas uniquement par son adéquation avec les potentialités de ces nouvelles technologies. Elle résulte également d’un choix stratégique de la part de ces acteurs médiatiques, tellement implantés dans le domaine de l’informatique professionnelle qu’ils en sont devenus de véritables organes de documentation. Ainsi, IDG publie un certain nombre d’ouvrages se présentant souvent sous la forme d’encyclopédies, à partir d’une compilation des articles de ses magazines, et possède un cabinet d’études spécialisées, IDC. Il trouve avec les extensions électroniques un nouveau terrain pour mettre à profit ses activités annexes.

L’articulation entre les différents supports se réalise donc toujours autour du noyau journalistique traditionnel présent dans les magazines papier de l’approche professionnelle de la presse multimédia. A l’inverse, dans les publications de l’approche “ loisirs ”, dont le mode de fonctionnement est atypique en raison de l’intérêt de leurs acteurs médiatiques pour le domaine, même si c’est à un degré moindre que dans la période cyber, le Web, choisi comme thème principal, devient automatiquement le support de la diversification électronique.