2.1.2. L’information-connaissance à visée pratique sur les extensions électroniques comme la plus rentable des dimensions pouvant y être développées.

Ces sont encore des soucis d’ordre économique qui ont guidé l’exploitation des extensions électroniques de la presse multimédia lors de cette phase de maturation. L’information-connaissance à visée pratique a été privilégiée sur ces nouveaux supports, non seulement dans l’optique d’apporter une valeur ajoutée informationnelle par rapport au magazine papier, mais aussi parce qu’elle était susceptible de rapporter une plus-value financière.

Les acteurs de la presse multimédia de cette époque ont développé cette dimension sur les extensions électroniques de leurs publications en espérant bénéficier ainsi d’une nouvelle source de revenus, et ce à deux niveaux :

- directement, en profitant des procédés techniques disponibles sur le Web pour rétribuer la précision de l’information qu’il permet d’augmenter,

- indirectement, en utilisant le site et notamment ses liens hypertextuels comme passerelle vers leurs services de veille et leurs prestations techniques, pour financer la publication dans son ensemble.

Le Web permet un paiement à l’acte. Ce qui signifie pour la presse que l’information présente sur ce nouveau support, se divise en de multiples unités qui peuvent être achetées séparément les unes des autres.

Cette capacité de l’Internet en constitue souvent le seul attrait aux yeux des dirigeants des groupes de presse, comme semble le déplorer Gilles Fouchard : ‘“ Aujourd’hui, un éditeur se demande bien pourquoi il va mettre des contenus sur Internet, si ça ne lui rapporte pas un centime. Donc il ne va pas faire beaucoup d’effort pour ça, parce que il ne fait pas d’effort pour penser différemment et essayer d’imaginer une autre logique économique et d’autres sources de profits, puisqu’il s’agit de rentabiliser les services qu’on met en ligne. ”’

Cette nouvelle potentialité technologique avait déjà été expérimentée dans la période précédente, en particulier par Cybersphère. Mais ce magazine présent uniquement sur Internet ne faisait que reproduire l’architecture économique conventionnelle dans la presse : seuls les articles qui lui avaient demandé un travail propre (dossiers, reportages) étaient payants, les autres données plus facilement accessibles sur le réseau demeurant “ dans le domaine public ”.

Les procédés de rétribution spécifiques au Web ont été affinés dans la phase de maturation. Ils ne servent plus au paiement des documents produits directement par les acteurs médiatiques, car nombre de ceux-ci, et notamment ceux issus des magazines papier, sont en accès libre sur l’Internet. Ils sont désormais employés pour les services qui amènent un plus par rapport au support imprimé. L’information-connaissance à visée pratique a ainsi été privilégiée car elle répond à ce double critère : d’une part, elle n’existe pas de manière aussi concrète sur le papier, elle est tout à fait adaptée au Web ; et d’autre part, les lecteurs-Internautes sont prêts à payer pour ce service qui leur est directement profitable.

Cette évolution d’une période à l’autre est visible tout particulièrement sur TechnoSphère, le site de Webmaster. Il présente en effet la particularité d’être réalisé en collaboration avec la société Quelm, qui était à l’origine de Cybersphère, donc par des acteurs médiatiques déjà présents lors de la phase précédente. Ceux-ci ont véritablement changé de stratégie quant au paiement de leurs services, puisque seuls sont concernés ceux relatifs à la dimension d’information-connaissance à visée pratique. L’accès est conditionné par la prise d’un abonnement, pour les tests des nouveaux produits et des nouvelles technologies dans la rubrique “ Essais ”, et pour la fonction pratique de recherche indexée à l’intérieur des archives du magazine.

Ainsi grâce à sa vocation pratique et technique et à ses procédés de rétribution directe, le Web aurait pu permettre d’engranger petit à petit un certain pécule. Mais l’abandon des sites d’information cités précédemment et basés sur ce type d’auto-financement, marque l’échec au moins temporaire de cette formule. En réalité, les véritables ressources offertes par le nouveau support à la publication ou à sa société éditrice, l’ont été de manière plus détournée : le site Web joue un rôle de vitrine de leurs activités commerciales annexes dans le domaine, touchant toutefois toujours à la connaissance du secteur ou à sa pratique technique.

En ce qui concerne ce dernier point, la situation entre les deux catégories de la presse multimédia est, comme nous l’avons vu auparavant, fort différente. Les acteurs sont presque exclusivement médiatiques dans l’approche professionnelle, tandis qu’ils sont également impliqués dans le domaine de manière directe dans l’approche loisir.

Ces derniers ont ainsi tout intérêt à présenter sur leur site Web une information de type pratique ou technique, sur les modes de raccordement à l’Internet ou encore sur la création de pages html, puisqu’ils peuvent eux-mêmes résoudre ces problèmes. Ils ne se privent d’ailleurs pas pour le signaler en faisant figurer, à côté des parties rédactionnelles, des annonces pour leurs prestations ou même plus directement des liens hypertextuels vers les sociétés du secteur auquel ils sont rattachés.

Ainsi Netscope prodigue, dans la partie rédactionnelle de son site Web, des conseils techniques et pratiques aux lecteurs-Internautes. Sa rubrique “ Ateliers ” explique par exemple comment profiter à plein de son e-mail, notamment en envoyant des messages groupés, ou comment embellir des pages Web personnelles, grâce à un décorticage du nouveau langage informatique Javascript. Dans le même temps, le site met parallèlement en exergue, dans la partie haute de sa page d’accueil, ses offres pour l’ouverture de comptes de courrier électronique et pour l’hébergement de pages Web.

Luc Sohm, rédacteur en chef d’Ariane, avoue lui aussi que l’extension électronique de son magazine sur le Web résulte d’un choix éditorial autant que d’une possibilité d’association avec des entreprises partenaires du secteur : ‘“ ce site Web, en fait il est réalisé par nos partenaires qui ... sont un certain nombre d’entreprises, où vous pourrez voir les noms si vous allez voir notre site sur l’Internet, mais donc ce sont des partenaires avec lesquels on réalise ce que j’appellerais un “ échange marchandise ”. C’est-à-dire qu’ils nous offrent l’hébergement et la maintenance et, pendant ce temps en contrepartie, on leur permet si vous voulez de fournir un certain contenu sur ce site Web. ”’.

Le processus est équivalent mais au sein d’un cadre plus étroit, limité à la sphère médiatique, en ce qui concerne l’approche professionnelle. Ces magazines proposent, via leurs sites, des services qui se trouvent à la périphérie du journalisme. Et selon une juxtaposition particulièrement incitative, ils prolongent habilement l’information dispensée, traitant justement de la connaissance du secteur.

Il peut s’agir de veille technologique dans le domaine de l’informatique et du multimédia : c’est le cas de Webmaster et du cabinet d’études IDC,qui dépend du même groupe de presse. Cela peut également consister en une activité de conseil et de formation, comme dans le cas de CD-Rama et de sa filiale, CD-Ingéniérie. Notons que les revenus générés par ces activités annexes sont loin d’être négligeables, si l’on considère l’ensemble des recettes de la publication.

A tel point que ces services, annexes à l’activité médiatique, peuvent supporter entièrement les coûts du magazine papier. Yann Boutin l’explique pour CD-Ingéniérie par rapport à CD-Rama : ‘“ le but de CD-Rama Ingénierie, c’était clairement de renflouer CD-Rama parce que bon, CD-Rama n’a jamais été rentable, jamais. Donc en fait, au bout d’un moment, la réflexion c’était justement... comment renflouer les caisses de CD-Rama ? La pub, on avait du mal à la vendre parce que, encore une fois, pas mal d’annonceurs vont s’adresser aux grands groupes. Parce que quand on s’adresse à un grand groupe, c’est beaucoup plus facile, on n’a qu’une interface commerciale. Et l’interface commerciale : “ voilà, alors votre pub, je peux vous faire un plan média passant par des supports, etc. ” Les gros annonceurs ne vont pas s’embêter à aller voir les petits supports un à un, ils n’ont pas de temps à perdre. Donc, on avait du mal à vendre notre pub également, on avait du mal à vendre en kiosques, etc. Donc le fait est qu’il fallait trouver d’autres sources de revenus, donc c’est vrai qu’à partir du moment où on avait développé une certaine expertise, une certaine notoriété, bon il était plus naturel que CD-Rama devienne une sorte de vitrine. Tout en sachant bien que là encore, ça pose des problèmes déontologiques parce qu’il y avait un certain nombre de choses que l’on ne pouvait pas se permettre. Comme par exemple dans nos articles, dans nos articles de journalistes, on n’a jamais parlé de CD-Rama Ingénierie, on n’aurait pas pu ou alors c’était spécifié publi-reportage.”’

Les extensions électroniques se révèlent ainsi, pour les acteurs médiatiques, un moyen efficace d’élargir leur zone de chalandise. Elles le sont également pour les acteurs marchands du domaine qui, d’une manière plus générale, se font de plus en plus concrètement présents dans les publications, à la fois électroniques et imprimées, lors de cette phase de maturation.