2.2.1. Les magazines servant directement les intérêts, dans le domaine du multimédia resserré à l’Internet, des acteurs auxquels ils appartiennent.

Alors que dans la partie précédente, nous nous sommes intéressés aux acteurs médiatiques qui essayaient par le biais du journalisme d’investir le domaine, nous nous attacherons ici à étudier les acteurs marchands du domaine qui se lancent dans la production médiatique. Ces derniers ne se limitent plus à des campagnes promotionnelles auprès des médias (stratégies de communication visant à obtenir une visibilité dans la presse, achats d’espaces publicitaires au sein des magazines), habituelles dans cette phase de mise sur le marché de leurs produits et services 176 . Les entreprises du secteur vont cette fois jusqu’à éditer directement des revues “ grand public ”, vendues en kiosque, tendant à faire franchir un nouveau palier aux “ relations publiques généralisées ”.

Il en résulte un traitement médiatique très subjectif, souvent polarisé sur l’acteur économique détenteur de la publication, dont les aspirations commerciales au sein du domaine du multimédia transparaissent dans le contenu rédactionnel. Ce qui explique le penchant de ces revues pour la découverte et l’initiation à l’Internet, ainsi que leur répartition, habituelle dans le monde industriel, entre sphère du travail et sphère du loisir.

La plupart de ces publications aux mains d’acteurs économiques du domaine, conjuguent initiation et loisir. Ceci s’effectue plus précisément à travers la mise en avant de la pratique, justement simple et distrayante, de visite du Web. Elles se concentrent en particulier sur le surf et la navigation, comme l’indiquent par exemple ces titres : “ Comment naviguer sur Internet ? ” dans Passeport pour CompuServe; “ Autour du monde, visiter et voyager grâce à Internet ” dans Internet Accessible n°1; “ Bienvenue sur Internet ” dans “ l’Internet + ” n°1. On peut distinguer plusieurs cas de figure parmi ces publications, selon que leurs responsables, acteurs économiques du multimédia, disposent déjà ou non de compétences journalistiques.

Certaines sont réalisées par de vrais acteurs médiatiques, mais servent en fait de véritables plaquettes publicitaires, à l’apparence journalistique, pour un certain nombre d’acteurs économiques du multimédia. C’est le cas des publications éditées par PC Expert, un magazine qui appartient au groupe de presse informatique Ziff-Davis. Il a proposé ses services à des acteurs très importants du domaine du multimédia : CompuServe, “ service en ligne ” (offre de contenus multimédias propres, accessibles sur abonnement) autonome à l’époque, dépendant aujourd’hui de Vivendi-Générale des Eaux en tant que fournisseur d’accès Internet pour les entreprises; France Télécom, qui faisait la promotion de ses activités Internet regroupées autour de Wanadoo; et Microsoft, qui alors ambitionnait de contrôler un véritable Internet privé, avec son service Microsoft Network - MSN. Ces “ poids lourds ” du multimédia ont bénéficié des compétences rédactionnelles, et des connaissances des circuits de diffusion de la presse dans les kiosques grand public, de PC Expert, sousla forme de trois numéros hors-série : respectivement Passeport pour CompuServe, Passeport pour Wanadoo, et Passeport pour Internet.

HOL, c’est-à-dire Havas On Line, a lui pu faire indirectement appel au savoir-faire de sa maison-mère en matière d’édition, pour publier trente numéros de Internet Accessible. Chaque “ livret ” thématique de cette revue d’initiation, dont le sous-titre est ‘“ Je découvre et je maîtrise Internet sans être obligé de me connecter ”’, se propose de ‘“ mettre Internet à votre disposition d’une manière claire, simple et efficace en trente numéros. Internet Accessible vous permettra de devenir un navigateur qui n’aura plus de raison de redouter de s’égarer sur Internet. Internet Accessible vous donnera également tous les moyens de vous connecter à des conditions financières favorables ”’. On devine à ce simple avant-propos les dangers qui guettent l’objectivité de cette formation à l’Internet.

Ils ne sont pas moindres dans “ l’Internet + ”, sous-titré “ le meilleur de l’Internet à votre portée ”. Ce “ consumer magazine ” est en effet la lettre d’informations en principe réservée aux seuls abonnés du service en ligne Infonie. Elle a pourtant été distribuée en kiosque, le temps de ses deux premiers numéros.

A la différence des précédents, et comme son nom l’indique, “ le magazine des solutions Internet IBM et Lotus ” est réalisé par des acteurs visant la partie professionnelle du secteur du multimédia. Il s’agit en l’occurrence des leaders de l’informatique en entreprise, désireux de conserver leur leadership dans la nouvelle configuration technologique, et qui n’avaient jusqu’ici produit aucun document rédactionnel de type magazine grand public.

Mais cette publication ne se distingue pas fortement de celles évoquées auparavant, mis à part le fait qu’elle traite des applications de l’Internet au travail. Ses rubriques se nomment ainsi : “ Intranet et Extranet ”, “ Commerce électronique ”, ou encore “ Solutions PME-PMI ”. La base reste cependant celle d’une initiation à l’Internet, à la différence près que cette fois-ci, ce magazine s’adresse non plus aux individus pour leur activité de loisirs, mais plus directement aux entreprises, souhaitant connaître les meilleurs moyens de profiter de la nouvelle technologie pour leurs activités.

On voit ici que cette différenciation journalistique du thème du multimédia, entre sphère domestique et monde du travail, est tributaire des acteurs économiques du secteur qui contrôlent ces publications. Elle reflète à la fois leurs schèmes cognitifs, hérités de la vision industrielle, et leurs ambitions. Ils mettront évidemment en avant, dans leurs publications, la partie du domaine du multimédia dans laquelle ils souhaitent prendre place, tout en la traitant sous l’angle rassembleur de l’initiation au Web.

Les acteurs économiques du domaine n’ont pas seulement influé, grâce à leurs propres publications, sur les contenus de la presse multimédia lors de cette phase de maturation. Ils ont été également été associés, sur les extensions électroniques des revues, aux acteurs médiatiques. Ces derniers les ont sollicités pour ce qu’ils étaient le mieux à même de fournir : des modes d’emploi de leurs propres produits et services sur les sites Web, logiciels mis à disposition plus directement sur les CD-Roms pour une utilisation pratique et concrète.

Notes
176.

Cette situation explique la floraison de titres à cette époque : “ A chaque innovation, dans quelque domaine que ce soit, correspond la création d’un ou de multiples périodiques, qu’il s’agisse d’Internet, de skateboard ou de musique. Le périodique est dans ce cas conçu comme un outil de promotion pour les accessoires ou les outils nécessaires pour imposer ce nouveau produit ou cette nouvelle pratique. ” cf. BETHERY Annie, GASCUEL Jacqueline, 1997, op. cit., p. 51.