1.1.1. La fin des magazines consacrés exclusivement à une seule approche, en même temps que de l’initiation à l’Internet.

Les publications qui étaient apparues brutalement dans la presse multimédia lors de sa phase de maturation s’en sont retirées tout aussi rapidement. Ce moment charnière, qui préfigure la période de stabilisation, coïncide avec le passage à une utilisation beaucoup plus généralisée de l’Internet, mais sans que les revues spécialisées touchent pour autant un public autre que celui des Internautes avertis 177 . C’est même presque l’inverse, puisque le lectorat de départ de ces magazines voit au fur et à mesure ses compétences techniques augmenter et attendre en conséquence une information de plus en plus pointue. De ce fait, le traitement journalistique sous l’angle de la découverte n’est plus suffisant. Et la catégorisation entre magazines professionnels et revues de loisirs apparaît elle aussi désormais un peu dépassée, à cause également de ce développement de l’Internet, et notamment de son intégration au sein du monde du travail. La presse multimédia s’est ainsi au final débarrassée des magazines les plus archétypaux de sa phase de maturation.

Ainsi, parmi les publications de la catégorie professionnelle, seule subsiste la moins engagée dans cette voie, à savoir Netsurf. Les autres ne figurent plus dans les rayons des kiosques à journaux pour plusieurs raisons : CD-Rama parce que ses dirigeants ont décidé d’en arrêter définitivement la publication ; Webmaster a connu le même sort, à la différence près que celui-ci a, dans un premier temps, été retiré des linéaires grand public, pour ne plus être diffusé que sur abonnement auprès des entreprises. Cette formule de distribution, classique dans la presse professionnelle, a été également adoptée par Internet Professionnel qui laisse toutefois en libre accès son extension Web. Les autres sites, traces éphémères de l’existence de ces publications, sont définitivement tombés dans les oubliettes de l’Internet.

Cette disparition des revues professionnelles consacrées au multimédia de la diffusion grand public est à relier à l’institutionnalisation de l’Internet comme secteur d’activité à part entière. L’apparition et la multiplication des sociétés et des salariés vivant de ce travail spécifique, de même que la création de départements ou de services rattachés à cette technologie au sein des entreprises, en sont l’illustration dans les années 1997-1998. Cette autonomisation de l’Internet comme aire professionnelle, aboutit au transfert de l’information concernant ses applications dans un circuit habituel pour la presse spécialisée de ce type : elle est désormais diffusée au travers de réseaux institués, grâce à des abonnements composés à partir d’annuaires d’entreprises ou d’instances fédératives de la branche d’activité économique, voire à partir des fichiers d’abonnés des magazines informatiques du groupe comme dans le cas de IDG pour Webmaster.

Cette nouvelle situation tranche sur la période précédente, où les publications consacrées à une approche exclusivement professionnelle de l’Internet étaient présents dans les kiosques à journaux ou au hasard du Web. Ceci correspondait à un manque de référencement et donc de ciblage des acteurs professionnels du domaine. Leur trop faible nombre et le caractère émergent de leur métier, obligeaient à une prise de contact aléatoire avec eux. C’est pourquoi les publications professionnelles spécialisées dans le multimédia n’ont pas été d’emblée distribuées de manière confidentielle, à l’intention de lecteurs “ triés sur le volet ”, mais diffusées librement dans un premier temps.

La croissance du secteur de l’Internet, et notamment du nombre de ses utilisateurs réguliers, n’a pas facilité l’essor des magazines désirant accompagner la pérégrination sur le réseau, mais a au contraire précipité leur chute. Elle est ainsi paradoxalement responsable de la fin des publications-guides de l’Internet, et donc d’une approche de type uniquement loisirs dans la presse multimédia.

Ces revues disparaissent ainsi progressivement de la circulation médiatique : Internet-Le-Guide du Web s’est retirée, tandis que Ariane et Netscope ne paraissent plus qu’épisodiquement. A la différence de .net et à un degré moindre de Hachette.net qui avaient anticipé le mouvement, ces revues conçues comme des répertoires utiles pour la découverte de l’Internet se sont révélées inadaptées. Tout d’abord, parce que leur lectorat avait, en grande partie grâce à elles, franchi ce stade de l’initiation et recherchait des informations d’un niveau plus élevé. Ensuite parce que d’autres instances de médiation, de la presse d’informations générales à l’ensemble des structures de formation, s’en chargent désormais 178 . C’est précisément cette évolution que reflète plus globalement le basculement de la presse multimédia entre les deux périodes, lorsqu’elle s’attache à répondre à des attentes pratiques de plus en plus exigeantes, décuplées grâce à une plus grande maîtrise de la technologie.

Les lecteurs non encore initiés à l’Internet n’ont pas pour autant disparu et semblent même plus nombreux qu’auparavant, en raison de l’augmentation générale du nombre de connectés au réseau. Cependant, tous ne se reportent pas, loin de là, sur la presse spécialisée dans le multimédia pour découvrir la nouvelle technologie. Des médias d’information générale ont entre-temps pris la relève, que ce soit par l’édition de suppléments ou cahiers spéciaux dédiés à l’Internet, ou par la présence de rubriques consacrées à ce sujet en leur sein. De manière plus générale, la formation à l’Internet transite par un nombre démultiplié de canaux, qui réduisent à une portion congrue la place désormais occupée par les revues spécialisées dans l’éducation des néophytes. En conséquence, les acteurs médiatiques dominants de la presse multimédia s’adressent davantage à des Internautes aguerris, et ne proposent que de manière occasionnelle des numéros spéciaux pour les débutants.

Notes
177.

voir page 252.

178.

Voir notamment le paragraphe sur les “ médiations qui mettent en forme ces pratiques ”, in BOULLIER Dominique, CHARLIER Catherine, 1997, op. cit.