2.1.1. Netsurf, la revue de l’entrepreneur moderne.

Netsurf, dans sa première version, prend le contre-pied de son prédécesseur cyber, Univers Interactif, mais hésite à adopter intégralement une approche professionnelle classique. Il a conservé, à la différence des autres magazines de sa catégorie qui ont développé un contenu exclusivement dédié à l’entreprise, un lien avec l’utilisation de l’Internet pour le temps libre. Il se distingue en outre par son attention, précoce à l’époque, pour la technique, provenant sans doute du fait que son groupe de presse était en même temps opérateur de l’Internet puisque fournisseur d’accès.

Cette tendance a été confirmée par la suite avec cette fois une présentation non plus séparée des aspects professionnels et loisirs du multimédia, mais fusionnée. En particulier grâce à un intérêt renforcé pour la technique et par l’intermédiaire de la représentation d’un entrepreneur de la nouvelle vague. Celui-ci apparaît justement comme passionné par les matériaux modernes que sont l’Internet et le Web, et susceptible de les exploiter aussi bien au travail qu’à la maison.

Netsurf constitue au départ un hors-série du magazine avant-gardiste Univers Interactif. Mais la forme qu’il adopte à ses débuts, très conventionnelle dans la presse magazine, en est à l’opposé (numéros 1 à 9).

La sobriété des couvertures de sa première version tranche par exemple avec l’explosion graphique et visuelle de la revue-mère. Le rédacteur en chef actuel de Netsurf, Christophe Dubuit, nous explique qu’il s’agissait bien là d’un choix volontaire : ‘“ Les recettes sont standards. Là par contre je crois qu’il n’y a rien de spécifique à l’Internet. Je ne pense pas du tout, ce qui était parfois une idée prédominante..., que quand on parle d’Internet, c’est le cyber, donc forcément vous devez avoir une maquette à l’avenant, donc c’est délirant, donc du pipo. Cela se traite de manière classique avec une maquette normale, sobre comme tous les magazines. Je crois qu’il n’y a vraiment pas de spécificité par rapport aux sujets traités, nous on essaye de faire un truc sobre et propre, on essaye ”’.

Mais le changement le plus visible concerne la une de Netsurf : elle est nettement divisée en deux parties : “ Personnel ” et “ Entreprise ”. Les deux approches principales de la presse multimédia lors de sa phase de maturation sont ainsi explicitement présentes dans Netsurf, ce qui témoigne clairement de son adoption des catégories journalistiques traditionnelles, loisirs et professionnelle. Les applications de l’Internet au monde du travail sont toutefois généralement privilégiés par rapport aux opportunités de divertissement offertes par le multimédia, à l’intérieur de ce double mode de traitement journalistique du domaine. Pour autant, Netsurf ne rentre pas dans les canons habituels de la presse informatique professionnelle. Ainsi les dispositifs centralisateurs d’Intranet ou de Network Computers, présentés comme la panacée dans les autres publications de cette catégorie, sont ici presque passés sous silence. Mais cela n’empêche pas la revue de fonder l’ensemble de ces propos sur une connaissance technique pointue, et de les étayer par des exemples concrets, principes assez rares lors de cette période.

Cette position plutôt originale va s’affirmer dans la deuxième formule de Netsurf (numéros 10 à 18). Elle est mise en place par l’actuel rédacteur en chef, Christophe Dubuit, en remplacement de son prédécesseur, Philippe Giudicelli, directeur de Pressimage.

Christophe Dubuit est convaincu de l’obsolescence de la catégorisation journalistique habituelle, lorsqu’il décrit la ligne éditoriale de son magazine : ‘“ on essaye de sortir un peu des catégories traditionnelles qui empoisonnent un petit peu... sur lesquelles la presse informatique, je dirais, s’appuient : donc c’est par marché, marché professionnel, le marché Soho, le marché grand public, etc. Je dirais, l’Internet vient un petit peu brouiller ces catégories tout simplement parce que, je dirais que tout le monde peut y trouver son compte. En fait, ce qui est important, c’est pas du tout (...) ce que vous faites en tant que profession, si vous êtes étudiant ou simple femme à la maison, la ménagère de moins de 50 ans. Donc ça c’est pas très important en fait. Ce qui est important, c’est de savoir ce que vous en faites. Et à partir de là, c’est vrai par rapport à l’Internet, tout de suite, je dirais, un univers de possibles s’ouvre parce que c’est très large : on peut aussi bien traiter l’Internet sous le plan économique, politique, juridique, purement technique, informatique, etc. Donc il y a une infinité, je dirais d’angles en fait, en termes journalistiques, à prendre.. ”’.

Il est également persuadé de la nécessité d’inclure, en permanence, des références techniques dans l’information consacrée au multimédia et à l’Internet, et d’amoindrir la composante idéologique marquant la période précédente : ‘“ ça reste quand même, je dirais des problématiques informatiques, techniques. L’Internet, c’est avant tout un micro-ordinateur donc c’est vrai que on ne peut pas l’occulter. C’est pour cela que l’on ne voulait pas faire un magazine Internet dirais-je éventuellement philosophique, ou politique, ou sociologique. Parce que là je crois que la cible est très réduite : Planète Internet en est mort. ”’

Ces visées, même si elles sont théorisées a posteriori dans le cadre de l’entretien, ont été alors effectivement concrétisées dans le magazine. Elles ont, en ce sens, servi de base conceptuelle pour la vision de l’entrepreneur.

Celui-ci apparaît comme un individu moderne, et de ce fait forcément attiré par le multimédia et l’Internet en tant que nouvelles technologies de communication. D’où une anticipation de cette attente par le magazine, avec la mise en place de rubriques présentant les matériels “ dernier cri ”, comme “ Technologies ” et “ Net Direct ”. Et de manière plus épisodique, une tendance à vouloir apporter des réponses pratiques aux problèmes rencontrés ainsi qu’en témoigne la rubrique “ Solutions ”, présentée laconiquement comme suit : “ Des dossiers ? des solutions concrètes ”.

Le lecteur idéalisé par Netsurf devrait entretenir un mode de vie approprié, c’est à dire où les limites entre lieu de travail et espace domestique, autant qu’entre activité et temps libre, seraient floues. En conséquence, on imagine qu’il lui plaira de retrouver dans un même magazine des présentations à la fois sérieuses et divertissantes de l’Internet, qui pourront lui être utiles autant au bureau, que dans son appartement. C’est en tout cas dans cette double direction que raisonne Christophe Dubuit : ‘“Les pigistes font des propositions de dossiers, d’articles, etc. Et après c’est un peu comme une cuisinière, on essaye de faire un menu. On ne peut pas se permettre d’avoir deux papiers sur le même sujet, donc on va essayer de varier la carte, c’est vraiment comme au restaurant. Donc si vous avez un dossier, je dirais un peu pointu par rapport à l’entreprise, donc des logiques d’entreprises qui ne touchent pas tout le monde, on va essayer de compenser avec un dossier plus grand public, par exemple sur la traitement de la Coupe du Monde sur le Web.”’

Ainsi, après avoir abandonné l’information sur le multimédia destiné aux entreprises, au profit des autres magazines plus spécialisés dans ces préoccupations professionnelles, Netsurf s’est lancée dans une voie médiane par rapport à la composante de divertissement du multimédia. Sa description de l’entrepreneur, vise alors celui qui se sert des nouvelles technologies de communication pour son travail, mais qui aime également les utiliser à titre personnel.

Cette publication joue donc, grâce à une présentation technique de l’Internet, sur les deux tableaux. Elle va trouver avec la création sur le Web, une fonction encore plus fédératrice, qui va lui procurer un moyen d’élargir sa cible en même temps que la notion d’entrepreneur.