2.2.1. Un amateur de plus en plus technicien pour pouvoir satisfaire sa passion.

Le virage de .net, depuis une revue de cyberculture jusqu’à un magazine où loisirs et professionnels sont mêlés dans un même intérêt pour la technique, s’est négocié grâce à une transformation de la représentation de son lectorat. On passe d’un amateur attiré de manière assez abstraite par les nouvelles technologies de communication, à un amateur éprouvant plus directement du plaisir à utiliser ces technologies et notamment l’Internet. Pour optimiser cette pratique, il devient un expert, avec des exigences comparables à celles d’un professionnel.

La notion est ainsi une première fois détournée par le nouveau rédacteur en chef lors de sa restructuration de la revue, à partir du n° 5. Il garde le substrat de plaisir attaché au multimédia dans la période cyber précédente de .net, mais lui ôte peu à peu ses atours idéologiques. A la place, il lui fait revêtir une forme beaucoup plus concrète, matérialisée par le surf sur le Web.

Forme particulière et nouvelle de loisir, le surf, pour être pratiqué dans les meilleures conditions, engendre un besoin de connaissances techniques tant en terme de savoir-faire que de matériels. .net va s’empresser d’y répondre, jusqu’à atteindre un niveau lui permettant finalement d’intéresser également des professionnels, nouveaux venus parmi ses lecteurs.

La figure de l’amateur permet tout d’abord à .net de rompre en douceur avec son passé cyber : elle en retient la dimension de plaisir mais substitue une exaltation de la technologie à ses visions futuristes ou ésotériques.

A cette réorientation éditoriale du magazine, correspond un changement dans sa structure matérielle de production, et en particulier au niveau de sa rédaction en chef. Les cinq premiers numéros ont en effet été réalisés par une équipe très restreinte et aux ressources propres très limitées, coordonnée par Laurence Richard. Elle était chargée, par le groupe de presse Edicorp, d’éditer en France un magazine consacré à l’Internet s’inspirant de la réussite de son prédécesseur britannique, véritable chantre de la cyberculture au Royaume-Uni sous l’égide de sa maison-mère Pearson. Mais elle a du, faute de moyens, se limiter à prendre le .net anglais comme modèle et à le réadapter purement et simplement au public hexagonal : ‘“ Alors au tout départ bien sûr, le titre a vécu avec une véritable équipe autonome, avec une rédactrice en chef qui était la première à acclimater le contenu de .net, mais il est certain que sur les trois, quatre premiers numéros, .net français bénéficiait largement d’un certain nombre de thématiques inspirées et traduites de l’anglais. Mais inspirées, parce que je peux vous assurer qu’il n’est pas possible de prendre un article, une enquête dans le .net anglais et de le transcrire tel quel, tout simplement parce que les produits ne sont pas les mêmes, que la logique de vulgarisation n’est pas la même. Alors, après mon arrivée à la rédaction en chef de .net, là on a pris une inflexion autre qui était que nous sommes de plus en plus éloignés de notre cousin britannique pour coller aux attentes, aux exigences d’un public français qui commençait à se faire de plus en plus présent. Donc aujourd’hui, s’il nous arrive de reprendre quelques iconographies, quelques illustrations, voir quelques thématiques, elles sont toujours complètement adaptées et 100 % reformulées pour le public français. ”’

Celui qui commente cette situation initiale la connaît bien puisqu’il s’agit du successeur de Laurence Richard, à partir du n°6, et qui est toujours en place, Olivier Magnan. Il a été l’artisan principal du passage de la période cyber à la maturation, et de l’adoption d’une position particulière au sein de l’approche loisir de la presse multimédia. Cette dernière est fondée sur un intérêt croissant pour les points techniques et pratiques, selon un subtil mélange entre continuité et rupture.

Contrairement à l’horizon englobant et monolithique de la période cyber, le magazine s’est ouvert à des approches diversifiées, comme en témoigne de la manière la plus visible sa couverture : elle s’orne désormais dans sa partie basse, d’un bandeau présentant, en plus de la une et pour chaque numéro, cinq autres thèmes principaux. .net a toutefois sauvegardé de cette période initiale, une démarche de recherche de plaisir. Une sorte de marque de fabrique ou d’esprit de traitement du multimédia, comme l’affirme son rédacteur en chef, Olivier Magnan : ‘“ Bien, à tort ou à raison, il existe une presse informatique. Cette presse informatique s’est logiquement emparée d’Internet, mais de mon point de vue, ce n’est pas logique parce que Internet qui a la dimension technique propre à la micro-informatique d’accord, a surtout la dimension intellectuelle de ses contenus et de ses... secteurs pratiques comme le commerce en ligne ou des choses comme ça, bon. Ca n’a rien d’informatique : pourquoi aujourd’hui garderait-on les titres Internet dans des groupes de presse spécialisée informatique ? On le fait simplement parce que c’est vaguement technique, parce que il faut encore un micro pour faire tourner la bécane, pour faire tourner le système mais c’est tout. (...) je me suis beaucoup intéressé à la presse dite informatique parce que je suis passionné par la vulgarisation et toute ma démarche journalistique consiste à partir d’un contenu technique et à l’offrir en pâture au grand public, le plus large soit-il, en appliquant les méthodes journalistiques. Autrement dit, ce que vous écrivez, ça doit être agréable à lire. Tout à l’heure, je vous disais que Internet c’est une presse plaisir, il faut que le public s’y retrouve, que le lecteur s’y retrouve. Un lecteur qui aura eu du plaisir à lire un article autant qu’il en aura eu à comprendre ce qu’on lui dit c’est un lecteur fidèle, vous fidélisez. ”’

Par ailleurs, la description journalistique du multimédia ne doit plus, selon Olivier Magnan, s’exprimer dans des sujets à consonance utopique tels que “ Cent une choses à faire sur l’Internet avant de mourir ” (n°2), mais dans des utilisations effectives et néanmoins plaisantes de la technologie : ‘“ Alors qu’est ce qui fait notre spécificité, est-ce-que j’oserais dire notre succès ? Tout simplement, notre analyse a abouti à cette idée maîtresse que le public français actuellement se tourne vers Internet, pour des raisons professionnelles sans doute, et avant tout à titre individuel et personnel. C’est donc une démarche plaisir, ce que je nomme une démarche plaisir ou une démarche passion comme on veut, et la presse qui sert une démarche plaisir ou une démarche passion c’est forcément une presse qui se voudra éminemment pratique. Ce que les français veulent aujourd’hui en 1998 c’est comment ça marche ? comment dois-je faire pour avoir ma liaison Internet ? que dois-je faire pour l’avoir au moindre coût ? et quel contenu puis je y trouver ? A partir du moment où vous répondez à ces quatre questions clés, vous répondez à un besoin fantastique et pourquoi avons nous marqué le pas sur le concurrent ? parce que grâce à Dieu ou à d’autres puissances tutélaires, nos concurrents n’ont pas compris que c’étaient ces questions éminemment pratiques, claires, simples et précises que se posaient les acheteurs. On a eu par exemple un concurrent qui s’appelait Planète Internet qui était fort bien fait par des journalistes de haut niveau. Le seul souci, c’est qu’on aurait pu trouver leurs articles dans le Point, le Nouvel Observateur, c’étaient des considérations philosophiques sur le contenu. ”’ C’est ainsi que très naturellement, .net fait figurer le surf en première place des applications auxquelles son lecteur aime s’adonner. Il est en ce sens proche des autres magazines de l’approche loisir de cette époque. Mais il se singularise tout de même en faisant de son amateur de surf sur le Web non seulement un connaisseur des meilleurs plages électroniques, mais en outre un préparateur de planche avisé, ainsi qu’un fin estimateur des vents et des marées. Autrement dit, ce magazine insiste également sur les aspects techniques du Web, sur les logiciels de navigation comme sur les moyens de connexion, jusqu’à atteindre un niveau proche de l’expertise professionnelle.

En multipliant les conseils techniques à destination des surfeurs, .net ne se limite pas à aider ses lecteurs à se procurer un maximum de plaisir sur le Web. Il permet également à ces amateurs d’acquérir des compétences en matière d’Internet presque égales à celles des professionnels.

Ce double objectif est d’ailleurs explicitement formulé : le sous-titre accompagnant la présentation de la partie technique “ Technoblabla ” dans le sommaire du magazine passe ainsi de “ Tout pour surfer sans ramer ” dans le n°5 de .net, c’est à dire le dernier de sa période cyber, à “ Tout pour devenir un vrai pro du Net ” dans le n°6.

De ce premier numéro dirigé par Olivier Magnan, jusqu’au n°13, nous abordons une nouvelle phase, celle d’une recherche maximale et optimale de la vitesse, synonyme d’ivresse pour le lecteur-amateur, et des moyens techniques pour y parvenir. Cette phase s’appuie sur une nouvelle maquette, et sur l’utilisation, dans la quasi-totalité des numéros de .net lors de cette période, de photographies, images, ou vocables liés à la vitesse : iconographie de surfeurs parcourant le globe terrestre pour illustrer le passage en revue des meilleurs navigateurs Web, moteurs de recherche, etc. (n°7); comparatif entre les logiciels de navigation de Netscape et de Microsoft (n°10) ; titres tels “ Plus vite ! - toutes les solutions pour accélérer vos connexions  ” (n°11) ; bandeaux en couverture annonçant des dossiers principaux tels “ Surfer à 56 000 bps, info ou intox ? ” (n°6), “ 8 modems en test vérité ” (n°7), “ moteurs de recherche de pros : accéder à l’efficacité ” (n°10), “ Modems : pour qui ? combien ? quelle marque ? ” (n°11).

Le surf est ainsi représenté comme la pratique de loisir par excellence de l’Internet, mais qui repose sur une assise technique proche de celle des professionnels. La jonction entre les deux univers va davantage se préciser avec une autre pratique du Web : la création de sites. Non seulement elle implique de recourir à des savoir-faire professionnels, mais surtout elle peut à la fois être exercée “ en amateur ”, notamment dans le cas de la construction de pages personnelles, et constituer un véritable métier de l’Internet. En restant très discret quant à cet aspect, qu’il privilégie néanmoins lors de sa formule suivante, .net attire l’attention de Webmasters à l’ambivalence également partagée entre amateurisme et professionnalisme.