Conclusion première section

La description stabilisée du multimédia est de type généraliste.

C’est à dire qu’elle marie les points de vue opposés, professionnel et loisirs, de la précédente phase de maturation. Leur union se produit autour d’aspects techniques et pratiques d’une part, qui eux aussi étaient en gestation dans la période précédente; et d’une dimension de recherche esthétique d’autre part, qui elle remonte jusqu’aux idéaux cybernétiques de départ.

Le tableau 16 rappelle ainsi que le nouveau modèle de la presse multimédia est bâti à partir des modalités antérieures de sa représentation médiatique. Il en détaille également les deux lignes directrices :

- une conception de l’Internet comme accélérateur du rapprochement entre sphère domestique et monde du travail, et plus globalement entre le privé et le public.

- la mise en avant d’une pratique de créativité, en phase avec cette vision généraliste grâce à son caractère culturel, et accompagnée d’informations d’un niveau technique largement supérieur à celui de l’initiation.

Tableau 16 :
Evolution de la presse multimédia vers une description unitaire. Transformation des caractéristiques de la phase précédente. Nouveau modèle généraliste, fondé sur une approche techno-pratique de la créativité
Fusion des approches professionnelles et loisirs Fin des approches exclusivement professionnelles ou loisirs :
- disparition des revues professionnelles de la diffusion “ grand public ” : mode de distribution confidentiel plus habituel (abonnements, réseaux d’entreprises...), liée à l’autonomisation du secteur du multimédia.
- abandon des formules de guide de l’Internet : fonction de découverte assurée par des instances de médiation (organismes de formation, médias d’informations générales...) autres que la presse spécialisée, au lectorat devenu expert.
Exception : Hachette.net persiste dans cette voie.
Description généraliste unissant les aspects loisirs et professionnels :
- présentation de l’Internet comme accroissant le champ des activités professionnelles exercées au domicile : intérêt pour les possibilités de télé-travail, de transfert des services bancaires ou boursiers au foyer, de commerce électronique.
- vision d’une utilisation privée de l’Internet faisant appel à des logiques extérieures, via une surenchère technologique : qualité de la navigation sur le Web appréciée en fonction de critères de rapidité de connexion, utilité du courrier électronique dépendante de logiciels en permettant une gestion efficace.
Insistance sur les aspects techniques et pratiques. Initiation à l’Internet devenue annexe :
- formation initiale insastisfaisante pour les lecteurs réguliers de la presse multimédia, dont les attentes en matière d’informations techniques et pratiques ont augmenté.
- éditions spéciales destinées aux néophytes : suppléments et hors-série des publications dominant la presse multimédia dans cette période.
Généralisation des informations techniques, fédérées autour de la pratique de création :
- préoccupations techniques permanentes, au-delà des rubriques spécifiquement dédiées à cet aspect.
- contenus techniques souvent en rapport avec la pratique de création Web, spécifique à la nouvelle technologie.
- approche de la créativité comme travail ludique à caractère esthétique : pratique technique empruntant un biais d’inspiration cybernétique pour réunir approches loisirs et professionnelles.

Cette évolution de la presse multimédia vers un modèle stabilisé est illustrée par les parcours de ses publications dominantes : Netsurf et .net. Le tableau 17 met en parallèle leurs cheminements respectifs.

Possédant toutes deux des origines dans la période initiale marquée par l’idéologie d’inspiration cybernétique, elles ont ensuite divergé lors de la phase de maturation. Pour mieux se retrouver ensuite autour d’une image de leur lecteur comme d’un créateur Web, après avoir négocié quelques virages autant éditoriaux que sémantiques.

Netsurf a très vite opté pour une approche professionnelle, mais avec une vision de l’entrepreneur iconoclaste par rapport à celle habituellement développée dans cette catégorie de la presse magazine. Cette revue n’a en effet jamais perdu de vue que les utilisations de l’Internet n’étaient pas figées dans un espace clos, mais au contraire bien mouvant. Elle a ainsi toujours conservé, aux cotés de préoccupations liées au monde du travail, un intérêt pour les pratiques de temps libre. Et lorsque celle de la création Web a fini par s’imposer, elle a bien entendu bondi sur ce thème, en modifiant légèrement son acception de l’entrepreneur. Perçu au sens large comme un créateur, il a permis d’intégrer (ou de réintégrer) à son lectorat des individus consacrant une grande partie de leurs loisirs à cette activité de construction de sites Web.

Victime du succès de son homologue cybernétique outre-Manche, .net a dans un premier temps développé un attachement intellectualiste et assez ésotérique pour le multimédia. Se transformant en véritable de magazines de loisirs avec l’arrivée d’une équipe rédactionnelle autochtone plus solide, il a néanmoins cultivé des particularismes par rapport à ses concurrents directs, tous guides de l’Internet. Tout d’abord, une perception de plaisir cyber des nouvelles technologies. Ensuite, une insistance sur la technique, conçue comme essentielle pour profiter à plein du surf. Celle-ci va être encore décuplée par la suite, notamment avec le penchant pour la création, qui nécessite une maîtrise des différents outils de construction en html. Elle constituera surtout un biais pour l’intrusion de préoccupations d’ordre professionnel, puisque d’une part les gens travaillant dans le secteur vont pouvoir trouver des éléments intéressants pour leurs projets et réalisations dans le magazine, et que d’autre part les amateurs, ayant acquis un haut niveau d’expertise en la matière, seront de plus en plus tentés par une exploitation économique de leurs connaissances.

Tableau 17 :
Modalités de stabilisation selon les publications. Caractéristiques issues des phases précédentes. Intégration au modèle généraliste de la presse multimédia.
Evolution de la figure de l’entrepreneur développée par Netsurf . Conception d’un entrepreneur un peu plus moderne que dans les revues professionnelles classiques :
- attirer la curiosité du chef d’entreprise intéressé par les nouvelles technologies (n° 1 à 9 - 01/96 à 11/96) : mise en place d’une partie “ Entreprise ” au sein du magazine (en parallèle à la partie “ Personnel ” et au “ Netsurf Guide ”), apparence graphique plus conventionnelle que son prédécesseur avant-gardiste Univers Interactif.
- répondre aux besoins variés du cadre dynamique “ hi-tech ” (n° 10 à 18 - 12/96 à 09/97) : traitement des applications du multimédia, au bureau comme à la maison, sous des angles journalistiques multiples (professionnels évidemment mais aussi loisirs, et insistance sur la pratique et la technique).
Elargissement de la représentation de l’entrepreneur à celle plus générale du créateur (apparition de la rubrique “ Créer ”) :
- s’adresser aux créateurs de services sur l’Internet (n° 19 à 24 - 10/97 à 03/98) : mise en avant de jeunes diplômés créateurs d’entreprises dans le secteur, comparaison de la structure souple de ces PME aux “ start-up ” nord-américaines.
- viser l’ensemble des Internautes créateurs de sites Web (n° 25 à 29 - 04/98 à 08/98) : assimilation de ces initiatives individuelles à des actions entreprenantes, appréciées à partir de critères professionnels, même s’il ne s’agit que de simples “ pages personnelles ” réalisées par des amateurs (ces derniers sont d’ailleurs clairement convoités comme l’illustre le retour au premier plan du “ Netsurf Guide ”).
Evolution de la figure de l’amateur développée par .net . Vision d’un amateur de nouvelles sensations nécessitant non seulement un guide de l’Internet mais aussi une assistance technique :
- la représentation initiale de l’amateur de nouveautés technologiques (n° 1 à 5 - 11/96 à 03/97) : intérêt abstrait et intellectuel pour le multimédia exprimé dans ces premières éditions de .net, consistant en une reprise de la version britannique d’inspiration cybernétique.
- l’accompagnement technique de l’amateur du Web en vue d’assouvir sa passion (n° 6 à 12 - 04/97 à 11/97) : le surf comme activité de loisirs requérant à la fois une orientation pour la découverte des sites mais aussi une maîtrise pratique des outils de navigation, plaisir délivré par l’ivresse de la vitesse de connexion.
Description d’un amateur proche de l’expertise professionnelle en matière de création Web (n° 13 à 21 - 12/97 à 08/98) :
- appréhension de la création de sites Web comme activité de loisirs mais, à la différence du surf, offrant des possibilités sur le marché du travail à l’amateur qui en possède les savoirs-faires et compétences.
- le passage du surf à la création comme activité légitime de l’Internet permet la rentrée de contenus pouvant intéresser les professionnels au sein du magazine (exemple : le développement du commerce électronique envisagé du côté de l’acheteur mais aussi du côté du vendeur).

Netsurf et .net se différencient donc dans leurs perspectives initiales, mais se retrouvent pour décrire le multimédia sous un angle généraliste.

On ne constate au final, entre ces magazines, que des nuances au sein d’un modèle commun, analogues à celles de leur mode de diversification sur les nouveaux supports.

Les deux publications vont exploiter de manière semblable les extensions électroniques comme un moyen d’intermédiation double. Même si au départ, Netsurf s’en sertplutôt dans le sens d’une mise à disposition d’outils pratiques et .net. pour faciliter la découverte du Web, les CD-Roms constitueront bien vite à la fois une plate-forme pour la création et une interface de navigation.