1.1.1. L’extension électronique comme interface de navigation.

En multipliant les passerelles vers l’Internet, en particulier par l’implantation de liens hypertextuels au sein de son contenu, le CD-Rom accompagnant les magazines dominant cette dernière phase de la presse multimédia constitue un puissant accélérateur de l’accès au domaine, pour le lecteur ou l’Internaute qui le consulte.

Il en est en même temps la porte d’entrée, puisque c’est à partir de la sélection des différentes adresses électroniques qu’il a opérée, que le lecteur-Internaute va s’orienter pour naviguer sur le Web. Ce qui confère aux acteurs médiatiques une place éminemment stratégique, même si en apparence leur intervention semble minimale.

Cette fonction d’intermédiation pour l’accès à l’information est en effet primordiale dans la nouvelle configuration de convergence des technologies de communication. Différents travaux prospectifs s’y sont intéressés très tôt car ils voyaient ici un moyen de recycler l’atout “ kiosque ” du Minitel dans le contexte des “ autoroutes de l'information ”.

Cette conception comprend des degrés divers, du système télématique propriétaire au simple guidage entre les informations multimédia. Elle émanait entre autres des instances publiques de décision, et était repérable dans les orientations des rapports officiels : locomotive des N.T.I.C. dans les années 1980, la télématique est perçue comme une mince contribution à l'édifice tout-fibre optique et tout-numérique à bâtir, son avenir se réduisant à celui de ‘“ logiciel d'interrogation et de présentation de l'information ”’ 188 , ou d’‘“ interface d'identification et de commande ”’ 189 . Une étude des choix de développement de France Télécom résume cette évolution : ‘“ Le modèle qui a fait le succès du Télétel n'est certes pas reproductible tel quel, parce que trop uniforme et agissant dans un marché sans concurrence. Il sert néanmoins de référence aux projets déposés qui tournent autour de l’élargissement à l'univers informatique de la fonction kiosque ”’ 190 . A la médiation anonyme du kiosque devait ainsi succéder un lien plus direct avec l'utilisateur comme le montre le projet de “ kiosque micro ”.

L'idée d’“ applications intermédiaires ” relève d'une approche similaire, dans la configuration technologiquement plus avancée des “ autoroutes de l'information ” 191 . Dans cette situation, l'opérateur, qui en outre ne contrôle plus l'élément stratégique qu'est le terminal, doit tirer le meilleur parti de ce qui reste de la fonction kiosque, en se distinguant par sa fiabilité technique 192 ou par sa qualité graphique 193 . Cette limitation à un simple rôle d'intermédiation était alors confirmée concrètement par les différents projets 194 .

Depuis, cette vision s’est élargie, en particulier grâce à l’Internet qui confère aux interfaces de navigation un rôle prépondérant et une place déterminante dans le développement du multimédia : ‘“ On a le vertige devant cette galaxie de services qui vont être délivrés, soit par le support micro, soit par le support télé. Et l'on mesure que l'individu aura besoin d'être guidé ou de se repérer. Des interfaces, plus ou moins graphiques, plus ou moins conviviales, constitueront la clef d'entrée dans l'univers des services ”’ 195 . Aujourd’hui en effet, il y a tout lieu de croire que les médiateurs contrôlant les navigateurs possèdent une importance particulière car ils articulent une information qui n’est plus seulement diffusée mais “ adressée ” 196 . La fonction d’intermédiation est donc l’objet d’une lutte entre les acteurs de l’information, parmi lesquels figure bien évidemment la presse, exhortée par les pouvoirs publics à acquérir un statut nouveau et à préserver sa position : ‘“ Les professionnels de la presse écrite, qui constituent le groupe le plus important de producteurs télématiques, craignent légitimement de devenir dépendants de la technologie pour la mise en forme de l’information avant sa diffusion ”’, avec comme risque une ‘“ dépendance accrue vis à vis de nouveaux distributeurs qui joueraient le rôle de “ NMPP électroniques ”. ”’ 197

Ce type d’intermédiation, et ses conséquences, ne sont pas une révélation pour la presse multimédia. Elles ont déjà été expérimentées, même de manière aléatoire, dans la période cyber. Et elles ont naturellement été un des modes de diversification privilégié par des magazines de l’approche loisir lors de la phase de maturation, étant donné que ceux-ci se présentaient le plus souvent sous la forme de répertoires ou d’annuaires.

Cette orientation-navigation hypertextuelle est toutefois ici remarquable en raison de deux éléments nouveaux.

D’une part, elle s’est imposée comme la dimension essentielle des extensions électroniques, comme le montre sa généralisation. Elle est en effet présente non seulement sur le CD-Rom accompagnant .net, revue issue de l’approche loisir rappelons-le, mais également sur celui de Netsurf, issue de l’approche professionnelle.

D’autre part, si la déambulation sur le Web et le plaisir qu’elle procure constituent toujours une fin, recherchée par les lecteurs-Internautes, les moyens pour y parvenir acquièrent une importance toute aussi grande. Ce changement est visible dans la livraison, systématique sur le CD-Rom, des logiciels favorisant la connexion et la rapidité du surf.

Les versions finales des CD-Roms de Netsurf et .net présentent toutes deux une sélection de sites Web. Il s’agit le plus souvent d’une reproduction de celles sélectionnées dans le magazine papier, sauf que leur transposition sur le nouveau support électronique s’accompagne de liens hypertextuels qui permettent d’obtenir une mise en relation plus directe avec l’adresse souhaitée.

Ainsi .net réserve, sur la pochette contenant son CD-Rom, une bulle “ bookmark ”, placée sur un bandeau identique à celui figurant sur la couverture du magazine papier. Elle annonce que les rubriques “ Répertoires” et “ Hit-parade ” du support imprimé sont ici disponibles “ en accès direct ”. De manière semblable, Netsurf accorde dans la rubrique “ Découvrir ” de son CD-Rom, une large place au “ Netsurf Guide ”. Ce dernier renvoie à son homologue du magazine papier, à la différence près, et elle est de taille, qu’ici la consultation s’effectue via un logiciel de navigation qui permet par un simple clic d’être connecté à n’importe lequel des sites recensés.

L’extension électronique permet en ce sens un rapport plus immédiat entre le lecteur et les autres acteurs du domaine, et laisse aux acteurs médiatiques la fonction d’orientation, grâce à la sélection qu’ils ont effectuée au préalable. Christophe Dubuit, rédacteur en chef de Netsurf le confirme: ‘“ C’est une sorte, un petit peu un travail de vigie sur cet espèce de bordel ambiant. On va essayer de trouver des choses intéressantes, mais cela ne veut pas dire que c’est exhaustif et ça ne peut pas être exhaustif. C’est vraiment notre choix, notre propre personnalité qui s’y retrouve, notre propre centre d’intérêt, etc. C’est infiniment subjectif. Donc, on va relever certaines choses, on va les donner et on va dire aux lecteurs “ tiens voilà ce que j’ai trouvé, est-ce que ça t’intéresse ? ”, on l’espère. C’est un travail un petit peu de sélection, même de “ digest ” parfois pour les brèves par exemple, donc là devant l’avalanche d’infos on fait un rapide choix, on essaye de donner un petit aperçu de l’information. (...) Quand même, je crois qu’il y a un traitement de l’information. Pour les gros dossiers bon quand un journaliste écrit un gros bouquin etc ..., il donne ses notes, ses références. Là c’est un petit peu le même principe, sauf qu’au lieu de parler de référence, il faut pointer sur des documents bon c’est un petit changement technique, mais cela reste finalement la même démarche, la même procédure. ”’

L’intermédiation du CD-Rom facilite la navigation autrement qu’en lui donnant un sens, entendu comme une orientation d’après une réflexion humaine et journalistique. En lui fournissant les moyens techniques les plus performants pour le surf, elle améliore également la pérégrination du lecteur-Internaute au sein du domaine de l’Internet.

La démarche restant toujours celle d’une recherche de plaisir, à laquelle est assimilée l’accélération du débit de la connexion pour l’atteindre, ce sont des logiciels visant cet objectif qui vont être installés sur ces extensions électroniques. Ainsi la partie intitulée “ Pour le surf ” du CD-Rom de .net, visible dès son interface de présentation puisqu’elle figure en première position, y est entièrement consacrée. C’est également une des attributions de la rubrique “ Utiliser ” du CD-Rom de Netsurf.

L’offre régulière, des dernières versions des logiciels de navigation Web leaders sur le marché (Netscape Communicator et Microsoft Internet Explorer), constitue une autre tendance lourde allant en ce sens. A tel point qu’elle est même parfois annoncée dès la couverture des éditions imprimées de ces magazines.

On remarque ainsi que, dans cette phase finale de la presse multimédia, les outils et produits informatiques figurent aussi bien sur les extensions électroniques des revues issues de l’approche loisir que, naturellement, sur celles se réclamant de l’approche professionnelle. Cette ressemblance va encore s’accentuer en ce qui concerne la création sur l’Internet, application médiane pour laquelle les CD-Roms serviront de boîtes à outils avec les logiciels, et de lieux d’expositions avec les sites Web.

Notes
188.

THERY, 1994,op. cit., p85.

189.

BRETON, 1994,op. cit., p145.

190.

BUSSON Alain, 1995, France Télécom et les autoroutes de l'information. Le client, le service et la technologie, in Communications et Stratégies, n° 19, p. 110.

191.

MAHIEUX François, 1995, Nouveaux services et nouvelles formes de consommation des messages, in DELMAS Richard, MASSIT-FOLLEA Françoise (dir.), Vers la société de l'information - Savoirs, pratiques, médiations - Actes du colloque C.N.E.-C.E./D.G. XIII, Rennes : Apogée, pp. 137-144.

192.

GASSOT Yves, 1995, Le Net ou l'expérimentation permanente, in Communications et Stratégies, n° 18, pp. 107-115.

193.

CONHAIM W.W., 1994, Internet access, in Link-Up, volume 11, n° 6, pp. 5-34.

194.

comme ceux de télévision interactive aux Etats-unis. Jean-Paul Lafrance relate entre autres celui de Prodigy : le service en ligne est intégré dans le projet Prodigy TV car, en tant que “ menu familier ”, il permet de naviguer plus aisément dans l'offre audiovisuelle, cf LAFRANCE Jean-Paul, 1994, Note de recherche - La TVI, l'Autoroute électronique, Internet et les Superhighways de l'avenir : vers une restructuration de l'industrie audiovisuelle, in T.I.S., volume 6, n° 4, p. 417.

195.

COSTE-CERDAN Nathalie, 1995, Une boussole dans l'univers du multimédia, in MédiasPouvoirs, n° 37, p. 42.

196.

MIEGE, 1997, op.cit., p. 64.

197.

MILEO,1996, op. cit., p. 100.