2.2.2. La mise en avant de la création ou l’éloignement du seul loisir pour une tournure mixte.

Le tournant de la création est d’abord pris sur le CD-Rom de .net n°12, c’est à dire avec un mois d’avance sur l’édition imprimée. Celle-ci n’officialisera son intérêt pour l’édification des sites Web qu’avec la prépondérance qui lui sera accordée au sein de sa nouvelle maquette, apparue avec le n°13. Mais elle tardera paradoxalement à s’affirmer sur cette extension électronique qui ne se convertira à une complète intermédiation, en devenant une véritable plate-forme pour la construction sur l’Internet, que dans ses dernières versions.

Il s’agit seulement au départ de simples changements à la surface du CD-Rom. Ainsi, sa pochette reproduit la couverture de la revue imprimée, et notamment son principe du bandeau manifestant la nouvelle approche multi-sectorielle de la publication. Surtout, la modification des noms des parties de son interface graphique fait clairement apparaître l’option créative. Mais elle consiste dans l’ensemble en un recyclage du contenu existant sur le CD-Rom : les logiciels de création étaient déjà présents, immergés parmi les autres, ils sont simplement mis en valeur.

La différence va venir avec le n°18. Les logiciels de création sont d’une part plus nombreux. Ils sont d’autre part juxtaposés à des sites Web, exposés non plus parce qu’ils ont été élaborés par des amateurs comme sur le serveur de Mygale, mais plutôt en raison de leur réussite et de leur reconnaissance. Ce qui fait définitivement franchir à .net le pas vers une extension électronique à visée professionnelle, répondant en ce sens à l’ensemble des critères de la dimension d’intermédiation caractérisant le mode stabilisé de diversification de la presse multimédia.

Dans un premier temps, la nouvelle apparence du CD-Rom de .net laisse penser à son ouverture vers l’univers professionnel. Des préoccupations liées à la création apparaissent aux côtés de celles liées à la navigation-plaisir. En réalité, ces changements se révèlent plutôt superficiels.

La nouvelle mise sous emballage du disque (“ packaging ”) lui fait endosser une carapace semblable à la couverture du magazine papier. Mais à y regarder de plus près, la symbolique du bandeau et de ses bulles censées représenter les différents aspects de l’Internet désormais approchés, s’avère plutôt creuse. Les différentes composantes du CD-Rom demeurent dans les faits toutes dédiées au surf, avec soit l’annonce des bookmarks, soit celle des sites de Mygale à consulter hors connexion.

L’interface électronique est elle aussi remodelée. Ses parties, même si elles sont rebaptisées, n’en renferment pas moins des contenus qui sont toujours du même type. Ainsi en ce qui concerne la mise à disposition de logiciels, la rubrique “ On-line ” devient “ Pour le surf ” et “ Off-line ” devient “ Création Web ”, mais leurs logos n’ont pas pour autant changé : un globe terrestre pour évoquer la navigation dans le premier cas, une clé à molette croisée avec un pinceau pour la construction sur l’Internet dans le second cas.

Seule à ne pas faire du neuf avec du vieux, la rubrique “ le bookmark ” s’appelle désormais “ Les plus de la rédac ”, et cela est justifié car on peut non seulement y retrouver “ Toutes les adresses du bookmark et du hit-parade au format html ”, mais aussi “ Les articles, les actualités, les compléments d’informations qui n’ont pu trouver place dans notre édition papier ”. Ceci selon une formule de prolongement de l’édition imprimée assez innovante, et qui constitue un objectif explicite du rédacteur en chef de .net, Olivier Magnan : ‘“ Une des choses que je voudrais faire, et que je pourrais déjà faire sur le CD-Rom mais qui prendrait toute sa valeur avec un Internet dans toute sa puissance, ce serait par exemple de montrer aux lecteurs l’interview que je vais réaliser sur le papier. Je vais lui consacrer une demi-page, trois questions reformulées et puis, pour la première fois de sa vie ou presque, le lecteur d’un magazine va pouvoir entrer dans l’intimité du métier de journaliste, voir la personne qui l’interviewe, voir que ça a duré plus longtemps, comprendre que les questions qui sont posées ne sont pas exactement celles qui ont été retranscrites, s’apercevoir que la réponse de l’interlocuteur ne sera pas reprise avec les mots que l’écrit imprimé va privilégier. Et il va s’apercevoir de tout un univers qu’il ne soupçonnait pas, et de la façon dont deux médias peuvent, sur le même sujet avec le même interlocuteur, avoir des interprétations complètement différentes. Et le mieux de tout ça, c’est qu’au final, avec un tout petit peu d’attentions et d’analyses, il s’apercevra qu’on arrive au même résultat avec des moyens différents, et ça c’est passionnant. ”’

Cette dimension originale est à souligner mais ne rentre toutefois pas dans le cadre plus global de l’évolution de la diversification de la presse multimédia lors de cette période, se stabilisant autour de l’intermédiation. Celle-ci ne connaîtra son aboutissement, en ce qui concerne .net, qu’avec la transformation d’autres rubriques en véritables espaces d’exposition de sites Web. Ceci avec des critères d’appréciation d’ordre professionnel, alors que jusqu’au n°18, elles consistaient encore exclusivement en la présentation de pages personnelles héritées du serveur Mygale, totalement réservé aux amateurs.

C’est en effet à partir de ce moment précis que le CD-Rom met sur le devant de sa scène des réalisations “ de référence ”, dont les auteurs sont souvent des professionnels à part entière. Ce qui semble mettre un terme au parti pris résolument divertissant de .net et annonce sa mutation vers une approche plurielle où, dans le cas de l’intermédiation, l’extension électronique se doit d’être une plate-forme pour la création autant qu’une interface de navigation.

Contrairement à la période précédente, celle qui débute avec le n°18 (mai 1998) se caractérise par un aménagement en profondeur, au niveau de l’exposition des sites Web aspirés. Les constructions artisanales en provenance de Mygale cohabitent désormais avec les “ Top Webs ”, en ce sens que leur notoriété atteint des sommets aussi bien auprès des particuliers que des professionnels.

Ces nouveautés substantielles vont cette fois logiquement entraîner des modifications dans la forme du CD-Rom. Tout d’abord au niveau de son interface graphique, avec un changement du nom de la rubrique, “ Les sites Mygale ” se modifiant en un plus général “ Surfer off-line ”, et de son logo, la dangereuse araignée étant remplacée par un CD-Rom plus classiquement en train de tourner. Mais c’est plus encore sur la pochette du disque que cette évolution est la plus soulignée : la bulle centrale du bandeau est désormais régulièrement occupée par la reproduction de la page d’accueil du site “Hors ligne ” choisi chaque mois. Le commentaire qui l’accompagne dans les pages de présentation du CD-Rom sur le magazine papier, le met lui aussi en relief : on peut par exemple lire que le site “ Air Web ” n’est rien d’autre que ‘“ Un exemple intelligent, graphiquement réussi, de ce que le Web peut réserver. Et pour cause, les auteurs, éditeurs et graphistes, savent rythmer une page : cases dessinées en noir et blanc, ruptures audacieuses, diaporamas réalisés à partir de maquettes puis modélisés. Les textes sont brefs, précis et les liens dûment sélectionnés. Bien foutu ”’.

Ce mélange d’emphase et d’expertise montre que loisir et professionnel sont désormais entrecroisés sur le CD-Rom de .net, en même temps que celui-ci est devenu le lieu d’une intermédiation pour la création aboutissant finalement à la même configuration que Netsurf. Si les deux magazines se ressemblent à ce point, tant dans leur représentation du domaine du multimédia que dans leur façon d’envisager la diversification, c’est qu’ils obéissent à des logiques semblables et sont coordonnés par des acteurs eux aussi relativement proches, que met en évidence leur analyse plus précise.