1.2.1. Les supports électroniques comme nouveaux moyens professionnels utilisés par les journalistes, pour intensifier leurs relations avec les acteurs du domaine.

Les fonctionnalités de l’Internet, et plus particulièrement celles du courrier électronique, figurent désormais pleinement dans l’attirail journalistique. Celui au sein duquel les acteurs médiatiques puisent quotidiennement pour glaner des données et les transformer plus tard en informations sous la forme d’articles ou de dossiers.

Leur utilisation en tant qu’outil de travail ne date pas de cette période de stabilisation, en ce qui concerne la presse multimédia. Les rédactions de ces magazines ont en effet été très tôt sensibilisées à ces nouvelles technologies, par le simple fait de les décrire ou de les commenter et d’en devenir ainsi des experts. Mais il convient de remarquer qu’à présent, leur emploi est généralisé. Surtout, il ne relève plus du gadget ou de l’innovation pure : il est pleinement mis à profit en étant inséré dans l’activité médiatique traditionnelle, qu’il accélère simplement à la marge en intensifiant les contacts avec l’extérieur.

C’est à dire, d’une part avec les entreprises du secteur du multimédia. Les nouveaux supports électroniques sont susceptibles d’amplifier les relations aujourd’hui banales du “ journalisme de communication ”.

D’autre part avec les lecteurs, par une apparente facilitation des échanges avec les rédacteurs de la publication.

Notons toutefois pour les deux cas qu’il faut se méfier des discours d’acteurs médiatiques tendant à enjoliver la situation née de l’utilisation de la nouvelle technologie. Son essor est certes confirmé dans les faits, mais pas toujours à l’avantage des journalistes, alors que ces derniers ont le plus souvent dans leurs récits tendance à se montrer à leur avantage.

L’Internet se révèle un nouveau canal pour obtenir des renseignements sur les acteurs institutionnels du domaine du multimédia, tout en s’inscrivant dans le mouvement de relations publiques généralisées qu’il accélère légèrement. Ce sont les deux fonctionnalités principales de l’Internet qui sont utilisées dans ce cadre.

Tout d’abord, le courrier électronique s’ajoute aux appels téléphoniques et à la correspondance postale. Avec ses modalités d’échanges asynchrones et surtout de jonction de documents annexes, il permet une nouvelle modalité d’échanges entre journalistes et attachés de presse des institutions publiques comme privées.

Le nouveau support électronique offre aussi avec le Web d’autres possibilités. Les entreprises peuvent, à moindre frais, rendre accessibles leurs communiqués de presse et autres documents promotionnels, en les déposant sur leurs sites. De leur côté, les rédacteurs-Internautes peuvent effectuer une recherche de ces données sur l’ensemble du réseau.

C’est ainsi que le journaliste préparant un article sur le nouveau produit d’une société informatique, peut aller directement sur le serveur Internet de cette dernière et acquérir à partir de cette source, même si elle est orientée en fonction de ses intérêts propres, des éléments nécessaires à son travail d’investigation. L’Internet est ainsi perçu, ou en tout cas présenté, par les acteurs médiatiques de ces magazines dominant la dernière phase du cycle de constitution de la presse multimédia, comme un enrichissement informationnel. Elle est même censée leur permettre de court-circuiter le réseau traditionnel de promotion tenu jusqu’ici par les différents acteurs du domaine.

Ainsi, Christophe Dubuit se réjouit d’avoir pu, à plusieurs occasions, devancer les attachés de presse à qui il fait régulièrement face sur le sol français. Comment ? En ayant eu recours auparavant et plus rapidement au site Web de la multinationale qui les emploie : ‘“ on apprend parfois aux attachés de presse que leur nouvelle version de leur produit est sortie. Cela c’est obligatoire à partir du moment où vous passez vos journées sur l’Internet : forcément, vous avez un petit avantage concurrentiel en matière d’infos sur des gens qui travaillent avec des communiqués de presse ou des dossiers de presse qui mettent du temps à être traduits ou à être faits. ”’

Ce discours d’un journaliste envisageant la technologie Internet comme mise au service de sa profession, au profit de sa plus grande indépendance, doit être questionné. Ne doit-on pas plutôt y voir une fuite en avant dans le “ journalisme de communication ” ? Les acteurs médiatiques ne vont-ils pas se sédentariser encore un peu plus via le Web et le courrier électronique, auxquels ils ont accès depuis leur bureau et qui ne les met finalement en relation qu’avec des informations “ pré-formatées ”, directement livrées à leur encontre par des sociétés qui espèrent profiter ainsi d’une publicité à peu de frais dans leur magazine ?

On a l’impression en effet que les acteurs du domaine sont les grands gagnants de cette utilisation de l’Internet pour le travail journalistique. Ils deviennent un peu plus maîtres du jeu de la médiatisation, grâce à ce nouvel espace de divulgation de leurs informations propres, c’est à dire orientées selon des finalités commerciales, qui leur est ainsi procuré. L’apparition récente sur le Web, de véritables agences de presse d’informations privées telles que Cyperus ou Newsdesk, semble aller en ce sens. Leur fonction consiste à centraliser, sur un serveur Internet, l’ensemble des communiqués de presse des firmes informatiques, et à les mettre à jour régulièrement.

Les nouveaux supports électroniques sont également, selon les acteurs médiatiques, de formidables moyens pour établir des échanges fournis avec leur lectorat 201 .

A cet égard les deux rédacteurs en chef, de .net et de Netsurf, louent dans un même élan les vertus du courrier électronique. Il est vu comme un mode de contact décuplant les relations avec les lecteurs, et permettant par ce biais de mieux répondre à leurs attentes.

Olivier Magnan, qui fait de la relation rédacteur-lecteur un principe primordial de sa conception de l’activité médiatique, ne peut que se réjouir des potentialités du nouvel instrument : ‘“ J’aime beaucoup le contact avec le lecteur, je le recherche. Il m’arrive de recevoir des messages de gens qui n’osent à peine à s’adresser au rédacteur en chef. Et lorsqu’ils ont une réponse de moi - parce qu’ils l’ont systématiquement, c’est une de mes règles, il n’y a pas un courrier qui reste sans réponse et le plus vite possible et c’est une partie non négligeable de la gestion de mon temps -, je leur réponds non seulement en essayant de leur apporter une réponse, mais aussi en les remerciant. Et souvent j’ai des retours : “ le rédacteur en chef m’a répondu : je ne m’y attendais pas ”, etc. Et je suis obligé de leur dire : “ attendez, n’inversez pas les rôles ”. “ N’inversez pas les rôles ”, c’est vous la personne importante, ce n’est pas moi. (...) Au sein de la rédaction, non seulement j’encourage, mais je peux vous dire que j’ai exigé gentiment que, de la part de tous mes collaborateurs, qu’ils répondent à tous les courriers et le mieux possible”’.

Christophe Dubuit est encore plus enthousiaste à propos du courrier électronique : ‘“ Si il y a une liaison qui est primordiale, c’est une chance pour tous les autres magazines, c’est le courrier électronique. Cela fonctionne très très bien. En trois ans on a du recevoir trois lettres manuscrites. Donc c’est clair que l’e-mail amène un contact direct non seulement instantané mais aussi beaucoup plus rapide, plus spontané. Le type a pas besoin de se dire “ il faut que je prenne mon téléphone, je suis en province, je vais appeler, je ne sais pas sur qui je vais tomber, le standard etc ... ”. Il tape son message, il l’envoie un peu comme une bouteille à la mer. Donc, cela peut être pour poser des questions, pour nous donner l’adresse de sa page Web personnelle, pour critiquer, pour nous féliciter. Ca n’arrête pas, on a un trafic moyen actuellement de trente messages par jour et cela aucun magazine ne l’a. (...) Donc, c’est un élément important de connaissances, de dialogue”’.

Les responsables des magazines semblent en effet se servir très fréquemment des remarques et commentaires de leurs lecteurs pour fixer leurs choix éditoriaux. Pour cette relation, la forme du courrier électronique est privilégiée. En témoigne le fait que seules les cordonnées e-mail, et non postales ou téléphoniques, de Netsurf soient indiquées pour contacter la rédaction. Et ce à la fois sur son extension CD-Rom, sur ce qu’il reste de son site Web (une page blanche avec le logo de la revue et, justement, son adresse électronique), et même sur son support imprimé.

Son n° 28 est particulièrement symptomatique de cette façon de procéder. On peut y lire, en dernière page, une annonce qui invite le lecteur à directement participer à l’élaboration des articles prévus pour les prochains numéros de la revue : ‘“ Témoin, acteur, lecteur... Netsurf se fait aussi avec vous ! - Privilégié : vous vous connectez grâce au réseau câblé, une ligne spécialisée, par satellite ou encore via une expérimentation ADSL. Vous bénéficiez d’un débit important. Vous êtes privilégié ! - Administré : nous sommes tous des webmasters ! Comment vivez-vous votre activité de responsable de sites Web ? - Expérimenté : ne soyez pas timide. Votre expérience face à l’Internet, qu’elle soit heureuse ou pas, nous intéresse. Votre entreprise communique par courrier électronique, vend ses produits sur le Web, a mis en place un Intranet, etc ... ? Expliquez-nous. - Repéré : ici, là ! Ce fameux logiciel, qui vous intrigue tant, est enfin disponible en version d’évaluation, téléchargeable sur le Net. Mais le fichier pèse une bonne dizaine de Mega-octets. Envoyez-nous son adresse. Peut-être pourrons-nous le placer sur le CD-Rom de Netsurf. (...)... Une seule adresse : redac@netsurf.fr ”’.

Le courrier électronique joue donc un rôle majeur de resserrement des liens entre les rédacteurs et les lecteurs. Parmi ceux que nous avons rencontrés, plusieurs effectivement étaient par ce biais rentrés en contact avec les journalistes de leurs magazines préférés, le plus souvent à leur grande surprise d’ailleurs. De manière plus générale, les supports électroniques, autant que le papier, servent d’interfaces pour cette nouvelle modalité épistolaire. Cette fonction rappelle celle d’intermédiation qui leur est également dévolue : elle aussi, en faisant participer les acteurs du domaine à la production médiatique, concourt, mais cette fois de manière plus attendue, à une élévation du niveau d’interdépendance de la presse multimédia lors de cette phase de stabilisation.

Notes
201.

Cette dimension d’échange entre lecteurs et rédacteurs, qui s’affirme dans cette période de stabilisation pour la presse multimédia, constituait déjà l’un des traits les plus marquants de la diversification Internet de l’ensemble de la presse en 1997 : “ Le seul domaine où une véritable nouveauté est apparue on-line se situe à l’heure actuelle du côté de l’interactivité lecteur-producteur d’information. (...) De tous les services que peut proposer la presse sur Internet, l’instauration de ce dialogue entre producteur et consommateur d’information est assurément le plus fréquent. Tous les titres proposent un échange avec le webmaster du site, la plupart incitent les lecteurs à un feed-back par courrier e-mail et bon nombre créent directement des lieux de discussion ou des forums sur des thèmes précis. Cette mise en relation potentielle de l’émetteur et du récepteur de l’acte communicationnel par rétroaction du second sur le premier représente aussi l’avancée la plus révolutionnaire du système, pour autant qu’elle ne se réduise pas à un simple mode d’autorégulation de la chaîne communicationnelle.”, in ANTOINE Frédéric, 1997, op. cit.