Le caractère ambivalent de la consultation hypertextuelle de l’information de presse.

L’hypertextualité a tout de suite été adoptée dans la presse consacrée au multimédia, en tant qu’aide à la navigation dans la publication électronique. Elle a été associée, principalement sur CD-Rom, à la fois à des interfaces multimodales favorisant une lecture plus intuitive, et à des procédés interactifs automatisant la recherche dans le fonds éditorial.

La lecture de la publication électronique passe par une première phase où les ressources visuelles et sonores du nouveau support sont largement sollicitées, pour indiquer qu’elles renferment un certain type de données.

Enfouies dans les méandres du document, ces dernières deviennent alors accessibles par le biais d’intermédiations techniques, simultanément propices à l’interactivité et conditionnées par l’organisation hypertextuelle de la publication.

Nous n’évoquerons que brièvement le premier point, parce qu’il a déjà été largement développé dans la première partie de cette recherche, et parce qu’il est moins fréquent dans les publications qui ont suivi cette période initiale d’inspiration cybernètique. Rappelons simplement que les CD-Roms et autres sites Web, faisaient appel, pour faciliter la navigation à la surface de l’écran, d’une part à une icônisation des rubriques et des fonctionnalités de la navigation, et d’autre part à des signalements vidéos et audios de ces blocs de textes.

Nous allons en revanche nous étendre davantage sur le deuxième mode d’évolution dans la publication électronique, à savoir la recherche d’information, favorisée conjointement par l’hypertextualité et l’interactivité. Tout d’abord parce qu’il concerne l’ensemble des extensions électroniques des publications les plus durables de la presse multimédia : CD-Roms de Netsurf et de .net, site Web de Hachette.net (qui est à ce titre un moteur de recherche pour Club-Internet). Surtout parce qu’il soulève une problèmatique intéressante : il consiste en une individualisation du choix entre les différents parcours de lecture du magazine, mais l’itinéraire personnalisé qui en résulte dépend toutefois de l’organisation hypertextuelle interne.

Une relation paradoxale s’instaure ainsi progressivement entre interactivité et hypertextualité dans la consultation des ressources de la publication.

Comme lors des diversifications électroniques précédentes, la dimension documentaire de la presse migre en priorité sur les extensions Web et CD-Rom. Cet aspect encyclopédique sort renforcé du passage sur support numérique, en raison de ses grandes capacités de stockage de données. Il est également facilité par la nouvelle technologie hypertextuelle qui permet de relier plus directement des sujets d’actualité avec des thèmes développés dans des numéros anciens.

Le lecteur peut alors lancer avec une plus grande aisance des recherches dans le fonds éditorial. L’attitude d’interactivité avec la machine ainsi adoptée, augmente son sentiment de maîtrise sur l’information. Sa navigation hypertextuelle, choisie délibérément au moment de chaque clic, reste cependant soumise à une architecture établie auparavant.

En se frayant un passage propre à l’intérieur d’un territoire façonné par d’autres 202 , le lecteur d’un document hypertextuel en devient certes un peu plus le coauteur, avec celui qui l’a élaboré. Notons qu’une telle configuration, liée à l’interactivité, était déjà en germe pour l’information télématique 203 , mais qu’elle dissimule un rapport de force toujours inégalitaire entre producteur et récepteur du message journalistique.

La publication électronique offre ainsi une plus grande liberté dans le mode de consultation de la presse, notamment grâce à la variété des choix de lecture permis par l’hypertextualité. Cependant, cette dernière consiste en une connexion généralisée des informations, mais selon une organisation contraignante ‘: “ opération, le plus souvent programmée et automatisée car fondée sur une classification, un regroupement, une structuration hiérarchique préalable, de recherche et de mise en relation d'éléments d'un ensemble quelconque ”’ 204 .

L’interactivité est ainsi paradoxalement bridée et favorisée par l’hypertextualité. Par son cadre prédéfini, elle limite l’horizon des possibles et en même temps, par ses possibilités de glissement d’un lien à un autre, elle permet au lecteur de composer sa propre information : ‘“ le lecteur du CD-Rom produit lui-même les structures discursives et les parcours de lisibilité de son information, la limite indépassable de cette autonomie étant déplacée vers l’amont, le lecteur n’ayant cependant pas la maîtrise des sources de l’information ni même celle du choix des informations disponibles dans le CD-Rom.”’ 205 .

La nouvelle médiation technique tend même à devenir de plus en plus pesante au sein de ce mode opératoire. Certaines extensions électroniques des revues reprennent en effet des principes de systématisation informatique pour la classification de leurs ressources.

Ainsi l’accès à l’information, en apparence plus pratique grâce à la technologie hypertextuelle, atteint un niveau d’encadrement supérieur avec les procédés d’automatisation de la recherche. Présentés comme un supplément d’interactivité par rapport à l’archivage traditionnel, ils illustrent pourtant dans leur mise en pratique une médiation technique encore plus dépendante de la structuration préalable de la publication électronique 206 .

Rappelons que Internet Professionnel et Hachette.net sont allés le plus loin dans cette utilisation commune de l’interactivité et de l’hypertextualité, en établissant un dispositif de personnalisation de l’information. Il proposent une sélection de leurs informations totalement adaptée au “ profil ” du lecteur, préalablement interrogé sur ses “ centres d’intérêts ”.

Cette relation sur-individualisée de “ push media ”, présentée par ses promoteurs comme un progrès en matière d’interactivité dans la consultation de la presse, reste en réalité toute à l’avantage des producteurs médiatiques. Les attentes du lecteur sont programmées : en conséquence, son attitude de recherche d’information se réduit à une activité automatisée par rapport aux dispositifs plus classiques de “ pull media ”, et se trouve encore plus strictement encadrée par l’architecture hypertextuelle.

Ce procédé s’inscrit de manière plus générale dans l’intégration des nouvelles technologies à l’exacerbation de la logique économique de la presse : ‘“ Internet permet de faire du futur consommateur un agent actif de l’expression de sa propre demande (...). Les perspectives annoncées sont clairement indiquées : alors que les annonces publicitaires sur les médias de presse connaissent certaines limites, de nouvelles solutions sont déjà prêtes qui feront la part belle à la publicité et qui contribueront à mêler plus que jamais l’information et le message publicitaire. Si elles se concrétisent, ce sera une atteinte supplémentaire aux mythes de la transparence et de la communication horizontale égalitaire que véhiculent avec conviction les promoteurs et les défenseurs d’Internet. ”’ 207

Un principe similaire régit le fonctionnement des moteurs de recherche. La mise en place de ces procédés informatiques d’indexation concerne la majorité des revues et généralise leur ambivalence entre interactivité apparente et soumission à l’organisation hypertextuelle. Elle marque aussi leur ouverture progressive vers le réseau par le recensement de l’ensemble des données pertinentes concernant les requêtes, non nécessairement limitées à l’espace de la publication.

Les revues proposent le plus souvent cette double possibilité d’effectuer des recherches à la fois dans leur stock archivé et sur l’Internet. Comme nous l’avons vu, la recherche de mots-clés ou de phrases entières sur le site Web de Hachette.net couvre par exemple deux terrains d’exploration : “ La sélection Hachette.net ” ou “ Tout l’Internet ”. Cet élargissement de la publication au réseau Internet tout entier, constitue le second développement de la presse électronique lié à l’hypertextualité.

Notes
202.

Nous faisons ici référence à “ l’énonciation piétonnière ”, notion développée in CLEMENT Jean, 1995, Du texte à l’hypertexte : vers une épistémologie de la discursivité hypertextuelle, in Actes du colloque de l’Université Paris 8, Hypertextes et hypermédias, Paris : Hermès, http://www.univ-paris8.fr.

203.

Marie Marchand estimait par exemple que l’interactivité était susceptible de transformer le schéma classique de la communication : le rôle de l’auteur s’apparenterait davantage à celui d’un architecte qu’à celui d’un conteur; le message deviendrait un ensemble de possibles; le récepteur accèderait à un statut de créateur voire de concepteur, in MARCHAND Marie, 1989, La communication à domicile, in CASTEL (du) François, CHAMBAT Pierre, MUSSO Pierre (dir.), L'ordre communicationnel - Les nouvelles technologies de l'information et la communication : enjeux et stratégies, Paris : La Documentation française / CNET-ENST, pp 219-228.

204.

GUILLAUME Marc, 1995, Une société commutative, in DELMAS Richard, MASSIT-FOLLEA Françoise (dir.), Vers la société de l'information - Savoirs, pratiques, médiations - Actes du colloque C.N.E.-C.E./D.G. XIII, Rennes : Apogée, p. 7.

205.

LAMIZET Bernard, 1998, op. cit., p. d 6.

206.

Voir à cet égard la notion d’ “ auto-médiation ”, avancée récemment in WEISSBERG Jean-Louis, 1998, L’auto-médiation sur Internet comme forme politique, Actes du 11° Congrès national des Sciences de l’information et de la communication, Médiations sociales, systèmes d’information et réseaux de communication, Metz : S.F.S.I.C., pp. 239-248.

207.

MIEGE Bernard, 1997, op. cit., p. 42.