Université Lumière - Lyon 2
Itinéraires photographiques, de la Chine aux « Missions Catholiques » (1880 - 1940)
Perception de la Chine à travers les archives photographiques des O.P.M. et la revue des Missions Catholiques
Thèse d’Histoire
sous la direction de Monsieur Claude PRUDHOMME
soutenue le 26 novembre 1999

[Préambule]

Le point de départ de cette étude est la revue Missions Catholiques . Nous avons étudié les illustrations de cette dernière, concernant la Chine entre 1880 et 1940, afin de mettre en évidence l’image que les missionnaires voulaient donner aux lecteurs européens de la Chine, des Chinois et des événements concernant ce pays, le tout à travers le prisme de l’action missionnaire. Mais, au-delà de cela, le principal intérêt de cette étude est que nous avions également à disposition les archives photographiques des Oeuvres Pontificales Missionnaires (Rue du Plat, Lyon 2ème) où se trouve, dans le fond ancien, l’essentiel des photographies envoyées en Europe par des missionnaires (principalement M.E.P., Scheutistes, Maryknoll, Franciscains ...). Après avoir présenté les archives et les missionnaires qui les ont constituées, nous avons pu nous livrer à une comparaison entre la collection archivée et la collection publiée par les Missions Catholiques. Il apparaît alors des différences importantes entre le message que voulaient faire passer par leurs photographies les missionnaires et celui qui ressort du choix des rédacteurs.

La presse missionnaire est lente à intégrer les évolutions qui ont lieu sur le terrain. Le discours reste dans la lignée des lettres édifiantes, s'apparentant souvent à la simple propagande missionnaire. Elles entretiennent l'idée que seuls les Européens peuvent prendre les bonnes décisions pour la Chine.

Il faut attendre la publication de l'encyclique Maximum illud, et surtout le sacre des évêques chinois qui fait suite à l'encyclique de Pie XIRerum Ecclesiae, pour que le discours commence à évoluer. Cependant la prise en compte de la sécularisation n'est intégrée que très lentement dans les Missions Catholiques.

On peut dire que les Missions Catholiques n'ont pas la démarche d'une véritable revue illustrée, contrairement à ce que nous pourrions penser compte tenu de l'importance de la place laissée aux photographies. Celles-ci ne sont utilisées que comme faire-valoir d'un article, sans qu'il y ait souci de liens, sur le fond, entre l'écrit et l'image. De plus, les illustrations retenues sont souvent neutres. Ainsi, les Missions Catholiques s'enlèvent la possibilité de la visualisation du concret et de la charge émotionnelle que peut porter une image.

Peut-on cependant parler de censure de la part des rédacteurs ? Le mot est sans doute trop fort. Il serait plus juste de parler de « filtrage », largement inconscient. Les photographies ne sont pas perçues comme un objet d’information en elles-mêmes. Partant de là, seules sont sélectionnées les images qui correspondent à ce que l’on a l’habitude de voir.

Que ressort-il finalement de cela ? Les Missions Catholiques donnent une vision de la Chine largement artificielle. La Chine n’existe qu’à travers le prisme de la politique missionnaire, qui est elle-même tronquée. En exagérant les traits, la stratégie missionnaire qui ressort des photographies publiées dans les Missions Catholiques peut se résumer ainsi : il faut prendre en charge les déshérités, les vieillards, essayant de les convertir avant le trépas ; recueillir les orphelins et les baptiser, surtout s’ils sont à l’article de la mort. Cette stratégie est orientée vers le Salut des âmes, et non vers la création d’une vraie société chrétienne. L’action missionnaire, ou plutôt le sacrifice missionnaire semble être une finalité en soi. De l’autre côté, et conformément aux voeux du Saint Siège, les missionnaires souhaitent réussir la mise en place d’une Chine chrétienne, et nous fournissent nombre de documents allant dans ce sens. Ils nous font part également d’une ouverture sur le pays qui est réelle et profonde. Cette stratégie impossible à saisir pour le lecteur de Missions Catholiques, repose avant tout sur la capacité du missionnaire à s'adapter aux conditions particulières de la région où ils oeuvrent, plutôt que d'une politique établie à Rome et appliquée aveuglément sur le terrain.

L'étude de sources photographiques concernant les missions en Chine ne nous amène pas à modifier le bilan de l'action missionnaire dans ce pays. La Chine a été placée au centre des préoccupations missionnaires dès la fin du XIXème siècle. Perçue comme un enjeu majeur pour l'Eglise catholique, l'aventure chinoise est au final un échec. L'étude des archives photographiques des O.P.M. nous conduit cependant à nuancer certains traits de ce bilan. Le clergé missionnaire était sans doute beaucoup plus favorable qu'on ne l'a cru, par conviction ou par nécessité, à la mise en place d'un clergé indigène. D'autre part, l'intégration des missionnaires au monde chinois est réelle. Là encore, certainement par nécessité du fait de l'isolement, les missionnaires font pleinement partie du monde chinois : l'acculturation est réelle. Les chrétientés de Chine ne sont pas des tentatives de reproduction de “petites Europe” en Extrême-Orient.

Hélas pour l’Eglise, les conditions de l'action religieuse restent profondément défavorables et la toute petite minorité catholique est impuissante à peser sur le cours des événements. Les troubles et l'insécurité sont tels que les missions ne peuvent pas s'émanciper autant qu'elles le souhaiteraient des puissances occidentales. Dans ce contexte, l'hostilité et l'acharnement des Japonais comme des Communistes chinois ont raison de l'implantation chrétienne en Chine qui, dans les années trente, sortait à peine de la marginalité. Il faut souligner la précocité de la lutte contre le communisme. Alors que les communistes sont eux-mêmes dans une situation extrêmement délicate, ils livrent une lutte sans merci aux missionnaires. Ils sont les plus grands ennemis des missions qui, de leur côté, les combattent dans la mesure de leurs moyens. Dès lors, les missions sont condamnées par la future victoire des communistes, quels qu’aient pu être leurs succès et la profondeur de leur implantation au coeur de la société chinoise.

L'étude des photographies permet donc de renforcer l'idée que l'échec de l'Eglise catholique en Chine fut tout autant conjoncturel que structurel. Il ne s'agit pas de nier que l'Eglise catholique a commis des erreurs de stratégies et n'a pas compris les spécificités du monde chinois. Pendant longtemps, elle a été dans l'impossibilité de mettre en place une réelle communication entre les deux mondes. Cependant, comme le mettent en évidence les photographies des O.P.M., il est tout autant indéniable que les missions sont victimes d'une conjoncture de plus en plus défavorable au moment même où l'intégration au monde chinois ainsi que le contact entre les deux civilisations s'établissent véritablement, sur des bases de confiance et de connaissances réciproques.

Par leur originalité et leur qualité, les photographies des O.P.M. nous permettent d'avoir un regard supplémentaire sur l'action missionnaire. Dans la mesure où elles ne sont pas réalisées par des professionnels, et puisqu'elles gardent une très grande spontanéité, elles nous amènent à découvrir la vie dans les missions non plus du point de vue du coeur ou de l'esprit du missionnaire, mais tout simplement à travers ses yeux.

Abréviations

C.I.C.M. Congrégation de l'Immaculé Coeur de Marie. (Scheutistes)
M.E.P. Missions Etrangères de Paris.
M.D.S. Missions du Divin Sauveur.
M.M. Missions de Maryknoll
M.S.C. Missionnaires du Sacré Coeur de Jésus.
O.F.M. Ordre des Frères Mineurs.
O.F.M.C. Ordre Franciscain Missionnaire Conventuel.
O.P. Ordre Prêcheur.
O.P.F. Oeuvre de Propagation de la Foi.
O.P.M. Oeuvres Pontificales Missionnaires.
O.S.B. Ordre de Saint Benoît.
P.A. Préfecture Apostolique.
S.J. Société de Jésus.
S.V.D. Société du Verbe Divin.
V.A. Vicariat Apostolique.