4) Le conflit sino-japonais

C'est seulement en 1938 que les exactions japonaises sont enfin relatées, à l'occasion de l'attaque et du bombardement de Shanghaï (Documents 74). Mais, il ne saurait être question d'entrer en opposition avec les Japonais. Le long article 52 , sur les deux mois de guerre à Shanghaï, est précédé de deux avertissements : un message radiodiffusé du 7 décembre 1937, signé Paul Lesourd, et surtout un extrait d'une conférence de Mgr . Costantini, datant de novembre 1937 et portant sur " les droits de discrétion de la presse missionnaire ". En parlant directement du conflit sino-japonais, le devoir absolu de neutralité des missionnaires, face à tout problème de politique extérieure, est rappelé. "Les missionnaires auront le plus grand soin de se tenir à l'écart des partis politiques. Qu'ils observent soigneusement le Canon 1386, qui interdit aux clercs séculiers et réguliers, sans la permission de leurs supérieurs, de collaborer aux journaux ou revues ou d'en diriger ; pour ce qui concerne les questions missionnaires, que seul apparaisse le zèle de répandre la parole de Dieu ". 53 Le message est clair. Il n'est pas question de mettre en accusation les troupes japonaises, et encore moins leur gouvernement. Mais paradoxalement, le devoir de neutralité ne s'applique pas à propos du bolchevisme, puisque Paul Lesourd se réjouit des bons rapports qu'entretiennent les missionnaires avec les gouvernements japonais et chinois "qui se sont aperçus, qu'il y avait... dans la doctrine catholique un appui sérieux et efficace contre les doctrines d'anarchie, de désordre et de mort représentées par le bolchevisme." 54

L'article qui suit est par conséquent un modèle du genre. Il fait état des souffrances de Shanghaï autour de trois points : les ruines matérielles ; les misères morales et les oeuvres de secours ; les blessés. Durant cette énumération, les Japonais ne sont évoqués qu'une fois, en parlant de travaux pour lesquels on signale que "les raids japonais avaient mis en fuite tous les ouvriers ..." 55 Hormis cela, cet article donne l'impression de relater les faits d'une guerre où l'on ne sait ni qui lance les bombes, ni qui les reçoit ! Les photographies vont dans le sens de cette extrême prudence. Il n'y a évidemment pas de scène de combat, pas plus que d'image de destructions. Nous voyons simplement des camps de réfugiés, des infirmières et un blessé, qui n'a pas l'air grièvement atteint, dans une salle commune qui n'est pas surpeuplée.

Face à cette manière de présenter les choses, comment analyser les photographies du R.P. Donavan et surtout des " objets retrouvés près de son corps " (Document 75). Le R.P. Donavan a été assassiné en Mandchourie au début de l'année 1938, par des " bandits qui l'avaient capturé en octobre de l'année précédente ". 56 Mais, qui se cache vraiment derrière ces " bandits ", alors que nous savons que la Mandchourie est sous le contrôle des Japonais, et que le R.P. Donavan est américain, de la congrégation des missionnaires de Maryknoll ?

En mai 1939 , les Missions Catholiques montrent à leurs lecteurs des photographies de destructions dues à la guerre (Documents 76). Il s'agit des ruines d'une mission, d'un hôpital et d'un grand magasin. Nous voyons les populations civiles au milieu des ruines, ainsi que les cercueils des victimes. Mais, les coupables ne sont toujours pas nommés. Bombes conventionnelles et incendiaires sont larguées par de "mystérieux" avions dont les escadrilles, stationnées sur les rives méridionales de la Chine, ne mettent que quelques heures pour atteindre le lieu du drame : la mission de Kweiyang dans le Kweichow. 57 Il faut attendre novembre 1939 pour une mise en accusation du Japon, qui soit enfin claire. Les Japonais sont désignés responsables du bombardement d'une église (Document 77) et d'un hôpital.

Cependant, durant cette période, la Chine a perdu beaucoup de son intérêt au sein de la revue. Les années 1938 et 1939 ne laissent que peu de place à la Chine. Ainsi, nous constatons une certaine marginalisation qui s'opère, en fait, dès 1917. Le seul grand événement, qui suscite un intérêt majeur, est la Révolution de 1911. Globalement, sur le plan politique, la Chine est traitée assez superficiellement. Les Missions Catholiques restent attachées, pour ne pas dire enfermées dans une certaine image de la Chine, et les bouleversements qui apparaissent durant cette période leur échappent en grande partie.

Après cette approche chronologique, il nous faut donc analyser maintenant les thèmes iconographiques que les Missions Catholiques utilisent pour présenter la Chine.

Notes
52.

Missions Catholiques : 1938 pages 3 et suivantes. Cet article est long de 5 pages, et illustré de 5 photographies.

53.

Mgr . Costantini, traduction de Paul Catrice, Univers de novembre 1937, in Missions Catholiques, 1938 page 7.

54.

Missions Catholiques : 1938 page 5.

55.

Ibid.

56.

Missions Catholiques : 1938 page 219.

57.

D'après les Missions Catholiques de 1939 pages 226 et 227, article de A . Darris . Voir également la carte du Kweichow page 184.