3) Les grandes cités : Shanghai, Pekin, Canton ...

Comme nous le disions ci-dessus, parmi les lieux cités en index des Missions Catholiques, ce sont les trois grandes villes de la Chine qui reviennent le plus souvent. Chaque année, il y a au moins un article à propos de Shanghaï, Pékin, ou Canton. Donc, a priori, l'équilibre par rapport à la Chine " du vide " que nous venons d'évoquer est rétabli. En fait, il n'en est rien. Si un nombre appréciable de photographies nous emmènent à l'extérieur des missions ou de leurs dépendances, peu nous font pénétrer réellement dans les villes en nous mettant en contact avec la population. Elles ont plutôt un caractère touristique, nous faisant découvrir un coin de la concession internationale (Document 100), le consulat de France de Shanghaï (Document 101), ou tel bâtiment officiel comme le palais du Président de la République à Pékin (Document 102).

La recherche d'un certain exotisme amène plutôt à la découverte de monuments plus typiques : les murailles de Pékin (Document 103), ou les éternels Bouddhas et tours fleuries à Canton (Document 104). Nous ne pénétrons jamais réellement dans le coeur de la ville chinoise. Les incursions ne sont que très occasionnelles, et, même dans ce cas, ce sont les aspects les plus européens qui sont mis en valeur. Nous voyons effectivement les " antiques sampans " mais, ce sont les immeubles modernes et les nouveaux quartiers de Shanghaï qui ont le premier rôle (Documents 105 et 106).

Deux séries de photographies nous offrent des promenades dans Pékin : l'une en 1928 et l'autre en 1935. En ce qui concerne la première, il n'y a pas d'article en rapport, puisque ces illustrations ne sont là que pour agrémenter un historique des Missions Catholiques qui fêtent cette année-ci leur soixantième anniversaire. En 1935, il s'agit certes d'un article sur la Chine, mais sans rapport particulier avec la ville de Pékin. On nous présente le "mouvement de la vie nouvelle", sorte de programme social et moral de Chiang Kai-shekà destination du peuple chinois. Donc, dans les deux cas, les photographies ne sont pas là pour servir un texte. Quelle est donc la vision de Pékin qui ressort de ces deux balades qui n'ont, semble-t-il, aucune arrière pensée. Une nouvelle fois, l'absence d'êtres humains est flagrante. Le palais d'été (Documents 107 et 108) comme le pavillon de la constellation (Document 109) sont figés face à un vide total, donnant véritablement l'impression que nous avons affaire à une civilisation morte. Le pavillon du trône (Document 110) est pris sous un angle si large que les quelques silhouettes humaines présentes disparaissent devant le bâtiment. Le m­ême cas de figure se répète pour la vue générale de Pékin "prise des abords de la gare de Tsienmen" (Document 111). Plus surprenante est l'image de la gare principale de Pékin (Document 112), prise du milieu de la grande avenue qui y conduit, et qui se révèle, elle aussi, quasiment désertique. Ce vide général n'est en partie comblé que par un " troupeau de chameaux dans les faubourgs de Pékin " (Document 113). C'est là, la seule photographie nous confrontant à une densité conséquente d'êtres vivants tout au long de ces deux séries !

Il n'y a en fin de compte sur l'ensemble de la période qu'un seul cliché, en 1922, d'une " rue de Pékin " (Document 114). Il a le mérite d'être très réaliste et permet d'avoir une idée de ce qu'était un quartier populaire dans une grande ville chinoise.

A l'arrivée, ce sont donc les thèmes qui nous ramènent vers les établissements religieux qui occupent le devant de la scène lors des reportages sur les diocèses des grandes métropoles. Il y a simplement des niveaux supplémentaires dans les structures catholiques avec, par exemple, la présence des universités. A Shanghaï, l'Aurore 87 nous est présentée en détail en 1929 (Documents 115 à 117). Nous la retrouvons dans un contexte plus dramatique en 1938 après les bombardements japonais (Document 74). Entre temps, nous avons pu découvrir l'école de chirurgie qui constitue l'un des éléments principaux de cette université (Document 118).

Parallèlement, les lauréats de l'université catholique de Pékin 88 apparaissent comme des preuves vivantes de la réussite évangélisatrice et intellectuelle des missions en Chine (Documents 119 et 120). La légende manuscrite (qui n’a pas été reprise par les Missions Catholiques) précise que « les lauréats portent le costume des lettrés, époque des Sou ». Cette précision veut d’une part montrer que le catholicisme sait intégrer la tradition chinoise quand elle est bonne, et d’autre part permet de se démarquer du modèle des universités protestantes. Or, malgré cet effort, la photographie rappelle immanquablement les cérémonies des universités anglo-saxonnes. Les missionnaires n’arrivent donc pas à se démarquer du modèle protestant qui en matière universitaire est la référence 89 (Il est d’ailleurs significatif de constater que les Missions Catholiques ne cherchent pas à s’émanciper de ce modèle par la légende de la photographie, qui est on ne peut plus neutre).

Cependant, cette Chine des villes reste très artificielle, coupée des masses, de la foule grouillante qui est déjà le lot de ces très grandes cités et que les Missions catholiques oublient ou masquent délibérément. Le refus de montrer ces masses de païens trahit un embarras, pour une raison très simple : ce serait là la preuve, sinon de l'échec, du moins de la part infinitésimale que représentent les convertis par rapport à la population Chinoise 90 .

Notes
87.

" L' Aurore " fut fondée en mars 1903 par les jésuites français (L' article des Missions Catholiques omet de signaler que le fondateur de l' Aurore est un prêtre chinois, Ma Xiangbo (1840-1939). Il fonde l' université sur les lieux de l' observatoire de météorologie installé par les Jésuites. En 1905, après un conflit avec les Jésuites, il démissionne. -d' après J. Charbonnier, Histoire des chrétiens de Chine, page 271-). Elle accueillait alors une vingtaine d' élèves et était la seule université catholique de Chine. Vingt-cinq ans plus tard, l' université compte quatre facultés : droit ; lettres ; sciences ; médecine ( Missions Catholiques 1929 pages 169 à 173. R. P. Gaultier. ). En 1923, elle comptait 353 étudiants ( B. Arens : ibid. ). Les délégués du ministère de l' éducation du gouvernement national de Nankin, venus inspecter l' université le 7 novembre 1932, manifestèrent publiquement leur satisfaction. En décembre 1932, paraissait le décret officiel d' enregistrement. Désormais, les diplômes de " l' Aurore " ont valeur légale en Chine. Il y a en 1935 plus de 500 élèves à " l' Aurore " et, malheureusement, comme le précise l' article ( Missions Catholiques : 1935 pages 274 à 277 ), " tous les étudiants ne sont pas catholiques, loin de là ". Pour l' année 1940, nous avons quelques chiffres plus précis. Pour des raisons bien compréhensibles, le nombre d' étudiants à fortement diminué ; il ne sont plus que 152. Parmi eux, seulement 62 sont catholiques (Missions Catholiques, 1940 page 79).

88.

L' université de Pékin fut ouverte en 1925 par les Bénédictins d' Amérique, puis prise en charge par les Pères du Verbe Divin.

Il faut également signaler parmi les établissement d' enseignement supérieur l' institut des Hautes-Etudes fondé à Tientsin par les Jésuites.

" Un communiqué de l' Agence F.I.D.E.S., en date du 1er juin, nous apprend que le ministère de la Justice a décrété que seuls les étudiants des universités de l' Etat pourraient participer aux prochains examens de fonctionnaires judiciaires. Cette mesure porte une grave atteinte à la liberté de l' enseignement et, si le ministère la maintient , ne manquera pas de faire grand tort aux universités libres. " ( Missions Catholiques : 1935 page 277 ).

89.

« En ce qui concerne l’enseignement, surtout au niveau universitaire, les protestants ont acquis une avance considérable sur les catholiques. Ayant mieux compris l’importance, pour l’avenir, de toucher et de former une élite intellectuelle, ils ont centré une grande partie de leurs efforts sur l’enseignement supérieur. Plusieurs articles (des revues belges), en regrettant que les catholiques se soient, en bien des cas , limités à l’apostolat parmi les couches moins cultivées, rendent hommage à la clairvoyance protestante... » (Jean Pirotte, Périodiques missionnaires belges d’expression française... page 118).

90.

D' après le Manuel des Missions Catholiques de Bernard Arens, la population chinoise est de 463.000.000 d' habitants en 1923.

Pour Jules Sion, dans la Géographie Universelle , la population chinoise est estimée en 1922 entre 411.000.000 ( pour la China Continuation Committee ) et 421.000.000 d' habitants ( pour l' administration des postes chinoises ).

Les évaluations figurant dans l’ouvrage de Ho Ping-ti, établies par le Ministère de l’Intérieur, sont entre ces deux chiffres : 441.849.148. (Ho Ping-ti, Studies on the population of China, page 86).