II. Une pratique religieuse qui prend vie et s'anime

Si, comme nous avons pu le constater, les Missions Catholiques présentent un grand nombre de photographies de la vie religieuse, celle-ci s'avère paradoxalement privée de la présence d'êtres vivants. Les intérieurs d'église sont vides, les extérieurs sont présentés de manière fort académique, telle des photographies pour école d'architecture. Sacres et ordinations se limitent à la photographie "officielle" des nouveaux promus, après la cérémonie. Tout cela fait naître le sentiment que les Missions Catholiques ont peur de montrer des Chinois en train de pratiquer, ou, plus simplement, mais cela serait encore plus grave, qu'il n'y a rien à montrer, et donc que l'évangélisation de la Chine serait un échec total. Or, la consultation des archives des O.P.M., nous amène à rejeter cette dernière solution. Nous disposons d'un grand nombre de photographies, où la Foi en Chine apparaît très vivante. L'aspect hiératique de la religion qui est suggéré par les Missions Catholiques ne se retrouve pas dans les archives.

En premier lieu, ce qui nous est montré, c'est l'image, dans toute sa simplicité, de la communion. (Document 394) Mais, la pratique religieuse peut se retrouver en des lieux bien plus surprenant. Nous découvrons ainsi l'action des missionnaires dans les prisons, où se déroulent des scènes de baptêmes et de messes (Documents 395 et 396). Si les Missions Catholiques consacraient de nombreux articles à l'action des missionnaires en faveur des déshérités (orphelins, vieillards, handicapés et lépreux), l'intérêt envers les criminels n'est jamais évoqué. Cela n'est pas totalement surprenant. Les Missions Catholiques relatent très souvent les exactions et les horreurs commises par les brigands chinois, dont les missions sont victimes. Ce sont peut-être ces mêmes bandits que les missionnaires rencontrent dans les prisons. Partant de là, les lecteurs, qui sont également les principaux pourvoyeurs de capitaux 235 pour l'action missionnaire, peuvent être désorientés par ce type d'apostolat.

Bien au-delà de ces aspects exceptionnels de l'action des missionnaires, c'est toute la vie "normale" du pasteur face à ses brebis que les archives nous permettent de suivre. Scènes de première communion (Document 397) et de confirmation (Documents 398 et 399) sont évidemment présentes. Elles occupent cependant une place somme toute assez marginale. Il n'en va pas de même pour les processions, qui ont lieu en de multiples occasions. C'est là un élément de spiritualité qui correspond bien à la mentalité chinoise, comme le souligne Mgr. Reynault. 236 Toutes les fêtes importantes, Pâques ou le Saint-Sacrement (Documents 400 et 401), donnent lieu à de grandes processions. 237 Les enfants en sont souvent l'élément principal (Documents 401 à 404) et la Vierge est l'objet d'une attention toute particulière (Documents 404 et 405). De grands pèlerinages sont organisés en son honneur, tel celui de Notre-Dame de Lourdes à Mouozechan (Documents 93 et 406), ou cet autre au sanctuaire de Notre-Dame, Secours des Chrétiens (Document 407). En cette occasion, les chrétiens abandonnent les chars pour le chemin de fer. Une nouvelle fois, ils apparaissent comme étant les forces vives du pays, tournés vers le progrès et l'avenir. Tout comme le symbolisaient déjà les missionnaires qui se déplacent à moto ou en voiture, ces chrétiens incarnent un christianisme moderne, qui pousse la Chine dans la voie du progrès.

La part la plus belle, et la plus importante, est laissée aux Sacres et aux Ordinations, qui sont pourtant absents dans les Missions Catholiques 238 . Ce sont les photographies qui marquent le mieux la vitalité et l'essor de la Foi chrétienne en Chine. Les missionnaires ne s'y sont pas trompés, et ont envoyé un grand nombre de témoignages sur ces cérémonies. L'attitude en retrait des Missions Catholiques est donc d'autant plus surprenante. Elle prouve que les missionnaires de terrain, sont moins « coupables » que les rédacteurs et les responsables des missions en France, du décalage qui oppose la conception classique des missions (qui doivent être entre les mains des missionnaires) à la politique d’indigénisation du clergé voulue par Rome.

Nous l'avons dit, le journal se contente des photographies très neutres de "nouveaux prêtres indigènes", qui ne sont ni très significatives, ni très stimulantes pour le lecteur. (Documents 91, 272 et 273) Les Missions Catholiques semblent avoir peur de montrer des Chinois dans une église, et encore plus, des Chinois en tenue sacerdotale, en train de dire ou de servir la messe. Dans ce registre, nous n'avons vu dans les Missions Catholiques, que le sacre des premiers évêques chinois, qui s'était déroulé à Rome (Document 72). Avec les archives, nous pénétrons enfin dans une église chinoise. Les cérémonies d'ordination (Documents 408 à 410) nous révèlent des Chinois en prière, entourés d'enfants de choeurs. Enfin, pour la première fois, l'évangélisation de la Chine prend un caractère vrai, affiche une réalité sans la moindre ambiguïté. Nous ne sommes plus obligés de faire confiance à la légende d'une photographie qui nous affirme que nous voyons bien un chrétien, alors qu'aucun signe concret de son appartenance à cette religion n'est visible 239 . Nous avons enfin la révélation de Chinois dans la plénitude de l'exercice de leur Foi.

Les cérémonies religieuses sont des fêtes, et les missionnaires ne veulent pas uniquement en montrer la partie officielle et solennelle. Ainsi, pour le sacre de Mgr. Yeung, à Canton en 1931, nous voyons certes, la lecture du bref (Document 411) qui nous révèle une hiérarchie épiscopale autant européenne qu'asiatique, mais nous découvrons aussi les "à côtés" de la cérémonie. La sortie de la messe, au caractère très provincial, se déroule sous les regards des fidèles, qui ont sans doute été rejoints par de simples curieux. (Document 412) Il y a également le dîner en plein air, (Document 413) et pour finir, les jeux des enfants qui sont à la recherche de pétards. (Document 414) Ce dernier aspect est particulièrement intéressant. Nous y voyons s'opérer une sorte d'acculturation entre le rituel d'une cérémonie catholique, et les fêtes traditionnelles chinoises, où les pétards sont omniprésents.

Cette Eglise est donc à la fois plus décontractée et plus chinoise que ne le laissent paraître les magazines. Cela va même beaucoup plus loin. Certaines photographies, en excluant les missionnaires, permettent de penser que le clergé chinois dispose d'une certaine autonomie. (Document 415) Quand les deux "communautés" sont réunies, la présentation se fait sur un pied d'égalité, (Document 416) et dans des attitudes qui ne sont pas forcément figées. Mgr. Yu Pin, évêque "indigène" de Nankin en 1936, est photographié au côté de Mgr. Zanin, lors d'une promenade dans un jardin. (Document 417) Cette présentation ne ressemble en rien à un portrait officiel, tels ceux que nous pouvons voir dans les Missions Catholiques. Là encore, l'ambiance paraît davantage "bon enfant". Cela tient sans doute au fait que les Missions Catholiques supprimaient presque systématiquement les arrières plans sur ce type de photographies, ce qui les dénature en les rendant très intemporelles, sans localisation possible. Elles perdent ainsi leur caractère et leur âme. (Documents 418, 419 et 278) Tout cela nous renvoie une image de la Foi, par les conversions ou l'engagement dans le Christianisme, qui est plus concrète. Cet engagement, nous le trouvons par exemple dans celui des "vierges", éléments forts du Catholicisme en Chine 240 , qui est absent dans les Missions Catholiques. (Document 420)

La symbiose entre la Chine et le Catholicisme est également visible dans les églises. Les intérieurs, que nous avons vus en plans larges, (Documents 255 à 258) révèlent enfin quelques-uns des détails qu'ils renferment. Les exemples conservés ne doivent peut-être pas être généralisés (car ils restent assez rares), mais ils nous font découvrir une sinisation très poussée des objets du culte. (Document 421) Même dans le cadre d'une représentation qui semble classique, (Document 422) nous pouvons remarquer que si la Croix est en évidence, ce n'est jamais un Christ en croix qui est sur l'autel. 241 Sur l'une des rares photographies qui montre clairement les détails de l'intérieur d'une église, nous voyons qu'il n'y a pratiquement plus d'éléments d'origine européenne (Document 423). Nous pouvons même pousser le raisonnement plus loin. La même vue, cadrée de manière à écarter le tableau représentant Saint Ignace de Loyola, devient très difficile à identifier. Pour un Européen il n'est pas évident de réaliser qu'il voit un intérieur d'église. Nous pouvons par là-même expliquer l'absence de ce type de photographies dans les Missions Catholiques. On peut donc dire que dans la mentalité européenne, l'état d'avancement de l'évangélisation n'est pas perçu de la même façon en fonction des pays, des continents. Ainsi, dans les journaux, et plus généralement dans la pensée chrétienne des années 20-30, l'image de la "case église" en Afrique (que l'on pourrait appeler également "église de brousse") correspond à quelque chose qui est pleinement intégré, et depuis longtemps, dans le cadre de l'évangélisation. Par contre, la "pagode chrétienne", si l'on peut dire, est un concept qui pose encore problème dans l'iconographie missionnaire. En Chine, l'occident est confronté à une grande civilisation, ayant un passé historique ancien, culturel, alors que pour l'Afrique, dans la conception de l'époque, l'Evangile comble un vide. En Chine, il ne fait que se surimposer à une culture déjà riche. Le Christianisme est donc obligé de composer et de s'adapter, tout en se protégeant de toute contamination et syncrétisme. La "sinisation" du culte est un concept que le lecteur de l'entre-deux-guerres n'est sans doute pas prêt à accepter et rappelle les conflits jamais résolus autour des rites chinois 242 . En plus, la dimension économique joue un rôle non négligeable. Les Missions Catholiques ne veulent pas prendre le risque de choquer un lecteur qui est la "cheville financière" des missions, ni de soulever une question devenue "tabou".

En ce qui concerne l'architecture extérieure des églises, les exemples de sinisation que nous trouvons dans les archives vont bien plus loin que les timides tentatives montrées dans les Missions Catholiques (Documents 252 à 254) 243 . La structure traditionnelle de l'église tend même à disparaître (Document 424) ou laisse la place à une sorte de "gothico-baroque chinois" (Document 425). La volonté des missionnaires de montrer la sinisation de l'église est patente. Nous voyons par là que Mgr. Costantini fut beaucoup moins isolé dans sa politique qu'on ne l'a dit. Ces décisions s'inscrivent dans une réelle action missionnaire qui vient de la base.

L'art chrétien en Chine est une réalité, qui n'attend plus que d'être révélé au public européen. 244 Les artistes sont là, (Document 426) 245 et leurs oeuvres sont reconnues et encouragées par la hiérarchie (Document 427). La création artistique de ce jeune peintre montre une nouvelle fois que le Christianisme veut incarner la modernité. Modernité sur le fond, puisque l'art chrétien est présenté comme venant au secours de la peinture traditionnelle chinoise qui trouve un nouveau souffle grâce à une nouvelle source d'inspiration.

La modernité est encore plus évidente à travers le portrait d'une famille chrétienne. (Document 428) Nous sommes très loin de la conception de la famille chrétienne "selon" les Missions Catholiques (Document 84). En général, le journalnous présente la famille d'un prêtre, à travers ses neveux et nièces. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'une famille spirituelle. Ainsi, par les Missions Catholiques, il semble que l'accroissement du nombre de chrétiens ne se fait que grâce au dynamisme missionnaire du curé. Face à cela, dans les archives, une famille de douze enfants, dont aucun n'est prêtre ou religieuse. C'est la logique du dynamisme interne. Le catholicisme progresse grâce à ses grandes familles, qui elles-mêmes croîtront et se multiplieront. Nous sommes entre deux réalités, au moment du passage d'une logique de terre de mission à une autre, correspondant à un catholicisme bien installé, qui progresse par lui-même. Or, ces deux photographies sont contemporaines, il n'y a que huit années qui les séparent. Il n'est donc pas question de parler d'évolution. Elles ne font donc que traduire deux logiques différentes quant à la conception du christianisme en Chine. La ligne des Missions Catholiques ne correspond pas exactement à celle que les missionnaires sur le terrain révèlent par leurs envois.

La photographie, qui nous fait pénétrer dans l'intérieur de la demeure d'une famille chrétienne (Document 429), est une image rare. Elle va également à l'encontre de certaines idées reçues. Tout d'abord, l'intérieur est cossu. Or, l'idée sous-jacente qui ressort de la lecture des Missions Catholiques est celled'un catholicisme qui n'arriverait à recruter que parmi des classes de marginaux (malades, vieillards, orphelins... etc.). Cette idée apparaît donc en partie fausse, ou tout au moins ne reflétant pas la totalité de la réalité. Il ne faut cependant pas tomber dans un excès contraire et utiliser cette photographie pour nier le fait que les missionnaires trouvent une audience particulière et majoritaire chez les marginaux.

Le logis affiche donc une certaine aisance, et d'autre part, il montre la bonne synthèse qui peut s'opérer entre la tradition chinoise et le catholicisme. Tous les signes du catholicisme sont là, dans une ambiance qui reste cependant très asiatique : le Christ en majesté et la Vierge, encadré par des dignitaires de l'Eglise, le portrait de droite étant vraisemblablement celui du Pape 246 . Le crucifix, même s'il n'est pas en évidence, est là, ce qui laisse à penser qu'il s'agit d'un catholicisme ancien, et surtout bien intégré. Parallèlement à cela, il y a des peintures traditionnelles, et le portrait d'un vieil homme, en dessous duquel se trouve une statue du Christ entouré de trois bougies. Nous voyons là, sans aucun doute, une survivance christianisée du culte des ancêtres, qui a évolué en une "simple" recommandation à Dieu de l'âme de l'aïeul. Cette famille semble christianisée depuis longtemps. L'idée que le Catholicisme est enraciné depuis longtemps en Chine suggéré par plusieurs documents. Nous remontons bien loin dans le XIXème siècle, avec ce lazariste de 84 ans, photographié aux alentours de 1880 (Document 430). Le Catholicisme s'inscrit donc dans la continuité d'une tradition, comme une religion ancienne, qui a malgré toutes les difficultés rencontrées son avenir assuré. C'est le message que nous transmettent ce grand-père et son petit-fils (Document 431).

Comme nous l'avons déjà souligné, les missionnaires sont tournés vers la modernité. Pour eux, il ne fait aucun doute que le christianisme est vecteur de progrès pour la Chine, tant d'un point de vue spirituel, que technologique et scientifique. Le meilleur moyen de concrétiser cela, c'est d'assurer la formation des jeunes chinois. L'instruction est un domaine qui tient une grande place parmi les activités missionnaires et, logiquement, cela se traduit par une abondante documentation concernant ce sujet. Déjà, les Missions Catholiques s'intéressaient beaucoup à cela. Petits et grands séminaires, écoliers et séminaristes, universités et instituts apparaissent régulièrement dans leurs pages (Documents 80, 81, 92, 115, 116 et 117, entre autres). Mais, tout se rapporte toujours à des photographies de groupes, marquées par l'ambiance austère d'une cour intérieure, semblable à celle d'un pensionnat ou d'un collège religieux de la même époque en France. Une nouvelle fois, l'environnement des photographies sélectionnées par les Missions Catholiques manque de vie, il n'y a pas de spontanéité de la part des sujets qui ne laissent transparaître que des rapports figés et guindés entre les professeurs et leurs élèves. La revue ne reproduit qu'une partie des représentations de la vie de ces institutions que nous découvrons par les archives.

Il y a certes des photographies pour lesquelles il y a une mise en scène évidente, destinée à donner au document une valeur très symbolique. Les "séminaristes de Canton" (Document 432) incarnent bien la fusion de deux cultures. Le jardin est chinois, comme le soulignent les chrysanthèmes, qui sont bien mis en valeur mais, le "pavillon" est chrétien, dans le style des "grottes de Lourdes" que nous avons déjà présentées (Documents 94, 96 et 97). L'allure des séminaristes, toute à fait chinoise, est compensée par des crucifix qui sont bien en évidence. Cependant, le principal élément de l'adhésion au catholicisme est une fois de plus la Vierge. D'autre part, le symbole de l'enracinement et de la protection qu'apporte le Catholicisme est tout clair chez ces "partants" (Document 433), dont la mission est maintenant de répandre leur Foi. Mais, au-delà de ces images très hiératiques et finalement conventionnelles des séminaristes, les archives des O.P.M. nous font découvrir des établissements pleins de vie, qui offrent un visage différent de celui des clichés traditionnels.

Tout d'abord, nous voyons que l'enseignement n'est pas entre les mains des seuls missionnaires. Il y a des professeurs chinois, et rien ne laisse à penser que ce sont forcément des prêtres (Document 434). Ensuite, nous découvrons des séminaires qui sont des lieux où, outre l'enseignement intellectuel, on pratique le sport. Les "élèves français" de M. Gervaix (Document 435) sont autour d'une poutre de gymnastique, installée en plein air. Ce missionnaire a envoyé plusieurs photographies, où, sous ce même titre, il présente ses étudiants (Documents 51, 264 et 265). L'opposition de style entre les illustrations choisies par les Missions Catholiques et celles restées non utilisées dans les archives permet de confirmer les critères de sélection pour l'iconographie dans les Missions Catholiques. Le journal privilégie toujours la rigueur et la sévérité, pour ne pas dire l’austérité.

La vie du séminariste ne se limite pas à l'horizon austère d'un bâtiment ou d'une cour sombre. Promenades et fêtes religieuses sont autant d'occasions de jeux et d'amusements (Documents 436 et 437). Comme nous l'avons dit, les activités sportives sont nombreuses. Si les courses sont un élément des plus naturels, (Document 438) l'introduction du football présente un aspect plus original (Document 439). Nous y retrouvons la tradition des associations catholiques et des patronages qui en France 247 , dans la seconde moitié du XIXème siècle, ont introduit les sports collectifs d'origine anglo-saxonne, et plus particulièrement le football. Nous sommes d'ailleurs obligés de croire sur parole le commentaire de la photographie, car, si ce n'est le nombre de joueurs (onze, soit dix plus le "gardien" qui est dans une tenue différente), rien, dans leur habillement, ne rappelle véritablement les origines européennes de ce sport.

Pour ce qui est de l'enseignement à proprement parler, deux photographies nous permettent de "participer" à un cours (Documents 440 et 441). Quelques remarques s'imposent sans que nous puissions en faire des généralités du fait du faible nombre de documents :

- les élèves sont très peu nombreux.

- les leçons ont lieu dans la cour, ou sous un préau (ceci n'est peut-être dû qu'à la nécessité d'un éclairage intense et naturel pour réaliser les photographies)

Le cours "sino-italiano" est particulièrement intéressant. Le vocabulaire qui figure sur le tableau, ou plutôt sur la planche, n'a en lui-même pas un très grand intérêt (Il ne faut pas voir dans la présence du mot "ciel", la preuve que nous sommes dans une séance de catéchisme. Il s'agit simplement du "ciel", en opposition à la "terre", qui est l'idéogramme suivant.). Ce cours permet plutôt de souligner un aspect du système missionnaire qui est rarement présenté. Les missionnaires ne sont pas tous de la même nationalité 248 , ce qui est en soi une évidence ! Or, l'Eglise a renoncé, dans les écoles et les petits séminaires, à l'apprentissage systématique du latin. Les jeunes chinois apprennent donc en parallèle, les caractères chinois, et la langue des missionnaires qui ont la charge de la circonscription. Le monde chrétien en Chine, pour les Chinois eux-mêmes, est un ensemble sans unité linguistique. 249 Il n'y a donc pas une Eglise, mais des Eglises en Chine, qui, si elles sont administrativement unies, restent distinctes sur les plans géographiques, ethniques et culturels. 250

L'enseignement n'est évidemment pas mixte, mais les filles sont bien sûr prises en charge par les établissements des missions. Tous les âges sont présents dans les "écoles pour filles" (Document 442) qui assurent l'alphabétisation, l'éducation religieuse (Document 443), et permettent une véritable promotion de la femme par l'intermédiaire des "écoles supérieures de filles". (Document 444) Filles et garçons sont considérés de la même manière, et voient s'ouvrir à eux, dans les missions, les mêmes perspectives. C'est là un élément de rupture décisif par rapport aux fondements de la société chinoise 251 .

La vie religieuse des enfants est elle aussi faite de jeux et de rires. Une joie spontanée s'exprime lors de ces préparatifs pour décorer l'autel (Document 445), et la solennité est empreinte d'amour et d'amitié dans cet apprentissage du signe de croix (Document 446). A travers ces deux enfants, les principales caractéristiques du christianisme chinois sont symbolisées : une Eglise jeune, dynamique, qui s'assume et assure elle-même son avenir.

En dehors de la vie scolaire et du catéchisme, les missions servent de cadre à la plupart des loisirs. Logiquement, dans ce domaine, le scoutisme se taille une place de choix. (Documents 447 et 448) Une fois de plus, ces jeunes incarnent l'ouverture de la Chine vers la modernité. La tenue scoute rappelle fortement l'allure des Chinois "jeune Chine" de 1911, surtout lorsque l'on considère le chef de section (Documents 35b et 54). C'est une impression de même ordre qui ressort à la vue de la "fanfare du collège du Sacré-Coeur" (Document 449).

Ces tenues, à connotation fortement militaire, n’ont rien de très surprenant dans le contexte des années 30. Dans le cadre spécifiquement chinois d’un mouvement catholique, elles révèlent surtout la volonté que les jeunes catholiques apparaissent comme des patriotes à part entière (C’est une position qui gêne les Missions Catholiques, ce qui explique que ces photographies n’aient pas été diffusées). Cela s’inscrit dans la voie définie par le Père Lebbe qui affirme que patriotisme et catholicisme peuvent aller de paire en Chine. C’est un impératif pour que les mouvements de jeunesse catholiques s’imposent sur le terrain alors qu’ils subissent la concurrence très forte de ceux organisés par le Guomindang et par les protestants 252 .

La vision d'une Chine se modernisant grâce au Christianisme trouve son point d'orgue avec ces jeunes filles de la Croix Rouge (Document 450) et ce groupe préparant la "journée missionnaire" (Document 451). La place des femmes dans la société catholique chinoise est évidente. Pour le groupe préparant la journée missionnaire, il est difficile de faire la différence entre les Européens et les Chinois, tant ces derniers sont occidentalisés.

Dans le cadre des oeuvres en faveur de la jeunesse, les archives des O.P.M. témoignent de l'action des missionnaires pour l'assistance aux orphelins. C'est un volet que les Missions Catholiques ont largement développé (Documents 20,21,23 et 24, entre autres). Il est cependant intéressant de présenter en plus une photographie des archives (Document 452) qui, par son réalisme, souligne, plus fortement que les clichés sélectionnés par les Missions Catholiques, la misère et la souffrance qui se cachent derrière le "phénomène des orphelins". Les Missions Catholiques ont un peu trop tendance à insister sur l'aspect traditionnel, et même culturel, du phénomène de l'abandon, en négligeant les caractères strictement économiques. L'allure pitoyable, et la santé visiblement précaire de ces enfants ("petits orphelins recueillis à la crèche en quelques semaines"), nous plonge dans une dure réalité, et permet de mettre le doigt sur l'importance quantitative du phénomène.

En plus du dévouement, les archives révèlent l'honnêteté des missionnaires dans leur manière de rendre compte de la société chinoise. En effet, les missions n'ont pas le monopole des actions à caractère social. Certaines municipalités fournissent aides et prises en charge aux orphelins et aux vieillards. (Document 453) En d'autres lieux et en d'autres circonstances, le dévouement des bonzes brancardiers (Document 454) va de pair avec celui des protestants ou des catholiques. Ces brigades de bonzes brancardiers doivent ressembler beaucoup à celles mises en place par le père Lebbe. En effet, "exhortant les Catholiques à se montrer patriotes..., il organise des équipes de brancardiers qui se portent au secours des blessés. Dès 1933, lors de l'invasion japonaise du Jehol, il recrute 240 brancardiers. Une vingtaine d'entre eux sont des petits frères de Saint Jean Baptiste, du monastère des Béatitudes qu'il a fondé en 1928 près de Anguo... Lorsque la pression japonaise se fait plus forte en 1937, le père Lebbe reprend la lutte avec ses brancardiers et organise les secours dans les montagnes du Shansi. Chiang Kai-shek l'élève au rang d'officier supérieur et lui confie des missions de réarmement moral dans l'esprit du mouvement Vie Nouvelle. Début 1940, il est arrêté avec ses petits frères par les forces communistes de la 8ème armée. On lui reproche ses liens avec le Guomindang et on tente de le rééduquer : peine perdue. Il est relâché en avril, mais, gravement malade, il termine sa carrière mouvementée à Chongqing le 24 juin." 253

Ces dernières photographies certes sont exceptionnelles. Par leur nombre, et par les thèmes abordés, elles sont en situation marginale par rapport à l'ensemble de la collection. Elles sont cependant le meilleur témoignage de l'humilité et du respect des autres religions que pouvaient avoir certains missionnaires. Elles occultent en partie la présentation classique d'un clergé bouddhiste corrompu, jouisseur, sans morale et sans spiritualité, tel que plusieurs articles des Missions Catholiques le présentaient à ses lecteurs. 254

La tolérance, le respect mutuel, nous pouvons également le retrouver dans cette image d'un groupe de prêtres (document 484) qui visitent en toute liberté une pagode. Cependant, il ne faut pas sombrer dans un optimisme trop béat. Les critiques que nous avons trouvées et mises en évidence dans les Missions Catholiques proviennent des missionnaires et se retrouvent aussi dans les archives. Ainsi, le document 488, même s'il est totalement neutre en ce qui concerne l'image, nous rappelle par sa légende que les moines bouddhistes peuvent être hostiles aux missionnaires (Cette légende 255 pose d'ailleurs problème, outre le fait que la deuxième phrase est peu compréhensible. On nous présente le "couvent bouddhiste où le P. Schram fut laissé pour mort." Rien n'indique que les moines sont coupables de quoi que ce soit. Nous pouvons imaginer qu'il a été amené là, après une agression... Une seule certitude, le commentaire appelle la suspicion.) Le texte, et surtout l'image, sont par contre sans la moindre ambiguïté pour le document 489.

La cangue, parmi tous les supplices réservés aux criminels, est un des grands classiques des recueils de photographies sur la Chine 256 . Le "bonze à la cangue" est parfait pour mettre en évidence que ces moines peuvent avoir des moeurs ou des comportements bien peu recommandables. C'est une photographie plus importante qu'il n'y paraît. En effet, les clichés qui permettent concrètement, ou plutôt réellement de mettre en accusation les moines bouddhistes sont finalement très peu nombreux. En général, comme c'est le cas dans les Missions Catholiques, il y a un décalage entre la photographie et le texte. Bien évidement, cela se retrouve dans les archives. Le document 482 en est une bonne illustration. L'image est très neutre, empreinte même d'une certaine sérénité. La légende, elle, est un véritable réquisitoire, sans appel, contre les moines et leur mode de vie. Le poids de la légende apparaît clairement si l'on compare ce document avec celui qui le précède (Document 481). Les deux photographies sont neutres, faisant même naître une ambiance de spiritualité, mais tout bascule du fait de la légende, qui pour l'un est très engagée, et pour l'autre simplement narrative.

Mais, les missionnaires sont avant tout des hommes. Le message est donc variable d'un individu à l'autre (son expérience du pays est également variable). Ainsi, certains s'attellent à faire réellement découvrir la spiritualité orientale. Certes, cela peut être une simple visite "touristique" (Document 483), mais en certain cas, il y a une véritable volonté pédagogique. C'est avec beaucoup de respect que cet "émule de St Benoît" est présenté (Document 485). Les valeurs mises en évidence autour de ce personnage sont le recueillement, la prière, l'ascétisme, l'humilité et la charité. Autant de valeurs très chrétiennes. Dans le même ordre d'idée, il n'y a aucune appréciation à caractère péjoratif dans la présentation de ce rite, aux frontières lointaines du Yunnan et du Thibet (Document 478).

Cependant, derrière un aspect apparemment neutre, l'ironie ou la réprobation peut poindre. Ainsi, la notion de "sacrifice" est-elle très ambiguë dans le document 479. De quoi s'agit-il véritablement. D'une simple procession, ponctuée de prières. Mais, l'emploi du terme de "sacrifice" renvoie immédiatement à une notion barbare et païenne. De son côté, la statue de Marco Polo (Document 480) prend une tournure fortement ironique. Quelle est cette religion qui intègre parmi ses génies un homme, dont le seul mérite est d'avoir voyagé ?! Mais, ne peut-on pas voir aussi un optimisme forcené de la part des missionnaires dans la perspective d'une conversion de masse grâce à ce Marco Polo "divinisé" ? N'était-il pas investi d'une mission officielle confiée par le Pape ? De ce fait, il est aussi celui qui a ouvert la voie aux missionnaires 257 .

Quelle que soit l'approche ; respect, méfiance, ironie ou même rejet, l'objectif des missionnaires est de gagner au Christianisme les âmes égarées par le Bouddhisme et le Taoïsme. Le document 486, présentant "deux convertis", en est la parfaite illustration. Les Missions Catholiques nous avaient déjà montré une conversion comparable (Document 216), mais, une fois de plus, la photographie des archives est plus vivante, plus expressive. A l'illustration des Missions Catholiques, image de studio très figée et "officielle", répond une image plongeant dans la réalité et le quotidien, au coeur des jardins d'un monastère. Le face à face entre l'ancien prêtre taoïste, ayant revêtu depuis longtemps la bure du moine 258 , et le nouveau converti, ayant encore sa tenue de bonze, est saisissant. Toutes les idées que nous avons évoquées précédemment se recoupent ici. Quand un prêtre taoïste ou bouddhiste est un véritable homme de bien, et qu'il ne sombre pas dans la débauche dont les monastères sont les repères, il n'y a plus pour lui qu'une évolution possible, la conversion au Christianisme, avec apparemment un attrait particulier pour la vie monacale 259 .

Dès lors, l'avenir de la Chine est tout tracé : C'est l'abandon des pagodes 260 (Documents 487). Le commentaire qui accompagne cette photographie soulève plusieurs interrogations. Tout d'abord, il semble évident que cette pagode a été abandonnée depuis longtemps, la nature ayant largement repris ses droits. D'autre part, le texte laisse entendre que ces abandons sont nombreux. Ceci implique donc l'existence de fortes communautés chrétiennes. Or les chiffres que nous avons déjà commentés, ne vont pas dans ce sens. Donc, s'il y a réellement des abandons de pagodes récents et nombreux, la responsabilité en revient bien plus aux communistes qu'aux missionnaires. Le rôle imputé aux communistes dans l'élimination des religions traditionnelles est intéressant. Les Missions Catholiquess'en sont fait l'écho. l apparaît presque que l'Eglise souhaite, dans un premier temps, la victoire du Communisme, estimant qu'il sera plus facile à vaincre, en un second temps, que ne le sont Bouddhisme et Taoïsme. N'est-ce pas là un constat d'échec à peine voilé de l'action missionnaire sur les religions traditionnelles chinoises ?

Notes
235.

Voir par exemple la conclusion du texte accompagnant le document n°45.

236.

Voir en annexe n° 1, dans la biographie de Mgr. Reynaud, l'importance que les Chinois accordent aux processions.

237.

L'importance accordée aux processions résultent également de la place du clergé français qui transpose en Chine la "piété ultramontaine" qui caractérise la France.

238.

La France est hostile à l’indigénisation du clergé, et c’est cette position que l’on retrouve dans les Missions Catholiques. Ainsi, le nom du Père Lebbe n’est pas cité dans les articles relatants le sacre des évêques chinois en 1926 (documents 72) alors que c’est là le triomphe de ses idées. Parmi les six évêques, trois sont de ses anciens élèves ou amis. Le 28 octobre 1926, « sans être dans les rangs des invités officiels, Vincent Lebbe assiste à la cérémonie. » Elisabeth Dufourcq,  Le sacre des évêques chinois... , C.R.E.D.I.C. 1994, Les cadres locaux et les ministères consacrés dans les jeunes églises, pages 192-193.

239.

Voir de nombreux documents de la première partie. Dans le document 14, les personnages ne portent aucun signe marquant leur appartenance au Christianisme, contrairement au document 26c où l'on peut remarquer la présence, certes discrète, d'une croix sur les genoux du vieil homme. Dans le document 131, le village ne présente aucune marque (clocher par exemple) de l'existence d'une communauté chrétienne.

240.

Depuis la fin du XVIIème siècle, les Vierges sont sorties de leur réclusion et vivent en contact avec la société, s'occupant dans un premier temps des baptêmes d'enfants (et surtout des baptêmes de bébés en péril de mort) puis de l'éducation des femmes. Au moment où est prise cette photographie, la position des Vierges est en train d'évoluer.

"certains missionnaires s'efforcent de regrouper les Vierges en communautés, voire de transformer leur institution en congrégation religieuse. Interrogé en 1983 sur le rôle des Vierges au Szechwan, Mgr. Boisguérin, longtemps évêque de Suifu, fait ces remarques privées :

"Lorsque je suis arrivé en mission en 1928, elles existaient toujours et formaient le noyau de notre corps enseignant religieux. Pendant plus de 150 ans, habitant dans les familles, elles ont formé des générations chrétiennes. En 1932, on a voulu les "institutionnaliser" pour en faire des religieuses. Ce fut peut-être regrettable du point de vue apostolat. La vie religieuse, exigeant des règles strictes, posait des limites à leur emploi. A mon avis, les deux formules auraient pu cohabiter pour le grand bien du travail. Pendant les dix ans de ma vie en district, j'avais des Vierges chinoises dans mes écoles de doctrine... Elles avaient une sérieuse formation doctrinale et un dévouement sans borne à l'Eglise... Ne vivant pas en communauté, elles étaient disponibles à tout moment. Elles ont rempli un rôle éminent dans l'évangélisation du Szechwan."

in Jean Charbonnier, Histoire des Chrétiens de Chine , page 221.

241.

Le Christ en Croix a toujours fait  « peur » en Chine. On lui préfère de loin l’image de la Vierge à l’enfant.

242.

Après être tombé aux "oubliettes", le dossier des "rites chinois" est rouvert en 1935, sous la pression des Japonais qui occupent la Mandchourie (les décisions prises par le Saint-Siège en 1935, et 1939, reconnaissent le caractère non religieux des cérémonies civiles du Shintô au Japon, ainsi que des honneurs publics rendus à Confucius et aux ancêtres en Mandchourie et en Chine). Le serment imposé aux missionnaires depuis le XVIIIème siècle contre les rites chinois est définitivement aboli le 4 décembre 1939, c'est à dire bien trop tard pour que cela ait une incidence sur l'avenir direct du Christianisme en Chine. Sur la question des "rites chinois", on peut consulter l'article de Henri Bernard Maitre S.J. : Chinois (Rites), dans l'encyclopédie " Catholicisme ", colonnes 1060 à 1063.

243.

Jean Pirotte fait le même constat avec les publications des Scheutistes.

« C’est dans le domaine des beaux-arts que la revue des scheutistes se montre la plus réceptive. Par exemple, elle manifeste un certain souci de publier des photographies de monuments de Chine et des dessins d’artistes chinois ou d’en donner une description. On peut toutefois se poser la question de savoir si la revue s’intéresse à la qualité artistique de l’oeuvre ou à son caractère étrange ou pittoresque. Mais, quoi qu’il en soit de cet intérêt, sur le plan pratique les normes idéales en architectures restent les conceptions européennes ; s’agit-il de bâtir une église, les articles exposeront les avantages respectifs des styles roman, gothique ou renaissance, sans même envisager la possibilité d’une architecture vraiment chinoise. Une église ne se conçoit que dans un style européen. Notons cependant une exception : les essais entrepris par le P. Otto, C.I.C.M., missionnaire en Mongolie centrale, d’édifier des églises en un style chinois mitigé...

Après la première guerre, on observe une sorte de retournement de situation...

Dans le domaine des arts, les revues continuent à publier à l’occasion des commentaires favorables, par exemple sur des sculptures ou sur la musique autochtones. Mais, phénomène plus significatif, les principes de cet art commencent à pénétrer dans les réalisations chrétiennes. Un article rappelle d’ailleurs la recommandation du Synode plénier de Chine (1924) d’adopter dans la mesure du possible le style architectural chinois. Sur le plan de l’art décoratif, la revue des scheutistes évoque en termes élogieux les peintures du P. Van Genechten, C.I.C.M., qui, par la consultation de maîtres chinois réputés, s’efforça de comprendre l’esthétique du pays et d’en assimiler les techniques ; pour ces essais de création d’un art chrétien chinois, il reçut l’encouragement de Mgr. Celso Costantini... »

Jean Pirotte, Périodiques missionnaires belges d’expression française. pages 185 à 188.

244.

Le développement de l'art chrétien chinois doit beaucoup à Mgr. Costantini. Voici le récit qu'il donne lui-même de son action.

"J'arrivais en Chine, comme Délégué apostolique, en 1922. J'eus l'impression que l'antique monde chinois s'était écroulé avec l'Empire et que, à travers un profond travail et les intempérances d'un nationalisme exaspéré, une Chine nouvelle se préparait. Je sentais aussi que les missions, en vertu d'ailleurs de la réforme préconisée par l'encyclique Maximum illud (1919), allaient clore un cycle de leur glorieuse histoire et en ouvrir un nouveau, riche de l'expérience du passé et animé par le souffle d'un dynamisme revivifié. Il fallait sortir du caractère préparatoire et transitoire des missions étrangères, pour implanter une Eglise avec hiérarchie locale. L'ardu et long labeur apostolique des missionnaires s'apprêtait à faire mûrir ses fruits définitifs.

"Au cours de cette crise de réforme et de croissance, je pensai que, dans un pays qui possède un art ancien et vraiment grand, l'art chrétien lui aussi devait s'associer aux nouvelles tendances missologiques ; en 1923, j'adressai une lettre à deux Chefs de mission, en soulevant ex professo le problème de l'art missionnaire. Je disais que a) l'art occidental en Chine constitue une erreur de style ; b) que le caractère étranger de l'art concourt à maintenir le préjugé considérant la religion catholique comme une religion étrangère ; c) que la grande tradition de l'art chrétien enseigne d'adopter les divers styles des divers temps et des divers lieux ; d) que l'art chinois offre des possibilités d'adaptation belles et variées.

"La lettre fut traduite en différentes langues, sous le titre : Universalité de l'Art chrétien, et eut une grande répercussion en Chine et dans le domaine des études missiologiques. Elle suscita quelques contradictions ; la nouvelle thèse fut cependant, du moins en théorie, largement approuvée. Le concile général de Shanghaï, en 1924, donna aussi, à côte d'autres règles fort sages pour les constructions religieuses, cette instruction : Pour la construction et l'ornementation des édifices religieux et des résidences des missionnaires, on ne se servira pas seulement des formes d'art étrangères, mais autant que possible on fera aussi usage, d'après les circonstances, des formes d'art chinoises indigènes.

"Il était néanmoins nécessaire d'étayer la théorie par la pratique. C'est pourquoi, en 1925, j'appelai en Chine l'artiste bénédictin D. Adalbert Gresnigt, que j'avais connu au Mont-Cassin. Il se pénétra de l'esprit de l'art chinois, dessina les plan et dirigea la construction de la belle Université Catholique de Pékin, des séminaires régionaux de Hongkong et de Kaifeng, de l'église des Disciples du Seigneur à Suanhwafu, et s'intéressa à d'autres oeuvres moins importantes.

" L'architecture moderne en Chine - après la vogue de l'art européen introduit par la mode de l'européanisation - refleurit sur le vieux tronc avec un esprit plus souple et plus adapté aux nouvelles nécessités de la vie ; ainsi le nationalisme de la Chine nouvelle s'affirme aussi par une véritable renaissance de l'architecture. Le tombeau de Sun Yat-sen, à Nankin, divers édifices publics de Nankin, de Shanghaï, de Canton, de Pékin, attestent cette heureuse renaissance.

" Ainsi donc D. Adalbert Gresnigt façonna, certes, ses constructions avec les éléments de l'art traditionnel, mais il y infusa une âme nouvelle, l'âme chrétienne, qui fait revivre tout ce qu'elle touche. Les constructions de D. Adalbert se marient harmonieusement aux paysages chinois, mais ne sont pas une exhumation, ne sont pas des copies adaptées ; elles sont un acte de renaissance; resplendissant de la vraie vie de l'art."

in Celso Costantini, L'art chrétien dans les missions , pages 212 à 214.

Il est original de constater que, dans un premier temps, et malgré toutes les bonnes intentions, c'est à un bénédictin européen que l'on confie le soin de faire de l'art chinois.

245.

Ce jeune peintre fut très tôt "repéré" par Mgr. Costantini, lui permettant ainsi de donner une réelle orientation nationale à l'art chrétien chinois.

" Un jour, en 1929, je visitai à Pékin l'exposition personnelle du peintre Tcheng Suan-tu. Je notai chez ce jeune artiste un sens très fin du coloris et une grande sûreté de dessin suivant la belle tradition chinoise...

" Je l'invitai à la Délégation apostolique, je lui parlai de la Vierge, je lui fis lire les Evangiles, je lui montrai quelques tableaux des primitifs italiens et d'autres bons artistes chrétiens. Quelques jours plus tard, il m'apporta un panneau de soie avec la vierge adorant l'Enfant. Cette délicieuse image chinoise fit le tour de toutes les revues missionnaires illustrées ; elle constitue le point de départ de la nouvelle peinture chrétienne chinoise. A la Pentecôte 1932, le peintre Tcheng demanda le baptême et prit le nom de Luc...

"Alors que la mode occidentale rend souvent barbare et déforme l'art chrétien, l'idée chrétienne en Chine se revêt de formes nouvelles, fraîches et pures ; en se christianisant, le sentiment vague et poétique de la nature devient de la poésie chrétienne, haute et claire.

"Dans la peinture chinoise - a dit Luc Tcheng en 1937, en inaugurant une exposition d'art chrétien à l'Université Catholique de Pékin - ce qui a le plus de valeur ce n'est pas la représentation des formes comme telles, mais la représentation des formes comme expression de la pensée de l'artiste...

" Il y a une certaine difficulté à intéresser les artistes au sujet chrétien parce que ce dernier se détache souvent sur un fond historique et épisodique. Mais dans le passé le Bouddhisme et le Taoïsme eurent aussi leurs grands artistes et leurs écoles d'art, créant ainsi des précédents qui peuvent servir de guide à l'artiste chrétien.

" L'école de peinture de l'Université de Pékin devint aussitôt un foyer d'idées et d'activités nouvelles. on organisa plusieurs expositions à Shanghaï et à Pékin, qui obtinrent des succès flatteurs. Les compositions de cette école furent reproduites dans toutes les revues missionnaires ; et les protestant mêmes en firent de nombreuses publications. "

ibidem, pages 214 et 215.

Les Missions Catholiques ont effectivement publié le tableau de Luc Tcheng, "la Nativité", en 1937 (page 203), ce qui est très tardif si l'on se réfère à la chronologie de Mgr. Costantini. On peut voir, un nouvelle fois, dans ce manque d'empressement, les réticences des Missions Catholiques face à la sinisation de l'Eglise en Chine.

246.

Il s'agit, selon toute vraisemblance, du portrait de Pie XII. L'autre image, à gauche de la Vierge, semble être aussi le portrait d'un Pape, mais il est difficile de l'identifier (Pie XI ou Benoît XV ).

247.

Sur cette question, voir de Michel Lagrée : Religion et Culture en Bretagne . 1850-1950. Fayard 1992 ; ainsi que, sous la direction de Gérard Cholvy : Patronages : ghettos ou viviers . Colloque, Nouvelle Citée 1984.

248.

Derrière les Français et les Belges, on trouve des missionnaires espagnols, italiens, canadiens, américains, polonais etc. (Voir le tableau, annexe n°2).

249.

Il n'y a pas d'unité au niveau de la langue des missionnaires, mais il n'y en a pas non plus au niveau du chinois. Si les idéogrammes sont les mêmes, la prononciation diffère radicalement d'une région à l'autre. En plus, comme nous le constatons en lisant les biographies des missionnaires, ces derniers sont amenés à apprendre des dialectes non chinois lorsqu'il opèrent dans des régions très retirées, tel le Yunnan.

250.

Comme l'explique Jean Charbonnier (Voir Histoire des Chrétiens de Chine , page 277), les missions protestantes ne sont pas handicapées par le problème de la langue. Sous l'impulsion des missionnaires américains, l'usage de l'anglais est généralisé dans leurs établissements secondaires et supérieurs. Ceci explique la progression plus rapide des effectifs dans les établissements d'enseignement protestants (même si les effectifs de ces derniers restent inférieurs à ceux des établissements catholiques).

251.

Pour l'éducation des filles, les Vierges jouent un rôle très important (voir note ci-dessus). Leur action touche toutes les femmes, des plus jeunes aux adultes. (se reporter à Jean Charbonnier, pages 218 à 221)

252.

« En Chine, la jeunesse catholique est exposée à des tentations et à des périls particuliers. Elle est mêlée aux païens et fréquente souvent des écoles supérieures où l’on enseigne le bas matérialisme qui sévissait autrefois dans les universités. Elle est attirée par le courant de ce nationalisme fanatique ou de ces idées sociales qui exaltent facilement la jeunesse. Beaucoup de jeunes gens se perdent ; d’autres croient se conserver catholiques, mais rougissent souvent de confesser la Foi ou se sont inconsciemment laissés souiller d’un certain anticléricalisme, qui est chose nouvelle en Chine. Quel remède apporter à cela ? Ce qui sert avant tout, ce sont les pieuses unions, les pratiques de piété, mais il faut que les jeunes catholiques soient unis par un lien d’association extérieure qui les groupe, les soutient, les éclaire, les défend, tout en les préparant aux luttes de la pensée et de la vie. Si de tels cercles de jeunesse sont nécessaires en occident, ils le sont bien davantage en Chine, où ils deviendront, comme en Europe, des foyers de préservation pour les luttes futures de la vie. C’est de ces cercles que sortira cette élite de catholiques qui saura ensuite défendre ouvertement les principes de la Foi.

Licet et ab hoste doceri. Que l’on considère l’immense recrutement fait en Chine par l’Y.M.C.A. (Young Men Christian Association). Elle a ouvert ses maisons dans tous les grands centres de la Chine et bien des hommes qui sont aujourd’hui au pouvoir sont passés par ces cercles. Qu’y avons-nous opposé ? Que pouvons-nous et que devons-nous y opposer ? Il suffit de poser ces questions pour comprendre la nécessité et l’urgence de l’Action Catholique. »

Mgr. Celso Costantini,  L’Action Catholique en Chine , Le monde missionnaire 1934, page 46.

253.

Jean Charbonnier, Histoire des Chrétiens de Chine , Page 307.

254.

Voir les séries d'articles publiés par les Missions Catholiques en 1902, 1911 et 1931 auxquels se réfèrent les documents 95 et 99.

255.

Il ne s'agit pas d'une photographie enregistrée par l'agence F.I.D.E.S.. La légende, qui n'est pas "signée", est donc très probablement le fait du missionnaire qui a envoyé la photographie.

256.

Voir La Chine aux mille visages , page 64.

257.

Les missionnaires peuvent « subir » le même sort que Marco polo et devenir eux-mêmes objet de culte. « Un exemple tout à fait remarquable d’assimilation du christianisme au contexte chinois nous est fourni, en milieu rural, par une communauté villageoise de la haute vallée de la Han au milieu du XVIIème siècle. En raison des miracles qu’il avait accomplis en faisant disparaître les invasions de sauterelles et les ravages des tigres, le P. Etienne Faber était devenu après sa mort le dieu du sol villageois et un ouvrage paru en 1935 rapporte qu’on trouvait encore au début du siècle dans de nombreux pagodons, le long des sentiers et des routes, la statue du Père, plus ou moins transformé en poussah avec un tigre à ses pieds. On peut se demander dans un pareil cas si l’assimilation n’a pas trop bien réussi. »

Jacques Gernet, Problèmes d’acclimatation du christianisme dans la Chine du XVIIème siècle , Catholicisme et sociétés asiatiques, page 46.

258.

Frères de Saint Jean-Baptiste. Ils étaient 83, tous Chinois, dans le monastère de Ankwo. ( Guide des missions catholiques , 1937. Page 167, tome III)

259.

Dans ce registre, la presse missionnaire revient souvent sur le personnage de "Don Lou", qui n'est autre qu'un ancien ministre des affaires étrangères (Lou Shen Siang), qui est rentré chez les Bénédictins.

260.

Les protestants insistent sur l’ambiguïté du passage des cultes païens au catholicisme.

« Actuellement l’église romaine prétend convertir les Chinois ; elle fait de grands efforts pour amener ce peuple à échanger le culte de ses esprits et de ses ancêtres contre celui des saints et des reliques catholiques. Les chrétiens protestants, travaillent de leur côté à répandre l’Evangile au milieu des Chinois. » e chrétien belge, 1889, cité par Jean Pirotte, Périodiques missionnaires belges d’expression française... , page 138.