VII. Le père Wilhelm, un missionnaire en Corée à la fin du xixème siècle : analyse d'une série particulière

Bien qu'elle ne fasse pas à proprement parler de la Chine, la Corée s'inscrit sans ambiguïté dans le cadre de notre étude. D'un point de vue culturel, la Corée fait autant partie de l'espace chinois, sinon plus, que la Mongolie, le Thibet ou la Mandchourie. Elle est prise dans les mêmes tourments politiques que la Chine, devenant dès 1905 la première base sur le continent du Japon. L’occupation japonaise est d’ailleurs perçue très favorablement par les missionnaires 286 , ce qui nous renvoie à la perception très positive de l’action du Japon, que nous avons déjà soulignée, dans les Missions Catholiques.

L’action missionnaire rencontre, sans connaître un rejet total, les mêmes difficultés en Corée qu’en Chine 287 . Les missionnaires sont confrontés à des populations qui restent très majoritairement en dehors du catholicisme. En 1902, pour 15 millions d’habitants, la Corée ne compte que 52 539 catholiques 288 , soit environ 0,35% de la population, chiffre tout à fait comparable avec ceux des différentes provinces chinoises voisines 289 . La Corée est séparée assez tôt, en 1831, du diocèse de Pékin 290 . Elle est administrée par les missionnaires des M.E.P. 291

La série que nous allons présenter est composée de 39 photographies (37 plaques sur verre négatives, et 2 plaques sur verre positives) 292 .

Cet ensemble présente plusieurs caractéristiques, ou plutôt particularités, que nous n'avons trouvées dans aucune des autres séries des archives. Toutes les photographies ont été prises par un même missionnaire, le père Wilhelm 293 , membre des M.E.P.. Elles proviennent toutes d'un même secteur (à l'exception des clichés venant de Séoul), et ont été prises durant une période assez courte, entre 1893 et 1898, ce qui fait d'elles, en plus, les photographies les plus anciennes des archives.

Nous pouvons donc, grâce à cet ensemble, mieux apprécier ce qu'un missionnaire a pu juger intéressant de fixer par la photographie. Quand il commence sa série 294 , le Père Wilhelm est en poste depuis quatre ans. Il connaît déjà bien le pays. Il est obligé de faire des choix rigoureux quant aux prises de vue qu'il réalise car, travaillant avec un appareil à plaque, les contraintes techniques (poids et encombrement) et financières sont bien plus importantes que celles inhérentes à des appareils à pellicule souple, comme ceux que nous avons déjà présentés 295 . Nous avons donc un bon panorama de ce qu'il a jugé important de montrer pour qu'en Europe, on puisse se faire une idée de sa vie et de celle de la communauté de chrétiens coréens qui l'entoure.

La préoccupation face aux bouleversements politiques est présente. Nous voyons des soldats coréens sur trois photographies (Documents 560 à 562). L'armée coréenne, en 1897, semble assez moderne pour l'époque, équipée à l'occidentale. C’est une armée maintenant plus proche de celle du Japon que de celle de la Chine, ce qui est normal puisque l’armée coréenne est équipée par le Japon après le conflit sino-japonais de 1895. Parmi ces trois documents, le plus significatif est celui où des soldats sont en faction devant le Consulat de Russie. Le message est clair (du moins dans l'esprit du missionnaire, car on peut douter que cette photographie évoque vraiment quelque chose pour un Européen vivant à la fin du XIXème siècle) : la pression qu'exerce la Russie en Corée, outre les tensions avec le Japon, attise une opposition et un nationalisme, rendant nécessaire une protection accrue des diplomates russes. Tout comme ses collègues en Chine, le Père Wilhelm, au fait des problèmes politiques et diplomatiques qui touchent la Corée, a le désir de diffuser l'information en Europe. Il est également soucieux de faire connaître la culture coréenne, ce qui se traduit par quelques photographies descriptives (Documents 564 à 567). Parallèlement, dans les villes, le Christianisme marque sa présence par des bâtiments imposants (Document 563), pour l'accueil, entre autres, des jeunes séminaristes.

L'ensemble des autres photographies est consacré à des scènes de la vie quotidienne. Trois d'entre elles nous plongent dans de gros bourgs (Documents 568 à 570), où les rues tiennent lieu de marché. Toutes les autres (Documents 571 à 598) nous introduisent dans la communauté chrétienne dont le père Wilhelm a la charge, et nous font partager ses activités, dans le cadre d'une société rurale. Treize d'entre elles illustrent des moments de la vie du missionnaire, ou possèdent un caractère strictement religieux (Documents 586 à 598). Les quinze autres (Documents 571 à 585) sont des scènes de la vie quotidienne du village. Cet ensemble de photographies nous fournit une somme d'informations sur la vie du père Wilhelm. Ces "gens de maison" sont nombreux (Document 587), mais nous ne pouvons pas déterminer qui ils sont : cuisiniers, serviteurs, catéchistes... Rien n'est spécifié sur leurs fonctions et attributions. Une seule certitude : le Père Wilhelm n'est pas un homme seul dans son quotidien. Il est bien entouré, par des familles entières qui lui sont dévouées. Le dévouement de "ses" chrétiens, nous le retrouvons, à la manière d'un jeu, à l'occasion de la traversée d'un petit plan d'eau (Document 586). Le missionnaire est une personnalité qui a droit à des égards... Mais, cette scène ne traduit-elle pas autant la gaieté dans la vie quotidienne que la déférence ? La solidarité qui s'exerce autour du missionnaire apparaît de manière encore plus éclatante dans les scènes de "mobilisation" de la population pour assurer la construction de la maison du Père Wilhelm (Documents 588 à 590), maison pour laquelle le seul "luxe" auquel semble avoir droit le missionnaire est l'utilisation de tuiles pour la toiture plutôt que de chaume. Le Père dispose de plusieurs habitations, dans des villages différents (Documents 587 et 588), ce qui implique qu'il a en charge plusieurs communautés. Cette situation n'a rien de surprenant 296 . Il est même vraisemblable que ces communautés sont géographiquement assez éloignées, puisqu'il a besoin d'un logement en chaque lieu (Mais nous pouvons également supposer qu'il doit, pour des raisons de susceptibilité, avoir une maison dans chaque communauté, afin de ne pas donner l'impression de favoriser l'une d'entre elles).

Pour souder la communauté des Chrétiens, le lieu de culte est primordial (Documents 591 et 593). Dans ce cadre, la construction d'un clocher, élément symbolique s'il en est, revêt une importance particulière, en individualisant la chapelle qui, même extérieurement, n'est plus un bâtiment comme les autres (Document 592). L'intérieur de cette dernière (Document 596) n'a rien de particulier par rapport à tout ce que nous avons déjà vu. Nous noterons simplement la présence d'un Coréen chrétien, comme sur toutes les photographies extérieures des chapelles, qui prouvent bien la volonté du missionnaire, tout d'abord de montrer l'existence d'une chrétienté en Extrême-Orient, et ensuite d'en transmettre l'image concrète à ses correspondants en Europe. Une fois de plus, nous voyons que les missionnaires n'ont pas les réticences des Missions Catholiques à montrer leur vie, leur travail et leurs fidèles. Nous retrouvons la vie des fidèles à plusieurs reprises, en particulier à l'issue de baptêmes (Documents 594 et 595). Les nouveaux baptisés sont en majorité des adultes 297 , paysans, ou femmes de paysans 298 . Les enfants sont nettement moins présents. Ce sont là les seules photographies des archives qui montrent de nouveaux baptisés qui soient des personnes simples et ordinaires de la campagne 299 . Rien à voir avec les infirmes, les aveugles, les pestiférés, les orphelins 300 et autres marginaux qui, par l'intermédiaire des Missions Catholiques, donnent l'impression d'être les seules personnes réceptives à la doctrine chrétienne, et surtout aux oeuvres sociales de ses serviteurs. Dans ce cas, plutôt que les Missions Catholiques, ce sont les missionnaires qui sont responsables de cette présentation restrictive de la réalité. Comme nous venons de le souligner, ces deux photographies sont les seules de ce type dans les archives. Or, il est évident que les conversions de ce type ne sont pas exceptionnelles. Les baptêmes d'adultes ne pouvaient pas être rares ou limités à des classes d'exclus. Mais, les missionnaires ont dû trouver tellement évidents de baptiser des adultes qu'ils n'ont pas jugé nécessaire de les montrer clairement et massivement. Il est possible également qu'il y ait eu un blocage de leur part, inconscient ou non, à montrer ces baptêmes. En effet, ceux-ci ne peuvent renvoyer qu'à un Christianisme naissant, et non à des communautés bien formées et enracinées 301 . Montrer des baptêmes d’adultes 302 est donc possible en 1894, cela devient plus problématique 30 ans plus tard !

La communauté chrétienne se constitue donc petit à petit, pour former un ensemble de fidèles (Document 598), tel que nous n'en avons pas trouvé dans les Missions Catholiques. Ainsi, dès la fin du XIXème siècle, quand ils ont eu entre leurs mains des appareils photographiques, les missionnaires ont voulu montrer les communautés de Chrétiens qu'ils rassemblaient, qu'ils guidaient. Ce souci restera permanent jusque dans les années 40, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises. Or, face à cette volonté bien affirmée des missionnaires, les organes de presse de l'O.P.F., en matière de photographies, n'assurent pas leur rôle de relais entre missionnaires et lecteurs européens. Cette « peur », consciente ou inconsciente, à montrer des asiatiques convertis, éléments de base pour un futur clergé indigène, marque donc bien l’opposition très précoce de sensibilité entre l'O.P.F. et le Vatican.

Cette série de photographies nous permet également d'aborder toutes les tâches du monde rural sur un mode didactique. Nous pouvons ainsi suivre les différentes étapes des travaux dans une rizière : préparation du terrain (Document 583), labourage dans un champ inondé pour le repiquage (Document 572) et irrigation pour maintenir la présence d'eau en abondance (Document 580). Une place toute particulière est accordée aux activités qui se déroulent au village, dont les femmes ont globalement la charge : mouture du grain (Document 584), décorticage du riz (Document 578), préparation "musclée" d'un gâteau, qui cette fois revient aux hommes (Document 582), mise en oeuvre d'un métier à tisser (Document 581) et nettoyage du linge (Document 576). Et enfin, après toutes ces activités, vient tout de même le temps du repos (Document 585).

Le problème des déplacements à travers la campagne est également bien illustré : utilisation des barques (Documents 574, 577 et 579), franchissement d'une passerelle de fortune (Document 571) et construction d'un nouveau pont (Documents 573 et 575). Ces deux dernières photographies sont très révélatrices de l'ambiance qui se dégage de l'ensemble de la série. Le travail en commun se déroule dans une atmosphère de joie, de fête, qui est très communicative. Plus qu'un travail, la construction du pont est un jeu. La communauté villageoise chrétienne de Corée n'est pas riche, cela apparaît clairement, mais elle est moins accablée par toutes les misères du monde que ses semblables telles que nous les avons vues en Chine. Cependant, les conditions de vie en Corée à cette époque sont tout à fait comparables à celles de la Chine. Les missionnaires, comme tout homme, ont eu tendance à favoriser dans leurs choix photographiques les événements et les situations exceptionnels. Attirer l'attention sur les souffrances qui frappent la population chinoise, c'est renforcer l'aide et le soutien des donateurs européens. Cette tendance n'a pu qu'être renforcée par les sélections de la presse missionnaire pour les publications. Quand le Père Wilhelm réalise ses photographies, nous sommes dans les années qui précèdent les grandes secousses politiques que connaîtra la région à partir du début du XXème siècle. Il en résulte un ensemble de photographies qui ne montre "que" le quotidien, un quotidien rude, certes, mais heureux. Images sereines d'une période encore calme, qui fait apparaître la réalité de la vie dans les campagnes et de la tâche du missionnaire, encore à l'abri des grands séismes internationaux et des catastrophes naturelles 303 , qui prennent toujours plus d'importance et accentuent leur caractère dramatique en période de crise.

La simplicité, la réalité quotidienne intacte, les rapports entre un missionnaire et ses Chrétiens : voici l'intérêt majeur de cette collection qui, par là même, devient exceptionnelle au sein des archives des O.P.M.. Sur ces photographies, le missionnaire n’apparaît jamais en situation d’autorité. C’est plutôt une relation de dépendance entre lui et sa communauté que l’on voit s’instaurer. Ces photographies montrent en fait l’intégration totale du Père Wilhelm au milieu coréen, ce dernier n’ayant plus de rapport qu’avec « ses » chrétiens.

Notes
286.

Le Père Wilhelm souligne par deux fois dans les Missions Catholiques, en 1911 et en 1921, les aspects positifs de la présence japonaise, après s’être plaint des autorités traditionnelles.

« Sur les 1228 catéchumènes du précédent compte rendu, M. Le Gac en a baptisé 480, moi 397 ; il en est resté un tiers (411) en route. Ce déchet s’est produit à cause des difficultés que nous avons eues et qui ont découragé les catéchumènes hésitants ou prêts à pencher du côté du plus fort, comme le sont en général les Coréens. Vers la fin de 1899, tous les missionnaires de Hoang-hai-to ont eu la douleur de constater une action sourde et un mauvais vouloir mal déguisé de l’autorité à notre égard. L’action commença par des arrestations arbitraires de chrétiens et par une série de dénis de justice, puis vint à son comble dans un parti pris de n’avoir plus de relations avec nous et de refuser même nos lettres pour n’avoir pas la peine d’entendre nos plaintes. Le redressement partiel des torts que nous obtinmes, nous remit bien avec les autorités et arrêta la débâcle qui menaçait de s’accentuer. Néanmoins nous avons fait des pertes sensibles. »

Comptes-rendus des M.E.P., 1900, page 45.

« En Corée actuellement, nous vivons dans une paix parfaite. L’annexion japonaise (29 août 1910) nous a donné tout à coup les avantages d’un gouvernement fort qui assure à chacun ses droits. Les brigands, qui désolaient le pays sous prétexte de patriotisme, ont disparu comme par enchantement. C’est à peine si, par-ci par-là, on signale l’apparition d’une bande, juste de quoi tenir les patrouilles en éveil et empêcher le peuple de s’endormir dans la sécurité... »

Missions Catholiques, 1911, page 586.

« La Corée dormait, dormait, comme on ne dort plus de nos jours, quand elle fut réveillée par deux coups de clairons. L’un et l’autre lui annonçaient son indépendance.

Le premier, en 1895, grâce aux armes nippones la libérait du joug de la Chine. L’arc triomphal de l’indépendance érigé sur la voie que suivaient les ambassadeurs de l’humble vassal de Séoul quand ils allaient porter les hommages de leur maître au puissant suzerain de Pékin, attesta solennellement ce premier affranchissement.

Cette proclamation d'indépendance se renouvela en 1905, toujours grâce aux invincibles pioupious japonais, qui déclarèrent à Port-Arthur, à Leao-yang et à Moukden, que la Corée ne dépendait plus de la Russie.

En se réveillant, notre belle dormeuse vit partout des casernes et des écoles japonaises. Elle renonça assez vite aux casernes, qui ne sont pas dans ses goûts et dont on la dissuadait fortement, mais s’éprit de suite des écoles qui allaient à son tempérament de vieux lettré... »

Missions Catholiques, 1921, page 244.

287.

« Certaines sociétés (ou, au moins, certains éléments d’entre elles) acceptent le christianisme pour lui-même (tel fut le cas en Chine, en Corée, au Viêt-nam ou au Japon) tandis que d’autres le refusèrent totalement (Thaïlande, Laos, Cambodge, Birmanie)... »

Yoshiaki Ishizawa, « Catholicisme et sociétés asiatiques : note pour une approche méthodologique », Catholicisme et sociétés asiatiques, page 19.

288.

D’après les Comptes-rendus des M.E.P., 1902, page 55.

289.

A la différence de la Chine, les Protestants sont en nombre comparable aux Catholiques. En 1934, pour une population d’un peu plus de 20 millions d’habitants, il y a un peu moins de 100 000 catholiques et environ 160.000 protestants (d’après Paul Lesourd, Le Monde Missionnaire, 1934, pages 132-133).

290.

D'après le tableau reproduit par Claude Prudhomme, page 431.

291.

En 1911, le Vicariat de Corée est divisé en deux vicariats : Séoul et Taikou. Après d'autres modifications, la situation religieuse de la Corée au sein de l’Empire japonais, en 1934, est la suivante : la P.A. de Peng Yang est entre les mains des Missions Etrangères de Maryknoll, les V. A. de Séoul et de Taikou sont toujours administrés par les M.E.P., et le V.A. de Wonsan par les Bénédictins de la Congrégation Missionnaire de Sainte-Odile. (Paul Lesourd, Le Monde Missionnaire, 1934, pages 132-133)

292.

Aucune de ces photographies n’a été publiée dans les Missions Catholiques. La revue n’a publié que deux lettres (illustrées par d’autres documents) du Père Wilhelm : l’une en 1911 (Une nuit d’épouvantement , pages 584 à 586) et l’autre en 1921 (Les écoles en Corée, pages 244 à 245). En dehors des Missions Catholiques, quelques-unes de ses lettres (sans illustrations) ont été publiées dans les Annales et les Comptes-rendus des M.E.P.

293.

Nous n'avons que peu d'informations sur lui, qui sont reportées dans sa biographie.

294.

N'ayant aucune autre photographie antérieure, on peut penser que le père Wilhelm a commencé à prendre des photographies dès qu'il a eu un appareil, quelques années après son arrivée en Corée.

295.

Voir page 139.

296.

A titre indicatif, en 1934, il y a en tout en Corée 75 prêtres séculiers coréens et 89 missionnaires qui s’occupent de 236 églises et chapelles.

297.

En 1902, il y a eu 5 807 baptêmes d’adultes pour 2 111 baptêmes d’enfants ( Comptes-rendus des M.E.P., 1902). En 1934, 3 696 baptêmes d’adultes, pour 5 000 baptêmes d’enfants, avec la précision supplémentaire que tous ces baptêmes étaient non in articulo mortis. Parallèlement, il y a 8 581 baptêmes in articulo mortis.

298.

Dans une lettre, le père Wilhelm nous fait le récit d’une conversion.

« Je faisais l’administration des néophytes...Alors s’est présentée à moi une femme d’une trentaine d’années, qui a montré une rare persévérance à la recherche de la vérité.

Elle demeure à Tang-hpo...Son mari est en ce moment chef du village où les protestants comptent sept ou huit adeptes. Ceux-ci pensaient avoir fait une bonne recrue dans une catéchumène qui montrait une intelligence et un zèle très grands à lire les livres des sectes. Mais, en les entendant, Monica sentait quelque chose de vide et de faux qui la tourmentait. Elle apprend par hasard qu’à Hpyeng-yang il y a le catholicisme, plus ancien que le protestantisme. Avec cette seule indication, la voilà qui se met en route pour Hpyeng-yang, accompagnée de sa fillette âgée de 12 ans...

Monica vient me trouver et demande en grâce de pouvoir assister une fois à la messe, avant son baptême...

Monica a été baptisée avec son mari, la veille de l’Ascension. »

( Annales des M.E.P ., lettre du P. Wilhelm, 1899, pages 248-249)

Jean Pirotte a montré qu’un des reproches des missionnaires protestants envers les catholiques est de chercher en priorité à convertir les protestants plutôt que les païens, car « Rome tient avant tout, à se débarrasser de la concurrence évangélique ».

Jean Pirotte, Périodiques missionnaires belges d’expression française, page 140.

299.

Il y a bien sûr des photographies de convertis dans les archives : nous en avons présenté plusieurs. Mais, elles présentent toujours des situations que l'on peut qualifier d'exceptionnelles : un Chinois qui devient prêtre, un prêtre que convertit sa famille, un moine bouddhiste ou taoïste qui adopte le Christianisme, voire qui entre dans les ordres,... etc. Nous avons là le seul exemple de photographies nous montrant la conversion de gens ordinaires, dans une contexte ordinaire (et non dans le cadre d'une catastrophe naturelle, d'une guerre, etc...)

300.

Le Père Wilhelm a bien évidemment eu l’occasion de baptiser des orphelins.

« Mon catéchiste... trouva une petite fille enveloppée dans un haillon et portant dans le noeud de la ceinture un billet ainsi conçu : Cette enfant est née le 20 de la huitième lune : la mère étant morte, on n’a plus le moyen de la nourrir. Ciel, inclinez-vous pour l’assister. 

Les chrétiens ont recueilli l’enfant et se sont mis en frais pour lui procurer une nourrice. Le mandarin l’ayant appris, les en a loués et a déclaré publiquement que c’était leur réputation de bienfaisance qui valait aux chrétiens la confiance des familles. Au bout de quinze jours, la petite délaissée, baptisée sous le nom de Cécile, prenait son essor vers le Paradis, où elle bénit maintenant la misère qui força ses parents à l’abandonner. »

( Annales des M.E.P ., lettre du P. Wilhelm, 1898, page 271)

301.

La mission du père Wilhelm correspond à la situation de « première génération » décrite dans Chine-Ceylan-Madagascar (même si l’article renvoie à Madagascar, la logique décrite est valable pour toutes les terres de missions).

« A cinquante ans, un homme arrive à l’âge d’être grand-père. A cinquante ans une mission touche à la troisième génération. La première est composée de païens arrachés directement aux misères et aux horreurs de l’infidélité. La deuxième a pu comprendre des enfants baptisés tout petits, fils de païens convertis. La troisième compte déjà de nombreux fils de chrétiens, ceux-là à l’abri sinon dans leur entourage extérieur, du moins dans le cercle familial, du contact dégradant des superstitions qui ont faussé la vie de leurs ancêtres... »

Numéro spécial de Chine-Ceylan-Madagascar, pour les Cinquante ans de missions au Betsioleo, Madagascar (1871-1921), cité par Françoise Raison-Jourde, Images et Colonies (1880-1962), page 55.

302.

Pour les baptêmes d’adultes, il est important d’apprécier la sincérité de la conversion. Le Père Wilhelm soulève le problème dans une de ses lettres.

« ...Un chrétien de l’an dernier avait trouvé le moyen, à mon insu, de se mettre bien avec le bon Dieu sans se brouiller avec le diable, ce qui serait le rêve de tant de gens en Corée et peut-être ailleurs. Brûler les tablettes est l’épreuve décisive qui parfois fait chavirer les bonnes dispositions des catéchumènes. Il avait trouvé une combinaison ingénieuse qui arrangeait tout : les premiers-nés, fils, petits-fils et les brus resteraient païens et continueraient la tradition des sacrifices aux ancêtres ; les autres membres de la famille deviendraient chrétiens et renonceraient aux idoles. Il fut très étonné de voir que cet éclectisme me déplaisait et que j’exigeais pour le bon Dieu tout ou rien. - Je ne puis pourtant pas forcer les gens de ma maison à se faire chrétiens malgré eux ! - Aussi n’est-ce pas ce que je te demande : veuille simplement ne pas les forcer à rester païens...

Il lui était moins dur de les voir brûler que de les voir traiter sans respect, ces vieilles tablettes devant lesquelles des générations d’aïeux s’étaient inclinées. Lui-même les jeta dans le brasier qui devint un feu de joie pour les chrétiens, parce qu’il était la victoire solennelle et définitive sur les superstitions. Dieu qui connaît toute la grandeur du sacrifice que ce néophyte lui faisait, le lui rendra, je l’espère, au centuple. »

Comptes-rendus des M.E.P., 1900, pages 46 et 47.

303.

En 1911, le père Wilhelm raconte qu’elles furent les conséquences de pluies diluviennes et des inondations qui s’en suivirent. C’est l’occasion pour lui de rappeler la misère qui touche de manière constante la Corée.

« Les dégâts sont incalculables. Outre les maisons détruites, il faut compter les ravages dont ont souffert les rizières et les champs, soit qu’ils aient été simplement couverts de galets ou complètement enlevés par les eaux. Tous les moulins ont été balayés avec leurs pilons, leurs roues, leurs canalisations. Et il s’en était construit une grande quantité dans ces derniers temps.

Plus considérable peut-être, parce que plus étendue et quoique moins apparente, est la perte en semailles et en engrais. Pour nos Coréens, cela signifie que les semis de blé et d’orge sont rendus impossibles et présage une affreuse famine pour le printemps prochain.

La misère est grande déjà. Hier, j’ai rencontré une femme bien à l’aise, qui s’en allait, son panier sous le bras, faire sur la montagne la cueillette des glands. En temps ordinaire, les indigents seuls se livrent à cette récolte. Cette année, on se dispute ces fruits dont les pourceaux se régalent. En les séchant et en les écrasant, on en obtient une bouillie âcre, sans doute à cause du tanin, mais mangeable tout de même quand on n’a pas autre chose. Cela empêche de mourir. »

Missions Catholiques, 1911, pages 584 à 586.