0.2. Finalité de la recherche

Quel que soit le marché sur lequel elles évoluent, les entreprises ont comme mission première de mieux servir le client, tout en faisant face aux variations d’activité.

L’hôpital s'inscrit aujourd’hui dans cette même logique concurrentielle.

De notre point de vue, la polyvalence peut constituer une réponse pour aller vers plus de flexibilité et rendre ainsi l’organisation plus réactive.

Cependant, le développement nécessaire de la mobilité, au travers de la polyvalence, est-il conciliable avec un impératif de « qualité » de la prestation-clientèle et un impératif de « compétence » des professionnels ?

Par ailleurs, de quoi parle t-on lorsque l’on parle de « polyvalence » ? C’est ce que notre recherche va tenter de mettre en lumière.

La qualité des soins dépend des choix effectués en matière de gestion des ressources humaines.

Le développement d’une « certaine polyvalence », portée par une politique de ressources humaines en adéquation avec la mission de soins, d’enseignement et de recherche du service public hospitalier, nous semble pouvoir être source de bénéfices partagés :

  • bénéfice pour le patient de par l’assurance d’une continuité des soins dans un contexte de sécurité et de qualité

  • bénéfice pour le personnel de par le développement de compétences individuelles et collectives, favorisant l’équilibrage des charges de travail, l’autonomie et la responsabilisation des acteurs dans la pratique quotidienne

  • bénéfice pour l’institution de par la possibilité de mieux concilier les objectifs économiques, les exigences des patients de même que les projets personnels et professionnels des agents.

Ceci tendrait à dire que performance économique n’est pas antinomique avec performance sociale. Elles se développent conjointement et s’alimentent mutuellement. L’avenir est au socio-économique5.

‘« Tout investissement sur l’homme a un taux de retour étonnant, pourvu que cet investissement soit fait dans la vérité...
La rentabilité d’une entreprise est fondamentale, elle est la garantie de la pérennité, mais cette rentabilité sera d’autant plus forte que l’enjeu humain sera reconnu »6

Quelle polyvalence développer pour qu’elle confère à l’hôpital une réelle capacité d’adaptation aux fluctuations de la charge en soins et qu’elle ne provoque pas d’effets dysfonctionnels indirects ?

En effet, le double objectif actuel d'améliorer les états de santé de la population et parallèlement, de réduire les coûts de la santé publique pour la collectivité (ré)interroge les structures organisationnelles hospitalières en place. Le service hospitalier constitue l'unité élémentaire de l'hôpital. Son fonctionnement est de "nature autarcique". Les relations de travail sont très interindividuelles, au sein d'une équipe constituée de "spécialistes", soucieux de préserver leur autonomie.

Les pressions de l'environnement externe, notamment en termes d'exigences de qualité et de rapidité de la part de la clientèle hospitalière, en termes également d'exigences économiques et financières de la tutelle, font évoluer l'institution hospitalière. Les hôpitaux se voient dorénavant assigner une mission collective de qualité et de rentabilité.

La polyvalence apparaît alors comme un levier possible de flexibilité et d'adaptabilité. Mais utilisée très souvent pour pallier l'absentéisme impromptu, les personnels la redoutent et la contestent, car ils ne sont pas préparés.

Aussi comment passer d'une logique d'opposition à une logique de coopération ? Comment favoriser la contribution individuelle à la performance collective ? Quelles méthodes de management promouvoir pour impliquer les personnels dans l'évolution du service public hospitalier ? Comment développer simultanément la compétence, la polyvalence et la mobilité ? Comment créer une relation de confiance dans un environnement incertain ? En quoi les nouvelles missions de l'encadrement de proximité transforment-elles son rôle ?

Notre recherche s'attachera à donner un éclairage sur l'exercice de la polyvalence en secteur soignant et médicotechnique à l'hôpital public, notamment au travers de ses représentations, des formes d'organisation du travail sous-jacentes, de ses impacts et des ses perspectives d'évolution.

Nous avons fait le choix de traiter de la polyvalence "intramétier" et non "intermétiers", compte tenu du cloisonnement des services hospitaliers et, de ce fait, de la difficulté à promouvoir une logique transversale d'actions au sein d'un même groupe professionnel.

Les métiers soignants hospitaliers ont une formation initiale polyvalente. L'exercice professionnel, en revanche, est le plus souvent spécialisé. L'exemple qui suit va éclairer notre propos.

L'étudiante infirmière acquiert, au cours de ses trois années de formation, des savoirs sur l'ensemble des pathologies traitées par la médecine et des savoirs-faire sur un large éventail de techniques de soins à mettre consécutivement en oeuvre. Lorsqu'elle obtient son diplôme d'Etat, elle est en mesure de travailler au sein de n'importe quel service de médecine, de chirurgie, de réanimation... Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'il n'y a pas une période d'apprentissage à l'arrivée, variable en fonction de la complexité des techniques et des traitements à opérer. Les services hospitaliers étant répartis par domaines d'activité (médecine, chirurgie, réanimation...) et par disciplines médicales (urologie, cardiologie, neurologie...), la nouvelle infirmière va, de fait, développer une expertise particulière, dès ses débuts professionnels.

Il en est de même pour tous les métiers paramédicaux.

C'est pourquoi la polyvalence "intramétier" nous a paru constituer un axe de recherche intéressant. La promouvoir constitue déjà un défi important, car elle ne s'inscrit pas spontanément dans la culture hospitalière des professionnels paramédicaux et médicaux.

La polyvalence "intermétiers" ne nous semble pas d'actualité, les métiers paramédicaux n'étant pas interchangeables. Elle constitue, de notre point de vue, une "polyvalence extensive" non envisageable sur le terrain, dans l'état actuel des formations paramédicales.

La polyvalence "intramétier" sera ainsi explorée auprès de deux publics soignants : les infirmiers7 et les manipulateurs en radiologie. Ces deux professions ont des lieux d'exercice différent, des pratiques différentes, des cultures différentes. Nous éviterons ainsi une vision "monochrome" de la polyvalence.

Notes
5.

Notre thèse a été réalisée dans l'environnement de l'ISEOR travaillant sur la performance socio-économique depuis 1976 et plus particulièrement à l'hôpital depuis 1980 (Directeur : Henri SAVALL)

6.

(H) TULOUP : « Polyvalence, flexibilité du temps de travail, emploi : quelle compatibilité ? » Intervention à la manifestation de l’Institute for International Research (IIR) intitulée « Développer la polyvalence pour gagner en flexibilité », les 28 et 29 janvier 1997, Paris

7.

la profession infirmière étant très majoritairement féminine, nous utiliserons ce terme au féminin, ce qui ne sera pas le cas pour les manipulateurs en radiologie. En effet, la population féminine n'y est pas fortement majoritaire. Il est ainsi d'usage de nommer cette profession au masculin.