6.1.1. L’hôpital, une coexistence de multiples « microcosmes » correspondant à des lieux de vie, personnelle et professionnelle, cloisonnés

Chaque service vit en vase clos. Il y règne une atmosphère quasi-familiale, dans le sens où les relations interindividuelles sont chargées d’affectif. « L’implicite » et « l’informel » favorisent les jeux d’influence, donc les jeux de pouvoir entre les membres d’une même équipe. Les zones d’incertitude étant fortes, la quête de protection peut parfois mobiliser une quantité importante de l’énergie humaine.

Au sein de la « macroculture » hospitalière, existent des « microcultures » de service portées, voire supportées, par les responsables médicaux et paramédicaux. La logique de service prévaut souvent sur la logique institutionnelle. Ainsi, bien qu’ils soient conscients de la nécessité d’équilibrer les charges de production de soins, afin que chaque patient bénéficie d’une répartition équitable des prestations, les personnels restent hésitants à intervenir dans des situations de travail occasionnelles, car ils manquent de visibilité sur la contribution attendue.

Une polyvalence subie et non managée accroît l’incertitude, et avec elle, la perte des points de repère habituels. Il en résulte une instabilité individuelle puis collective, induisant une perturbation du fonctionnement de la structure de soins. Le passage de la situation connue (en l’occurrence celle de son service) à une situation inconnue ou en devenir (l’exercice provisoire dans un autre service) ne fait que peu souvent l’objet d’une mise en oeuvre stratégique ciblée.

« Il y a une difficulté réelle à penser l’hôpital dans sa globalité avant de penser les services dans leurs spécificités. Chaque service a tendance à se comporter en concurrent vis à vis de l’autre, et défend jalousement son personnel, son matériel, son champ d’activité.

Cette conception du fonctionnement bloque les synergies entre services et par exemple pose de nombreux problèmes aux infirmières générales lorsqu’il s’agit de répartir le personnel soignant en fonction des variations du taux d’activité des services. Elle a des conséquences aussi sur la relation au patient qui est rarement considéré comme un client de l’hôpital mais plutôt comme un client du service. D’où la difficulté de mettre en oeuvre un dossier de soins unique qui suivrait le patient dans les différents services... Ce fonctionnement en chapelles (les services) se couple d’un fonctionnement en « tuyaux d’orgue » organisé autour des corps professionnels qui sont autant de logiques professionnelles différentes...

Tout ceci explique les difficultés rencontrées pour développer des pratiques transversales dans les établissements et pour faire en sorte que les équipes fonctionnent comme des équipes et non comme une juxtaposition d’individus dont les projets et les logiques sont divergents »173.

Notes
173.

BARATHAY (P), GUERIN (T), MAHE (M-C), TAVERNIER (N) : « La gestion des ressources humaines dans les hôpitaux publics ». Rapport d’Etude, Entreprise et Personnel, Ministère des Affaires Sociales de la Santé et de la ville, Direction des hôpitaux, Sous-direction de la Fonction Publique Hospitalière, Janvier 1994, P. 22 et 23