En effet, un individu est d’abord relié à son entreprise par le sentiment d’en faire partie. Dans la polyvalence de mobilité externe, les infirmières ont fréquemment évoqué leur sentiment de non appartenance à l’équipe de travail provisoire. C’est une des premières difficultés à franchir, notamment par le biais d’une politique d’intégration structurée qui tendrait à atténuer la sensation de rupture, souvent trop lourde à porter. La non adhésion au projet de l’équipe, car méconnu, induit l’absence d’engagement régulièrement décriée.
L’intégration à une nouvelle organisation est directement liée à l’implication au travail, constituant un élément de stratégie individuelle. Il appartient au cadre de gérer ces stratégies d’acteurs, sources d’identité professionnelle et de professionnalisme.
Ainsi, l’implication des infirmières dans un système de travail polyvalent sera fonction de l’adéquation entre la situation professionnelle demandée par l’institution et leurs propres attentes.
Les psychosociologues ont repéré quatre grandes catégories d’implication233 :
L’implication de retrait : peu impliqué dans son emploi, l’individu fait son travail dans un but utilitaire. Il est réfractaire à tout changement et préfère le statu quo à toute innovation.
L’implication fusionnelle : « ‘l’individu puise le sens de sa participation à l’entreprise à travers sa participation affective au groupe de ses pairs, c’est à dire ceux qui sont proches de lui et subissent les mêmes contraintes et peines que lui. Cela correspond à de nombreux métiers dits corporatistes comme ceux des marins, des cheminots, des mineurs ou encore des infirmières ou l’affectif est puissamment sollicité par les situations professionnelles vécues’ ».
L’implication affinitaire : des relations d’affinité s’effectuent de façon privilégiée avec certains de ses pairs. Avoir partagé une même formation, une même situation professionnelle, appartenir à un même réseau culturel ou autre est à même d’induire des relations d’affinité, pouvant servir à progresser dans la carrière.
L’implication négociatrice : « ‘l’individu est investi dans son emploi à travers un modèle de relations de négociation que cet emploi lui permet de mettre en oeuvre... Il utilise ses compétences et sa position charnière dans l’entreprise pour négocier sans cesse sa valorisation’ »234. C’est l’attitude dominante chez les cadres pour lesquels réussite personnelle et réussite professionnelle sont fortement corrélées.
Ces quatre niveaux d’implication sont le résultat d’un ensemble de composantes psychosociologiques. ‘« Elles peuvent être considérées comme le résultat d’attitudes envers le travail et envers les tâches concrètes que l’on a à faire. Elles nécessitent donc que l’on ait des représentations de ce travail et des tâches que l’on effectue. Les implications intègrent également diverses satisfactions ou insatisfactions... »’ 235.
Ce concept d’implication est en relation directe avec les concepts de « mentalité », « attitude », « valeurs », « représentations », et « raisonnements sociaux ».
L’organisation a besoin de cette énergie positive, d’où la nécessité de cadres-managers aptes à prendre des décisions dans une logique consensuelle, basée sur la transparence des objectifs à atteindre et des enjeux encourus. L’organisation hospitalière, comme toute autre organisation, est soumise à une évolution constante de la nature du travail, en lien avec l’évolution des technologies diagnostiques et thérapeutiques. Comment concilier organisation et innovation, lorsque cette dernière apporte de nouvelles contraintes mais aussi de nouvelles opportunités. « Organiser » tend à réduire l’incertitude par la formalisation du fonctionnement de l’équipe en fonction des tâches à réaliser. A contrario, « innover » augmente l’incertitude du fait des modifications et des changements à intégrer impérativement.
‘« Cette complémentarité antagonique permet de comprendre les désarrois croissants des méthodes de management : plus elles formalisent le fonctionnement de l’organisation, et plus elles réduisent ses capacités de gestion. Plus, au contraire, elles encouragent l’ajustement mutuel, moins elles permettent de contrôler le fonctionnement d’ensemble »236.’Innovation est fréquemment synonyme d’investissement financier à amortir. C’est dans ce cadre, par exemple, que les nouvelles techniques d’imagerie nécessitent une durée de fonctionnement étendue, donc des horaires plus amples pour les personnels permanents, mais aussi mobiles. Quel équilibre trouver en termes de compétences, pour qu’il y ait une gestion optimale des moyens matériels et humains, tout en maintenant la qualité de la prestation au client ? Apprécier le champ de polyvalence requis, c’est à dire le degré de compétences requises, en partenariat avec les personnes concernées, réduit la réticence au changement et encourage l’engagement collectif. L’organisation peut être le ciment des projets individuels et institutionnels. Coordination, coopération et adhésion à la culture d’entreprise, constituent les trois axes de management à promouvoir. La mise en place d’un système d’information pertinent est à même d’assurer la cohérence collective nécessaire à la performance économique et sociale.
BELLIER-MICHEL (S) : « L’individu et le système ». Revue hors série. Sciences humaines, n° 20, mars-avril 1998, p. 45
MUCCHIELLI (A) : « La psychologie sociale ». Les fondamentaux, Hachette, 1994, 157 pages, p. 33
cf. SAINSAULIEU (R) : « L’identité au travail ». Presses de la FNSP, 1977
cf. DUBAR (C) : « La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles ». A. Colin, 1991
MUCCHIELLI (A) : « La psychologie sociale » op. cit. p 33-34
MUCCHIELLI (A) : « La psychologie sociale » op. cit. p 33-34
ALTER (N) : « Organisation et innovation, une rencontre conflictuelle ». Revue hors série, Sciences humaines, n° 20, mars-avril 1998, p. 56