1. Les résultats de la recherche

Notre recherche montre qu’une polyvalence ciblée, structurée et managée a pour avantage de mobiliser les personnels et de les faire adhérer aux évolutions du milieu hospitalier. La mobilisation, dans le sens de rassemblement et de dynamisation des énergies, devient alors levier de changement, donc levier de transformation des hommes et des systèmes. Se pose alors la question récurrente du « mouvement » et de la « stabilité », mais par rapport à quoi ? et par rapport à qui ? La réponse se trouve en partie dans l’émergence d’une autre rationalité organisationnelle, incluant des activités de travail à géométrie variable, et de ce fait, plus de mouvement dans les structures et plus de mobilité des acteurs.

L’interdépendance des facteurs économiques et des facteurs socio-culturels nous a conduit à considérer les résistances voire les refus à une organisation polyvalente sous différentes approches : descriptive, explicative et prescriptive.

Le changement est le plus souvent perçu dans ses effets perturbateurs (déqualification professionnelle, perte de qualité de vie...).

En effet, les individus attribuent un sens différent à leur situation de travail, selon leur origine sociale, leur environnement culturel, leurs aptitudes à se projeter dans l’avenir et leurs capacités personnelles à saisir les opportunités, à terme sources de valorisation personnelle et professionnelle. Nombreux sont ceux qui se trouvent dans le paradoxe suivant :

  • résister au changement, à une mobilité « imposée » par crainte de ne pas trouver les potentialités nécessaires au maintien de leur image de professionnel compétent et reconnu

  • désirer une mobilité pour gravir les échelons de la réussite professionnelle et sociale et, par là même, montrer ses capacités d’adaptation, d’innovation et de maîtrise de l’environnement.

Polyvalence et mobilité sont ainsi étroitement liées. La polyvalence fait appel à toutes les formes de la mobilité :

  • mobilité intellectuelle : savoir activer des connaissances multiples et hétérogènes

  • mobilité professionnelle : exercer des activités différentes et/ou des postes différents

  • mobilité géographique : exercer ces activités sur des lieux et des secteurs différents

Mais également :

  • mobilité individuelle, basée sur les souhaits de réussite professionnelle

  • mobilité collective, basée sur les conditions de réalisation d’un projet collectif, porté par les individus.

LA MONOGRAPHIE (51 personnes interviewées) nous a permis d’objectiver que la polyvalence intraservice fait partie intégrante de la philosophie de soins : elle fait l’unanimité au sein du service. Cette polyvalence est souhaitée, reconnue et maîtrisée.

Le traitement de polypathologies et la diversité des soins qui y sont liés constituent un facteur d’équilibre de la charge en soins de même qu’un élargissement et un enrichissement de l’exercice infirmier.

La polyvalence interservices est une philosophie de fonctionnement institutionnel. Cependant, elle n’est pas anticipée, pas ou peu managée en termes de compétences. En effet, elle est le plus souvent sollicitée en urgence, pour pallier un absentéisme impromptu.

Le « prêt de personnel » est majoritairement de très courte durée (une à deux journées en moyenne), et mal vécu, car angoissant de par la méconnaissance des us et coutumes du service d’accueil.

En revanche, le remplacement de longue durée (une vingtaine de jours en moyenne) est programmé, et de ce fait bien accepté et surtout enrichissant, de par les échanges sur les méthodes, les pratiques...

D’une manière générale, la polysémie du terme polyvalence engendre de nombreuses interprétations, sources de résistances et d’incompréhension. Elle est néanmoins perçue comme un acte de solidarité et un atout sécuritaire. Les personnels adhèrent à sa finalité mais regrettent, voire déplorent le fait qu’elle demeure floue et qu’elle présente des modes d’application non concertés, non organisés et non préparés. Ils souhaitent plus de transparence et plus de participation dans sa mise en oeuvre.

L’ENQUETE PAR QUESTIONNAIRE

  • Concernant les infirmières : (270 réponses) on note que 58 % d’entre elles n’effectuent aucun remplacement à l’extérieur de leur service d’affectation. Le cas de remplacement A (même domaine d’activité et même discipline médicale) est prédominant (27 %), que ce soit en CHU ou CHG. L’âge ne semble pas constituer un facteur influençant la mobilité contrairement à certaines idées reçues. Une expérience diversifiée, même courte, favoriserait en revanche les remplacements sur des secteurs d’activités différents de celles pratiquées au quotidien. La marge d’initiative, sur les soins de base et soins techniques, reste correcte hors du service. Elle peut devenir moyenne pour les soins relationnels et éducatifs, nécessitant une bonne connaissance du patient et de son environnement. Les échanges d’informations se font majoritairement au sein du service et s’avèrent insuffisants avec l’ « extérieur ». Une rotation du personnel est organisée dans 2/3 des cas. Le rythme dominant est d’une journée en CHG, d’une semaine en CHU. Globalement, les infirmières souhaitent conserver leur niveau de polyvalence ou l’accroître. C’est dire qu’une fois acquise la polyvalence n’est plus vécue comme un problème. L’organisation constitue le frein dominant à la polyvalence de mobilité externe. La méconnaissance du fonctionnement d’un service autre que le sien engendre une perte de repères, source d’inconfort et de stress dans le travail. La technicité des gestes et les échanges d’informations se sont révélés être des freins moins importants. Du point de vue de certains, la polyvalence permet la diversification des soins et un enrichissement professionnel et personnel. Elle peut être un outil d’équité et de prévention d’insuffisance professionnelle. Pour d’autres, elle comporte un risque de déqualification professionnelle et d’insécurité pour le patient. Elle peut provoquer un mal-être personnel, et de ce fait, engendrer une démotivation et un désinvestissement au travail. Dans tous les cas, la polyvalence est à circonscrire en partenariat avec les équipes. Elle doit être organisée, reconnue et valorisée, afin d’éviter les disparités d’interprétations. En effet, nous avons pu voir qu’au sein d’un même service, sur des postes équivalents, les infirmières ont des représentations différentes sur leur degré de polyvalence, leur marge d’initiative... Les infirmières de pool enquêtées, bien que maîtrisant leur polyvalence, situent les freins et facteurs favorisants de façon équivalente. En revanche, elles ont été les seules à considérer qu’être polyvalent de mobilité externe, c’est être un relais dans les transferts de connaissances de soins, donc devenir porteur de la transmission du savoir soignant.

  • Concernant les manipulateurs en radiologie  : (172 réponses) 26 % des manipulateurs enquêtés sont non polyvalents mais il existe une disparité entre CHU (33 % de non polyvalents) et CHG (14 % de non polyvalents). Il faut noter, par ailleurs, qu’il existe cinq technologies pour 52 % des manipulateurs en CHU, contre 17 % en CHG. L’âge n’influe pas sur les différents degrés de polyvalence. La marge d’initiative varie selon la technique utilisée et ne semble pas dépendre de l’importance du plateau technique. Elle est forte en radiologie standard, très bonne en IRM, bonne en scanner, moyenne en angiographie numérisée et en radiologie interventionnelle. Les échanges d’informations s’opèrent très souvent au sein du service, et souvent à l’extérieur du service. La nature du contenu du travail (service de production d’examens et/ou de traitement de pathologies) « impose » la mise en relation de nombreux services. Une rotation est organisée dans 97 % des cas en CHG contre 76 % en CHU. Comme pour les infirmières, les manipulateurs souhaitent, globalement, conserver leur niveau de polyvalence ou l’accroître. La technicité des actes constitue le principal frein à la polyvalence. L’organisation du travail et les échanges d’informations s’avèrent être des freins moins importants. Les avantages et les limites de la polyvalence évoqués par les manipulateurs sont du même ordre que pour les infirmières. Leurs propositions sont ainsi similaires et portent sur les points suivants : organisation, consensus, valorisation, reconnaissance, communication...

LES ENTRETIENS COMPLEMENTAIRES, réalisés auprès des responsables médicaux, administratifs et soignants (54 personnes) ont mis en évidence des remarques similaires à celles des infirmières et des manipulateurs en radiologie. Selon la fonction occupée, on observe des sensibilités particulières sur l’exercice de la polyvalence, autour d’un tronc commun d’idées convergentes.

L’ANALYSE DES RESULTATS EXPERIMENTAUX confirme que les services hospitaliers vivent de façon cloisonnée, autant que faire se peut. A partir de là, une polyvalence mal définie, mal comprise, le plus souvent utilisée comme réponse curative à un problème d’absentéisme, freine l’adhésion des équipes à une ouverture interservices. Les cadres ne semblent pas inscrire la polyvalence dans une logique managériale de compétences à promouvoir. Les pratiques organisationnelles manquent de rationalité. Les règles de fonctionnement sont peu formalisées et propres à chaque service. La communication latérale interservices est déficiente. De ce fait, il nous a semblé important, d’une part, de tenter une conceptualisation de la polyvalence afin de mieux en cerner les multiples facettes, d’autre part de proposer des outils de pilotage aux cadres de proximité, relativement démunis en ce qui concerne le management des compétences.

LA POLYVALENCE n’est pas une fin en soi, c’est une réponse organisationnelle à des objectifs stratégiques et managériaux, inscrits dans une politique d’établissement. L’analyse des contenus du travail constitue le moyen privilégié pour déterminer le niveau de polyvalence souhaitée et souhaitable. Polyvalence et spécialisation nous paraissent constituer des phénomènes de régulation de « l’écosystème hospitalier », et ce, sous la forme de cycles de vie renouvelés dans un ordre continu (trois stades d’appropriation : un stade de découverte, un stade de maturité, un stade de neutralisation). Il s’avère ainsi nécessaire de mesurer le degré de complexité de toute activité nouvelle afin d’en évaluer le cycle de vie et parallèlement la nature des compétences à mobiliser.

Outre, une meilleure connaissance de l’évolution des activités dans le temps, « à l’instant T » il est important de préciser « le contenant » et « le contenu » de la polyvalence donc d’en délimiter le champ pour que coexistent professionnalisme des acteurs et qualité de la prestation.

Le terme polyvalence nous semble trop abstrait pour fédérer spontanément les hommes, autour d’un projet collectif inscrivant la polyvalence dans sa mise en oeuvre. En revanche le terme pluricompétence nous paraît plus approprié, dans la mesure où la compétence consiste en des capacités observables et mesurables. La pluralité peut ainsi prendre du sens, du fait de la lisibilité de l’unicité.

La polyvalence ou, comme nous l’entendons, la pluricompétence circonscrite, nécessite d’être managée, organisée et sectorielle.

L’organisation polyvalente d’un service dépend ainsi étroitement des compétences managériales du cadre.

Par ailleurs, nous avons estimé que l’acquisition de compétences, dans une structure polyvalente, était sous-tendue par des processus mobilisateurs à définir.

Nous avons ainsi identifié QUATRE PROCESSUS MOBILISATEURS de la polyvalence : un processus de technicité à composantes gestuelles, un processus de pensée à composantes intellectuelles et mentales, un processus de gestion à composantes organisationnelles de même qu’un processus de cohérence collective à composantes informationnelles et communicationnelles. Chaque processus favorise le développement d’une compétence plus spécifique, à savoir chronologiquement, une compétence technique, méthodologique, contributionnelle et sociale.

En fonction du degré de maîtrise de ces processus, nous avons pu ainsi repérer que la polyvalence de mobilité externe de faible durée était une polyvalence déstabilisante, la polyvalence de mobilité externe de longue durée une polyvalence semi-contrôlée et la polyvalence intégrée permanente (intraservice) une polyvalence maîtrisée.

Agir sur les processus mobilisateurs ne peut se faire sans la prise en compte de l’histoire personnelle et de l’expérience professionnelle de l’agent.

La polyvalence est un choix managérial. Sa réussite dépend à la fois du degré d’implication des cadres et de leurs capacités à manager une équipe, dans une logique transversale institutionnelle.

C’est pourquoi nous avons proposé L’OUTIL GRILLE DE COMPETENCES, comme outil de pilotage de la polyvalence. L’approche « compétences » s’inscrit dans une logique de progrès tant pour l’organisation que pour les personnels, et ce, dans un souci commun de prodiguer les meilleurs soins à la clientèle hospitalière. Le management des compétences est une stratégie source de performance économique et sociale.

Il appartient aux cadres de s’inscrire dans une dynamique systémique de l’hôpital et dans une logique de développement des compétences afin de faire évoluer simultanément :

  • les processus organisationnels

  • les devenirs individuels et collectifs dans un objectif d’adéquation des ressources et de l’activité hospitalière

  • la qualité des prestations de soins.

‘« La logique de compétences remet profondément en cause le modèle par postes. Elle tend à regrouper les définitions traditionnelles des postes dans le cadre d’emplois - type moins nombreux, mieux centrés sur la mission, favorisant la POLYVALENCE ... Elle permet d’envisager plus sereinement, grâce à la polyvalence à l’intérieur d’un emploi - type, une diversification des horaires de travail associée à un élargissement des plages d’ouverture des services aux clients ou usagers.
Elle permet de proposer aux personnes une évolution de carrière fondée sur l’acquisition de compétences, sans devoir attendre qu’un autre poste mieux classé se libère. »274

L’émergence de « nouveaux collectifs », où se développent l’autonomie et la pluricompétence, va de pair avec une exigence de coopération et de coordination d’autant plus forte que l’institution hospitalière est complexe. Les modes de communication et les modes d’organisation du travail sont interdépendants et à prendre en compte conjointement.

Nous pouvons dire que conduire le changement et assurer les transitions requièrent l’intégration de la polyvalence, la pluricompétence, et la mobilité dans la gestion globale des ressources humaines.

Notes
274.

(A) MEIGNANT : « Le savoir et l’entreprise, un nouveau paradigme » Revue personnel - ANDCP, n° 378, mars-avril 1997, p 77 à 85, p 80