4.1. LE CONTEXTE DES ANNEES 1870

Comme l’écrit l’anglais Stanley Jevons: "Les cinq parties du monde sont nos tributaires volontaires. Les plaines de l’Amérique du Nord, la Russie, voilà nos champs de blé; Chicago, Odessa sont nos greniers; le Canada, les Pays baltiques, nos forêts. L’Australie contient nos parcs de moutons, l’Amérique nos troupeaux de bœufs; le Pérou nous expédie son argent; la Californie, l’Australie leur or. Les Chinois cultivent du thé pour nous et des Indes affluent vers nos rivages le café, le sucre, les épices. La France et l’Espagne sont nos vignobles, la Méditerranée est notre verger; notre coton nous le tirons des Etats-Unis" 500 et en 1885, Renan renchérit: "Autrefois la Chine, le Japon, l'Inde, l'Amérique pouvaient traverser les révolutions les plus graves sans que l'Europe en fut même informée (...). Aujourd'hui, les bourses de Paris et de Londres sont émues de ce qui se passe à Pékin, au Congo (...), en Californie (...). Le télégraphe électrique501 et la téléphonie ont supprimé la distance (...), les chemins de fer et la navigation à vapeur ont décuplé les facilités pour le transport des corps". En ce dernier tiers de XIX° siècle, les échanges mondiaux connaissent une croissance phénoménale. Entre 1870 et 1880 le taux d'accroissement annuel moyen du commerce mondial est de + 4,6 %. Malgré une poussée protectionniste certaine, ce dernier bénéficie en effet de conditions libérales très avantageuses comme le fait qu'il n'y ait pas d'obstacles aux frontières, pas de passeports ni de formalités, que la circulation des monnaies soit libre ou la sécurité des personnes et des marchandises assurée 502 . Pour le favoriser et réglementer, un Bureau International des Poids et Mesures ainsi qu'un règlement international des routes maritimes sont institués 503 , des Bourses spécialisées instaurées: thé et laine à Londres, coton au Havre, Liverpool et Brême, blé à Anvers et Marseille. Le Royal Exchange de Londres devient le centre international des transactions et du clearing. Grâce aux câbles sous-marins, Manchester devient à partir de 1880, le centre des courtiers pour les filateurs, de même que Le Havre où "importateurs-arbitragistes" et "importateurs-commissionnaires" se confondent alors 504 . A l'inverse de l'évolution que connaît le marché des soies de Lyon, l'activité du courtier remplace celle du marchand tandis que les évolutions des transports facilitent les relations directes entre les fournisseurs et les fabricants, ce qui rend les intermédiaires comme les négociants inutiles et confinent les ports maritimes dans un rôle de simples ports de transit.

De nouvelles routes commerciales naissent tandis que d'autres tombent en désuétude. Ainsi, l'industrialisation rapide de l'Europe du Sud et Centrale fait que l'on crée une ligne d'échanges entre l'Amérique et Londres, Anvers, Rotterdam, Hambourg prolongée par la Baltique, le Danube et l'Adriatique. Pour connecter cet ensemble à la Méditerranée et à l'Océan Indien via le canal de Suez, on perce à travers les Alpes les tunnels ferroviaires de Fréjus, du Mt Cenis, du St Gothard et de l'Arlberg bientôt suivis de celui du Simplon 505 . Le St Gothard par exemple permet de faire Bâle-Gênes en 550 km et son trafic marchandises passe de 455.000 à un million de tonnes entre 1883 et 1901. A partir de 1880, la Révolution Industrielle et Commerciale entre dans une seconde phase qui se caractérise par une extension marquée des voies ferrées. De 38.700 km dans le monde en 1850, on passe à 618.400 en 1890 et grâce aux tunnels alpins par exemple, Milan se retrouve directement connectée aux fabriques d'Europe Centrale. Servis par les progrès techniques de l'époque 506 , les infrastructures et les transports maritimes connaissent un boom fantastique. Le premier navire frigorifique, Le Frigorifique de Tellier, part par exemple de Rouen en 1876 507 , et, le 16 février 1888, une lettre du consul français de Shanghai nous apprend que des échantillons de cocons de vers à soie sauvages du chêne, accompagnés d'un mémoire, ont transité jusqu'en France dans la glacière d'un paquebot des Messageries Maritimes. En 1889 Leroy-Beaulieu proclame: "le progrès de la navigation maritime est le principal phénomène économique des temps présents" 508 . La période 1885 -1905 marque la véritable transition entre voiliers et steamers et en 1900, la voile ne représente plus qu'un quart du tonnage maritime mondial. Mais les navires à vapeur sont coûteux et imposent un emploi strict, des débarquements accélérés et des ports en eaux profondes. Ils sont donc souvent liés à des intérêts industriels et financiers et le gigantisme gagne l'armement naval. La compagnie Elder Dempster est par exemple liée aux entreprises commerciales et cotonnières ainsi qu'à la Bank of British West Africa. Remarquablement renseignées 509 , les grandes compagnies maritimes sont soutenues par les groupes de pression du monde des affaires ou de la politique 510 . Les questions logistiques prennent la première place dans l'ordre des préoccupations quotidiennes des Etats et des entreprises. C'est ce qui explique par exemple les tensions franco-anglaises à propos du canal de Suez et l'internationalisation du statut de celui-ci en 1888 511 . L'Europe du Nord est la région qui bénéficie alors le plus de ce fantastique élan. Les besoins considérables de la Rhénanie en matières premières industrielles et alimentaires et la nécessité pour cette grande région manufacturière d'exporter ses produits en abondance font d'Anvers 512 et de Rotterdam les deux grands ports de la Mer du Nord. Porté par le développement de l'Allemagne et des pays d'Europe Centrale, entre 1887 et 1896, le trafic de Hambourg bondit de 341.393 à 680.136 tonneaux, tandis que respectivement en 1887 et 1895, les paquebots du Norddeutscher Llyod touchent Gênes et le canal de Kiel qui relie la Baltique à la Mer du Nord est percé.

Comme le rappellent les exemples de Suez ou de Kiel, il ne faudrait cependant pas croire que tous ces aménagements soient motivés par la seule pacifique volonté de faire du commerce. Il faut au contraire voir en eux l'expression de tensions très nettes alimentées, en ce qui concerne les pays émergents que sont l'Allemagne 513 , la Russie 514 , les Etats-Unis et le Japon, par le désir d'accroître le bien-être matériel de leurs populations tout en s'imposant sur la scène politique internationale et, en ce qui concerne les vieilles nations industrielles comme la France, le Royaume-Uni 515 ou la Belgique, le souci de ne pas se retrouver à leur tour en position d'outsiders. La compétition qui s'instaure alors entre les nations est-elle le résultat de véritables stratégies ou bien seulement la conséquence fortuite et malheureuse de la recherche du politique pour combler son perpétuel retard sur l'économique ? Quelle est la part de l'initiative strictement individuelle, c'est-à-dire ne relevant d'aucune politique préconçue ? Peu importe, seuls comptent les faits. L'évolution des sociétés de Géographie par exemple est tout à fait représentative de l'état d'esprit de cette époque. Si, pour les plus désintéressés d'entre leurs membres, il s'agit de mieux connaître les continents et les peuples en les explorant 516 , pour nombre d'entre eux, en fait, il est question de faire plutôt de la prospection commerciale. A ce titre, l'exposition coloniale de 1894, la mission lyonnaise en Chine de 1895 et la fondation du Musée Guimet sont de vibrants témoignages. Véritable groupe de pression, la Société de Géographie de Paris n'hésite pas à s'adresser au Ministre des Affaires Etrangères. Ce dernier l'appuie d'ailleurs pleinement comme en témoigne cette lettre du 18 juillet 1865 dans laquelle il encourage ses consuls à répondre favorablement à la requête de la Société de Paris et leur demande de "joindre à leurs rapports ordinaires des notes géographiques et ethnographiques" 517 . Puissantes 518 , ces sociétés tiennent leur premier Congrès de "Géographie Commerciale" à Paris en 1878, elles familiarisent l'opinion avec les questions coloniales, apportent une justification morale aux conquêtes et favorisent les expéditions et la littérature de voyage 519 . Ainsi les rapporteurs de la Mission lyonnaise de 1895 mentionnent-ils les "Notes commerciales sur Canton" de M.C Imbault-Huart, consul général de France à Canton, extrait du Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris. Elles constituent un auxiliaire efficace et dévoué pour des commerces extérieurs nationaux alors de plus en plus avides de débouchés. Il ne fait aucun doute que dès les années 1870, le phénomène ne faisant que s'accélérer par la suite par le seul jeu du phénomène d'accumulation, les nations qui ont choisi la voie de l'industrialisation réfléchissent plus en terme de développement économique individuel que concerté. La production industrielle mondiale progresse ainsi en moyenne de 3,7% par an jusque 1913 mais aucun organisme international représentant les Etats n'en coordonne ou régule le développement. Les mutations s'accélèrent sans qu'aucune puissance ne parvienne à s'imposer aux autres afin d'en organiser le contrôle. Bien au contraire, en toute liberté, d'énormes masses de capitaux circulent à la recherche de placements sûrs, l'aspect cosmopolite des groupes se renforce et afin de contourner les barrières protectionnistes, les investissements industriels directs augmentent. Dans le cadre de filières puissantes constituant d'importants groupes de pression disposant d'appuis financiers et politiques étendus, les liens entre cultivateurs, fabricants, exportateurs, armateurs et financiers se renforcent. Fruit de cette floraison d'initiatives privées, le volume des exportations de capitaux et de marchandises connaît donc une expansion continue mais le pouvoir d'achat des populations ne progressant que lentement et les instruments de crédit ne faisant que se mettre en place au fur et à mesure plutôt que de précéder les innovations, la concurrence devient de plus en plus féroce.

"Alors qu'avant il convenait d'avoir une clientèle fixe et circonscrite qu'on attendait patiemment (...) la nouvelle école se soucie avant tout de provoquer ou de multiplier les besoins et de recruter des acheteurs pour ses produits" 520 . De 973.000 personnes occupant une fonction commerciale en France en 1866 on passe à 2.053.000 en 1911: le nombre de gens faisant du commerce augmente plus vite que la population. Dans son livre Lombard Street de 1872, l'économiste Walter Bagehot souligne que le "new trader" remplace "l'old fashioned trader", en d'autres termes "les vieilles familles de marchands souvent remarquables par leur culture, leur richesse, leurs goûts aristocratiques, sont refoulées à l'arrière-plan par ces hommes nouveaux". Motivations politiques et intérêts économiques se rejoignent alors dans une démarche protectionniste. Dès l'arrivée à échéance des traités de 1860 et sous le diktat du krach de 1873, des pays font le choix de cloisonner leurs économies respectives afin d'en assurer leur développement. Il en est ainsi de l'Allemagne en 1879 et de la France à partir de 1881. Conçue comme un bouclier anti-crise, cette politique accentue en fait la crise des exportations et les tensions. Début 1884 par exemple, des droits d'importation sont imposés dans ce dernier pays sur la viande salée américaine, ce qui provoque une demande de mesures de représailles de la part du Congrès 521 . Les tarifs protectionnistes belges, suisses, italiens, suédois entre 1887 et 1891 522 , les tarifs Mac Kinley de 1890 523 , suivis l'année suivante du tarif russe Mendeleiev 524 , et pour finir la parution de "Made in Germany" 525 , témoignent de ces tensions, de cette rivalité sous-jacente, marque d'une véritable "guerre des débouchés" qu'attise les crises successives. En effet, après le premier krach sur les places de Berlin et de Vienne en 1873 526 , l'économie mondiale s'enfonce dans un marasme qui se prolonge jusqu'à la fin du siècle. Trois profondes secousses 527 entravent une reprise de la croissance toujours fragile parce que la gravité de ces dépressions est accentuée par la simultanéité des récessions dans la majorité des pays et les blocages des échanges internationaux 528 . Régulièrement, les Etats désamorcent les crises politiques engendrées par les crises économiques mais en l'absence de tout organe d'arbitrage permanent, ils ne peuvent mettre en place une politique cohérente de régulation et dès que la situation est rétablie à un endroit, elle se détériore à un autre point de la planète. La conférence de Berlin sur le Congo 1884-85, par exemple, règle des tensions que par ailleurs, l'exposition coloniale à Londres en 1886 ou les fondations respectives de la Deutsche Kolonial Gesellschaft et de la Societa d'Esplorazioni commerciali in Africa par des Milanais 529 contribuent à entretenir. Certes, comme Yvan Paillard le souligne, les effets du protectionnisme doivent être nuancés car "les interdépendances qui se créent sont fortes et les échanges internationaux ne sont que ralentis entre 1873 et 1895, la législation protectionniste restant somme toute modérée" 530 . Néanmoins, le recours, même temporaire, à des mesures douanières suffit à entretenir entre les Etats et les entreprises une atmosphère constante de suspicion et de compétition. Comme l'explique J.L Miège 531 , "fréquemment, c'est non le marché actuel mais ses virtualités qui poussent à sa conquête. Il s'agit de le prendre avant qu'une autre nation ne s'en empare. Il entre beaucoup d'appréhension des entreprises étrangères (réelle ou simulée) dans la propagande et l'action coloniale". Animées par de vieux sentiments, anglophobes pour les Français, gallophobes pour les Italiens, celui-ci remarque fort justement que hausse du protectionnisme et expansion coloniale vont souvent de pair et que finalement le problème essentiel, c'est de trouver les motifs qui ont conduit à passer de l'impérialisme de fait 532 , c'est-à-dire l'expansion commerciale et la domination politique à la colonisation avec contrôle politique et occupation territoriale. Le cas de l'Angleterre est symptomatique. Si, dans un premier temps, entre 1820 et 1880, les colonies entraînant un alourdissement du budget 533 , les Britanniques insistent plutôt sur la liberté de commerce, la crise larvée de 1873-1895 entraîne très rapidement une hausse de leur attention pour celles-ci et le développement d'une conception planétaire des relations internationales.

Dans ce contexte, le cas de la France est particulièrement épineux. Au moment où toutes ces accélérations structurelles commencent, celle-ci vient en effet de subir un dur revers face à la Prusse. Outre l'Alsace et la Lorraine qu'elle perd, simultanément, elle doit à la fois régler une lourde indemnité de guerre, affronter la crise de la Commune de Paris puis la crise de 1873 et enfin déterminer son régime politique définitif. Rien que dans ce dernier domaine, il va lui falloir toute la décennie 534 . De plus, les nouvelles tendances du commerce international ne l'avantagent guère. Ainsi, l'industrialisation rapide de l'Europe du Sud et Centrale fait que l'on crée une ligne d'échanges entre l'Amérique et Londres, Anvers, Rotterdam, ainsi que Hambourg prolongée par la Baltique, le Danube et l'Adriatique, ce qui représente un changement d'orientation défavorable au commerce français. Grâce au Gothard, les produits de Belgique, de Hollande, de Suisse et d'Alsace-Lorrraine passent par Gênes, car le tracé Bâle-Gênes ne fait que 550 km contre 770 pour Bâle-Marseille. Ainsi, en 1887, les paquebots du Norddeutscher Llyod touchent le grand port italien et, grâce aux tunnels alpins, Milan se retrouve directement connectée aux fabriques d'Europe Centrale 535 . Comme le précisent Braudel et Labrousse, "il n'existe pas un redéploiement du commerce français au XIX° siècle mais au contraire un renforcement des courants traditionnels (...) et la France est absente des marchés asiatiques et de l'hémisphère Sud". En 1827-36, à l'exportation, quatre postes font 51,8% des ventes françaises (tissus de laine, de soie, de coton et vins), mais en 1877-86, ceux-ci n'assurent plus que 26,7% des ventes et ils ne sont pas remplacés puisque, réunis, les dix premiers postes ne font pas la moitié du total. Les dix premiers postes de 1846 sont à peu de chose près ceux de 1829 et ils sont encore six dans les dix premiers de 1869 tout comme en 1909. A cette dernière date d'ailleurs, on retrouve encore quatre des cinq premiers postes de 1846. il n'y aucune exportation française intégrant une technique avancée, la France exporte des produits dans des secteurs où la concurrence peut facilement se développer. Ainsi, en 1887-96, les trois premiers postes à l'importation sont les céréales (10,5%), la soie (6,7%) et la laine (6,3%), il n'y a ni machines, ni minerais dans les postes fondamentaux. Parce que nos produits s'adressent aux couches aisées des populations, leurs débouchés traditionnels se trouvent essentiellement en Europe 536 . Ces derniers étant durement touchés par les crises et la cherté des produits français empêchant ceux-ci de se diriger vers des marchés de substitution, les exportations françaises reculent. En volume, entre 1875 et 1895, elles croissent de 0,86% mais globalement, la part de la France dans les exportations européennes décline. Elle passe de 19,2 en 1860 à 14,4% en 1900 et depuis 1875-79, la balance commerciale est déficitaire. Pire encore, si jusque 1880, les importations françaises étaient égales aux importations anglaises, espagnoles ou américaines, signe de repli important, à partir de cette date, elles reculent de 6%, alors que celles du Royaume Uni progressent de 30%, celles des Etats-Unis de 32%, et celles de l'Espagne, de l'Allemagne et de l'Italie, respectivement de 36%, 118% et 50% 537 .

Les lacunes commerciales françaises apparaissent de façon criante et Bruno Ricard écrit 538 : "la mentalité du commerçant français fit dans ce contexte plus de ravages que l'affaiblissement politique d'une République née de la défaite (...). Le négociant français était enclin à penser que le produit se vendrait par lui-même (...) du seul fait de sa nationalité (...) rares étaient les articles français exclusivement destinés à l'exportation (...). Distiller dans le monde champagne et cognac était certes prestigieux mais combien moins lucratif que l'inonder de bière" et l'auteur de remarquer que pour un voyageur français, il en passe cinq américains, dix anglais et vingt allemands. Dans ses CRT, la CCIL rapporte cette observation du vice-consul de France au Costa-Rica qui signale qu'à la différence des concurrents anglais et américains, les négociants français ne font pas figurer dans leurs prospectus, dessins, prix et conditions de livraison 539 . Les consuls se lamentent car l'Allemagne crée des lignes et des escales en pionnier, avant la naissance des flux commerciaux, facilitant ainsi la pénétration des marchés tandis qu'en France il n'y a rien d'équivalent 540 . Raymond Ten Shen-chi, dans sa thèse de 1932, mentionne encore les retards français et l'exactitude allemande (...) "cause de leur prospérité dans les affaires commerciales d'Extrême-Orient". De son côté, Lacour-Gayet 541 écrit: "si les exportations allemandes se développent tellement, ce n'est pas seulement grâce aux tarifs protecteurs ou à l'ardeur d'une production qui emploie des méthodes scientifiques, c'est plus encore en raison de l'activité que déploient les voyageurs de commerce allemands sur tous les points du globe avec des comptoirs installés dans tous les pays et avec des capitaux moins timides qu'en France (...) De même, le commerce italien, ingénieux, n'attend pas que la clientèle étrangère lui vienne d'elle-même [à la différence de la France] notre commerce avouait Méline en mars 1910 est loin d'avoir l'organisation puissante de celui de nos principaux concurrents… Il ne dispose ni des banques de crédit, ni des comptoirs, ni des associations, ni des instruments de toute nature qui favorisent l'exportation des autres nations". Tout ceci ne facilite pas le rapprochement entre consuls et négociants et le corps consulaire fait régulièrement l'objet d'attaques dans la presse régionale à cause de sa structure et de son fonctionnement auxquelles "s'ajoutent des reproches plus légitimes sur la qualité des publications consulaires (...). Le ton monte et en 1883 "le consul à Hong-Kong émet de sérieux soupçons sur la capacité des commerçants français à faire autre chose que de tresser apitoyement et ergotage sur la déconfiture de leurs chimériques desseins de grandeur" 542 . Pour remédier au problème, des initiatives voit rapidement le jour. En 1872, l'Ecole libre des Sciences Politiques est fondée, précédent de quelques années une première timide épuration de l'administration française pour que cesse d'exister, du moins partiellement dans un premier temps, cette "diplomatie conditionnée surtout par les considérations de personnes, de politique politicienne et de stratégie militaire"543. En 1883, un bureau de renseignements commerciaux est créé au Ministère du Commerce. Cet organisme est chargé de publier chaque semaine le Moniteur officiel du Commerce doit centraliser les renseignements drainés par les différents services du Ministère. Dans la foulée, des projets de Musées commerciaux, dont un à Saigon émanant du Ministère de la Marine et des Colonies, ainsi que de création de Chambres de Commerce françaises à l'étranger sont élaborés 544 .

Notes
500.

Citré par A. Siegfried; La crise britannique au XX° sc; A. Colin

501.

En 1873, ce sont en effet 80000 km de câble qui sont ont été posés

502.

Lacour-Gayet, Histoire du commerce Tome V, le commerce depuis le milieu du XIX° siècle, 1952, 441 p.

503.

respectivement en 1875 et 1879. A cela, il convient d'ajouter les créations de l'Union internationale pour la protection de la propriété industrielle, du "made in" (loi sur les marques d'origine), de l'Union internationale pour la publication des tarifs de douane et de la convention de La Haye pour le droit international privé, respectivement en 1883, 1887, 1890 et 1896.

504.

respectivement des importateurs purs et des distributeurs; Philippe Chalmin, p.34.

505.

Le premier est commencé en 1857 et terminé en 1871grâce aux perforatrices à air comprimé inventées en 1848 par le Français Pequeur. Le second, qui permet des liaisons directes entre le Nord de la France et l'Italie, est ouvert l'année suivante, les troisième et quatrième respectivement en 1882 et 1883 tandis que le dernier, le Simplon, avec ses 19,8 km qui en font le plus long tunnel ferroviaire du monde, il est terminé en 1906.

506.

1877: premiers navires en acier. Lesourd et Gérard: "Les transformations techniques des bateaux auront été aussi spectaculaires que celles des moyens de transport terrestres, et leurs conséquences sur la vie économique des nations au moins aussi grandes."

507.

et quatre ans plus tard, la première chaîne frigorifique voit le jour.

508.

Cité par J. L Miège, p.145.

509.

Le Lloyd autrichien est fondé en 1826, P & O en 1837, Cunard Line en 1840, la Hamburg Amerika Linie en 1847. Ces compagnies mettent au point le système des tramps, renseignés par la Lloyd's qui devient le premier informateur mondial. Lesourd et Gérard: "Cette remarquable organisation de renseignements et un des éléments de la supériorité de la marine marchande anglaise".

510.

Le mélange entre armement et négoce existera bien longtemps au-delà du XIX° siècle, il y a un début de spécialisation à la moitié du XIX° mais "le transport maritime reste longtemps conçu comme un prolongement et un complément du commerce"; M. Barak, "L'armement marseillais dans la seconde moitié du XIX° siècle", Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, juillet-septembre 1982, pp.471-488.

511.

En 1877, les Anglais rachètent 176.000 actions du canal de Suez au Khédive Ismail, ce qui leur permet de disposer d'un tiers des voix au Conseil d'administration de celui-ci. Ce n'est que quatre ans plus tard qu'un condominium financier franco-anglais rétablit la situation et que le khédive est déposé. Entre 1875 et 1882, la concurrence est acharnée entre groupes financiers anglais et français. Un compromis est trouvé pour l'Egypte en 1876, ce qui n'empêche pas les Anglais d'occuper militairement le terrain en 1882, surveillant par là même le canal de Suez, "voie impériale" britannique. La même année, la Colonial Society devient le Royal Colonial Institute et lance des campagnes contre les "little Englanders".

512.

Elle-même ayant été déjà avantagée favorisée par la guerre de 1870.

513.

De 1871 à 1890: la politique de Bismarck est d'isoler la France, c'est pourquoi il favorise l'Etat républicain et sa politique coloniale. Dès 1875, le général Moltke établit un projet de guerre préventive et en 1879 la Duplice est conclue entre Berlin et Vienne. Trois ans plus tard, l'alliance des trois empereurs, de Prusse, d'Autriche et de Russie (qui prévoit leur neutralité en cas d'attaque d'une quatrième puissance de la part de l'un d'entre eux) est renouvelée. En 1882 enfin, la Triplice avec l'Italie est signée (celle-ci est élargie à la Roumanie en 1883). Il cherche également à affirmer le rôle de l'Allemagne sur le plan international ("Weltpolitik"). C'est ainsi qu'en Chine par exemple, suite au meurtre de deux missionnaires allemands, les Allemands s'implantent au Chan-toung méridional en accordant leur protection aux missions qui y sont implantées. Sur la scène internationale la concurrence franco-allemande ne cesse de grandir et Guillaume II, appuyé en cela par l'Italie, n'hésite pas à faire un voyage à Jérusalem pour se voir confier la défense des catholiques, soit en Orient, soit en Extrême-Orient (mais par la circulaire "Aspera rerum conditio" du 22 mai 1888, le pape Léon XIII ordonne à tous les missionnaires, quelle que soit leur nationalité, de reconnaître tous les droits de la France; Pinon et de Marcillac, la Chine qui s'ouvre, 1900, pp. 104 et 119).

514.

Depuis le début du XIX° siècle, la Russie est très active aux marges de son empire. Entre 1830 et 1859, les Russes font la guerre contre les peuples montagnards du Caucase et annexent le Turkestan en 1864, ce qui a pour conséquence d'engendrer une rivalité avec l'Angleterre jusque 1885 (date du traité sur la frontière Nord de l'Afghanistan). Ils interviennent régulièrement dans les Balkans: en 1875-1878 (crise des Balkans), 1875-76 (guerre serbo-turque) et 1877-78 (conflit russo-turc se terminant par le traité de San Stefano qui agrandit les Etats balkaniques au détriment de la Turquie d'Europe),

Continuant ensuite sa poussée vers l'Extrême-Orient, la Chine quant à elle, se voit contrainte de leur céder le territoire de l'Amour et en 1860, la province côtière, ce qui permet la création de Vladivostok. En 1875, les Russes font l'acquisition de Sakhaline et des îles Kouriles au Japon. Enfin, entre 1883 et 1886, ils construisent le chemin de fer transcapien.

515.

En Angleterre, sous l'impulsion du ministère Disraeli (1874-1880), Victoria est déclarée impératrice des Indes (1877).

516.

Les années 1850-1900 sont les plus fécondes pour les grandes explorations et les missions par exemple. En 1900, en Afrique, seul le Sahara reste en grande partie inconnu.

517.

MAE Nantes; cartons roses n°5

518.

La Société de Géographie de Paris compte 300 membres en 1861 contre 2.000 en 1881; l'ensemble des sociétés françaises groupe 9.500 membres en 1881.

519.

Elle-même vulgarisée par des journaux aux tirages de plus en plus volumineux grâce à la mise au point de la rotative Marinoni en 1872 et la naissance des agences Havas (Paris) et Reuter (Londres) qui permettent à ceux-ci d'accompagner les reportages de clichés photos (à partir de 1890). En 1900 par exemple, le Daily Expres proclame "l'Empire britannique est notre foi", les Voyages extraordinaires de Jules Verne sont traduits dans toutes les langues, tout comme les œuvres de Kipling et Pierre Loti.

520.

Lacour-Gayet; Histoire du Commerce; tome 5: le commerce depuis le milieu du XIX°; 1952; 441 p; p.131.

521.

CCIL, CRT 1884, p.18.

522.

surtout agricoles

523.

50% ad valorem sur les objets manufacturés; HESM tome IV: le poids des taxes aux Etats-Unis est de 47% en moyenne en 1867 contre 60% en 1890, il faut attendre les tarifs Wilson de 1913 pour voir les taxes redescendre à 25%.

524.

tarif le plus protectionniste d'Europe.

525.

En 1897; ouvrage anglais dans lequel l'auteur insiste sur la montée en puissance de l'Allemagne et notamment de la flotte de ce pays.

526.

"L'ère des spéculateurs" ("Grundezeit") commencée en 1865 trouve alors son épilogue dans le krach boursier de Vienne du 5 mai 1873. En 1872, l'Allemagne abandonne l'étalon-argent et la France renonce au bimétallisme en 1876; M. Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, histoire de la Banque de l'Indochine 1875-1975, Fayard, 1990, 646 p, p.165.

527.

1880/83-1885/87, 1887/88-1889 et 1890/91-1893/95/96 avec krach sur la place de Paris en 1888-1891 provoqué par l'effondrement du Syndicat du cuivre entraînant la chute du Comptoir d'Escompte.

528.

Autre nouveauté de ce dernier tiers de siècle, la mondialisation des crises par le jeu des liens financiers internationaux.

529.

en 1888. L'extension coloniale italienne date des années 1880 avec Crispi: combats en Abyssinie de 1887 à 1890, occupation de Massaoua et création coloniale de l'Erythrée en 1885. En 1889, l'Abyssinie devient protectorat et la Somalie italienne est annexée.

530.

Pas de prohibition ni de contingentements par exemple. Y.P Paillard, Expansion occidentale et dépendance mondiale, A. Colin, Coll. U, 1994, 340 p.

531.

J.L Miège, Expansion européenne et décolonisation de 1870 à nos jours, PUF Nouvelle Clio, 1973, 414 p, pp. 151-153.

532.

"free trade". Reprenant J. Callagher et R. Robinson, Yvan Paillard parle pour sa part page 83, "d'impérialisme du libre-échange" qui est une forme "d'impérialisme informel" (terme par ailleurs utilisé dès 1861) dès la période 1820-1860. Plus loin, pages 160 et 180, il précise que les capitaux sont de nouveaux liens, des instruments de la domination informelle, que "plutôt que de rupture dans les processus de la domination, il vaut mieux parler d'accélération de ces processus, le principal changement résidant peut-être dans le fait que l'exacerbation des nationalismes leur donne une plus grande agressivité" et que "la colonisation bénéficie de cette sorte de complicité qui naît de la familiarité".

533.

révolte des Cipayes en 1857-58 et Nouvelle Zélande, 1860-1870.

534.

Constitution française en 1875 et Jules Grévy élu par des Chambres revenues Versailles à Paris en 1879.

535.

Selon Gueneau, le Gothard a fait beaucoup de tort à Lyon car il a déplacé l'antique axe commercial de l'Europe (route de l'étain par le couloir Saône-Rhône) vers l'Est. L. Gueneau, Lyon et le commerce de la soie, 1923, 266 p

536.

En 1872, la part européenne des exportations françaises est de 71,2%, celle de la Grande Bretagne, de 42%. B. Ricard, "Des consuls aux attachés commerciaux, la crise économique de 1882 et le Ministère des Affaires Etrangères", Revue d'Histoire diplomatique, 106e année, 1992 / 4, pp.343-369.

537.

Braudel et Labrousse, p.312.

538.

p.345.

539.

CCIL / CRT 1874, p.116.

540.

le pavillon précède la marchandise; Braudel et Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, Tome III 1789-1880, PUF. 1993 (1ere ed. 1976), 1089 p, p.332.

541.

Lacour-Gayet, Histoire du commerce Tome V, le commerce depuis le milieu du XIX° siècle, 1952, 441 p, pp.240-241.

542.

"En 1870, plus de 70% des consulats français se trouvent en Europe et 40% dans le seul bassin méditerranéen", B. Ricard, "Des consuls aux attachés commerciaux, la crise économique de 1882 et le Ministère des Affaires Etrangères". Gaston Cadoux en 1889, dans L'influence française à l'étranger, notre commerce d'exportation et nos consuls, s'attaque quant à lui à la question du recrutement.

543.

R. Girault, Diplomatie européenne et impérialismes, 1871-1914, Paris, 1979, 253 p, pp13 à 20; 1878-1880 pour l'épuration partielle de l'administration consulaire. Pour sa part, Bruno Ricard précise que l'invention des attachés commerciaux par l'Angleterre en 1883 a rapidement été imitée par les Allemands en 1895 (à Buenos Aires, Shanghai, Valparaiso et Yokohama) et que la période 1880-1900 est bien celle de la création des conseillers du commerce extérieur et des Chambres de Commerce françaises à l'étranger.

544.

Trois chambres de commerce existent déjà à ce moment là, à Montevidéo, la Nouvelle Orléans et Lima, la CCIL pour sa part propose Shanghai; CCIL / CRT 1883, p.218.