6.4. LE SECTEUR SERICICOLE CHINOIS

Dans un tel contexte, le secteur chinois de la soie prend un aspect stratégique certain. A la faveur des événements, et comme les secteurs textiles lainiers et cotonniers européens ou américains en leur temps, celui-ci a l'opportunité de devenir le moteur du développement chinois. Mais l'ampleur des progrès à accomplir et le contexte transforment ce colossal défi en pari. La mission lyonnaise de 1895 témoigne: "Les conséquences de cette guerre civile [les Taipings] se font encore sentir aujourd'hui. (…) A Tsen-i fou et dans ses environs, il y a actuellement un demi-million de familles qui tissent (...). On comptait autrefois, au dire des mandarins, à peu près dix métiers par famille. Ce nombre a diminué et n’est plus que de quatre ou cinq par famille". La production est trop morcelée 1063 , trop dispersée. Il faut donc à la fois améliorer la qualité des soies et accélérer la collecte tout en concentrant et modernisant l'appareil de production. De vigoureux efforts sont entrepris. Durant la Réforme des Cent jours, l'attention est portée sur les problèmes de l'exportation de soie chinoise. Il est proposé de créer un institut national de sériciculture et d'envoyer des étudiants en France et au Japon. L'idée d'établir une banque gouvernementale mi-publique, mi-privée avec l'aide des marchands et une compagnie mixte est même émise 1064 . Dans les collèges fondés par les Jésuites à Shanghai, par exemple, on dispense un apprentissage du filage et du tissage 1065 . En 1896, à Shanghai, the Nung-hsueh hui (Society for the Study of Agriculture) naît pour promouvoir l'amélioration de l'agriculture et publie, de 1897 à 1905, the Nung-hsueh pao, très bon journal orienté vers l'extérieur et analysant bien les problèmes 1066 . Les autorités locales participent elles aussi à l'élan comme Chang Chih-tung, gouverneur général du Liang-Kiang qui émet le désir en 1894-96, d'associer support officiel et capitaux des marchands locaux, ce qui débouche sur la création de la Su-ching Filature et de la Su-lun Cotton Mill 1067 . De son côté, après son premier échec de 1866, Ch’en Ch’i-yuan (Chan Kai-wen) était revenu à Canton et en 1881, 10 filatures modernes existaient avec 2.400 bassines dans la province du Kwangtong 1068 . Mais dans les années 1890, les efforts de modernisation concernent surtout Shanghai.

Dans cette dernière ville, un rapport consulaire français d'avril 1896 nous apprend que la première tentative de filature de la soie à Shanghai remonte à 1859 et qu'on la doit à Jardine Matheson & Cy. Malheureusement, celle-ci "disparut au bout de quelques années". En 1879, une seconde création est tentée par Russell & Cy sous la direction de Paul Brunat: la société Keichong Filature Association comprenant 200 bassines voit le jour. Trois ans plus tard, J. Matheson & Cy ouvre une seconde filature, puis c'est au tour de Iveson & Cy et, "après 1882", Gilmour & Cy, Bavier & Cie, Arnhold Karberg & Cy, Dyce & Cy, toutes reposant sur une association avec des commerçants chinois, les Européens s'occupant de l'exportation des produits 1069 . En 1891, la Keichong Filature frôle la faillite et devient une SA, "the Shanghai Silk Filature limited" (en chinois "Pao-Tchong") au capital composé par 2.000 actions de 100 taels dont seulement 1.619 souscrites. En reprenant à bail la filature de Iveson & Cy, les deux établissements totalisent 958 bassines et produisent 1.580 balles d'un picul. Ce rapport mentionne aussi la "sin-chong silk filature limited" de Ma-Kien-tchong dont le capital est tout de même de 140.000 taels avec M. Lintilhac & Cy comme agent et nous apprend également que A. Karberg & Cy pratique occasionnellement la vente d'armes et de matériel de guerre 1070 . Selon cette même source, il y aurait onze filatures de soie à Shanghai en 1896 dont cinq portant des noms chinois et comportant 200 bassines en moyenne et six à consonance anglaise ou européenne comptant quant à elles 513 bassines en moyenne. Les deux premières sont respectivement "The Shanghai silk filature limited" avec 958 bassines et celle de la maison Gilmour & Cy, concentrant apparemment 816 bassines sur deux établissements. Celle de la société Bavier, la E. Bavier & Cy silk filature Amoy Road n'arrivant qu'en septième position avec 252 bassines alors que le nombre moyen de ces instruments est de 371. Par rapport aux 6725 balles produites, cette dernière n'en assure que 420, soit 6 %. Alors que "six ou sept sont en cours de création" et que le consul prévoit pour le mois de juin de la même année une production de 8.000 piculs, il est à noter qu'aucune maison lyonnaise n'est présente, ni même représentée, dans le tableau. D'ailleurs, le consul lui-même remarque: "la France n'est pas fort intéressée au développement de cette industrie dont les premiers essais ne paraissent pas être sans avoir déjà porté préjudice à notre fabrique des Cévennes". Arnhold Karberg, agents, sont seulement mentionnés 1071 . Une liste, de 1901 1072 nous permet de mesurer la progression. Plus précise, celle-ci nous apprend qu'il y a 34 filatures dont huit "à direction européenne", le reste à direction chinoise, pour un total de 9.392 bassines, ce qui nous donne une moyenne de 276 instruments. La première, Lun-Rwa, à direction européenne, possède 800 bassines. On constate à nouveau que les filatures à direction européenne sont les plus importantes puisque la moyenne du nombre de bassines est de 462 contre 219 pour les établissements dirigés par des Chinois. Parmi ces derniers, un seul dépasse les 400 bassines et quatre seulement en ont un nombre compris entre 300 et 400. Les cinq premières filatures par le nombre d'ustensiles sont à direction européenne mais, mise à part celle de Lun-Rwa, il n'y en a que trois ayant plus de 500 bassines. A elles cinq, ces filatures concentrent tout de même 30 % des bassines de Shanghai. De son côté, L.M Li estime qu'il y a pour la même année, 23 à 28 filatures à Shanghai avec 7.800 bassines, soit 278 à 340 par filature et ce ne serait qu'entre 1908 et 1911, que leur nombre serait passé de 29 à 48, soit 13.738 bassins 1073 . Peu importent ces divergences, seul compte le fait qu'entre 1895 et la fin de la première décennie du XX° siècle, l'industrie chinoise de la soie cherche à se moderniser, du moins à Shanghai et dans les alentours. C'est ainsi que la première usine de tissage avec métiers Jacquard est montée à Hangzhou en 1905, qu'à Suzhou, "de 9 à 10.000 métiers travaillent dans les dix premières années du XX° siècle" 1074 . En 1909, à Hangzhou, 4.300 métiers produisent 200.000 balles. Gueneau, pour sa part, date de 1907 les premières usines pour produire des soies "tussah" de qualité mais sans localiser celles-ci 1075 .

Ce développement des filatures chinoises est provoqué en fait par celui des exportations. Celles-ci sont en effet multipliées par deux entre 1868 et 1900 1076 . Selon Pariset, Les exportations de Canton qui étaient de 1.000.000 kilo en moyenne entre 1875 et 1885 grimpent à 1.400.000 kilo en moyenne entre 1886 et 1894, les exportations totales de soie de ce port bondissant de 27.500 kilo en 1862 à 2.295.000 en 1898 1077 . Ces exportations dopent donc littéralement toute la filière, de la sériciculture du Jiangnan, du Kwangtung et du Shantung aux filatures de Shanghai et Canton. La Mission lyonnaise témoigne 1078 : "à part les soies, peu de marchandises sont adressées en France; elles le sont plutôt en Angleterre où se trouvent les marchés des produits de l'Extrême-Orient: c'est là que notre industrie est obligée d'aller s'approvisionner. L'Allemagne reçoit aussi une partie des exportations de Hong-Kong. (...) la soie filée et les tissus de soie représentent plus du tiers de la valeur des importations chinoises à Hong-Kong. C'est surtout Canton et Shanghai en seconde ligne qui lui envoient cet article. Les exportations de soie filée de Canton1079 n'ont pas sensiblement augmenté dans les dix dernières années. Mais cette industrie s'est modifiée par la construction de plusieurs filatures établies sur le modèle européen, quoique dirigées entièrement par des Chinois". Concernant les exportations de Shanghai vers la France, celle-ci se contente d'écrire: "plus de la moitié des soies grèges exportées de Shanghai sont à destination de la France, c'est-à-dire de Lyon", soit 32.862 balles sur 70.690, ce qui est faux, puisque, vérification faite, on ne trouve une part que de 46,5 %. Pour y voir un peu plus clair, on ne dispose que de deux listes statistiques d'exportations de balles par maisons pour la même année, 1907, mais comportant malheureusement d'énormes différences 1080 . Le dossier est très confus car il comprend des chiffres donnés à la fois par la L & C Telegraph, le Bollettino di Sericoltura, la Revue du Marché des Soies et Soieries et les statistiques douanières chinoises. Celui-ci est par conséquent extraordinairement difficile d'interprétation, voire inexploitable. Seuls les totaux sont sensiblement identiques: 69.584 balles exportées pour la première contre 67.575 pour la seconde 1081 . On y retrouve à chaque fois Bavier & Cie mais dans la première liste, cette maison exporte 5.453 balles contre 2.536 dans la seconde. Idem pour Pila & Cie qui expédie respectivement 650 et 1.627 balles. Une seule chose paraît donc certaine: ces deux maisons assurent bien des exportations de balles de soie en 1907 à partir de Shanghai. A part cela, on remarque des différences notoires comme la mention de Arnhold Karberg & Cie dans la première mais pas dans la seconde. Encore plus surprenant, si la première liste ne mentionne aucune maison japonaise, la seconde en énumère au moins quatre comme la Doshin Kaisha, la Kiito Gomer Kaisha ou la Mitsui Bussan Kaisha. Il n'est pas possible de déduire quoi que ce soit de tels documents, tout juste remarque-t-on la disparité des envois qui, dans les deux cas, s'échelonnent de moins de dix balles 1082 à plus de 6.000, voire 10.000 1083 . Le tableau des exportations cantonaises de balles de soie 1084 par maisons exportatrices à la même époque est beaucoup plus clair:

Le pourcentage total des maisons anglaises est de 39,3% suivies par les françaises avec 24,8% puis des suisses, avec 20,7%, des allemandes, 15,1% et des japonaises avec 0,1%. 74,6% des balles partent vers l'Europe. En 1911-1912, les maisons anglaises envoient 9.420 balles, les françaises 8.827, les allemandes 2.057, les suisses 964, soit respectivement les pourcentages suivants par rapport au total: 44,3%, 41,5%, 9,7% et 4,5%. Vers l'Europe, le pavillon français assure le transport de 9.211 balles, l'anglais 6.592 et l'allemand 5.465, soit 43,3, 31 et 25,7%. Par contre, à cette époque, le total des balles vers l'Europe n'est plus que de 21.268 et celui vers l'Amérique de 13.633, soit des progressions respectives de - 39,6% et + 19,4%. Enfin Albert & Wullschleger, maison française, succède à E. Pasquet & Cie et Siemssen & Cie ferme son comptoir de soie le 30 septembre 1911.

A la fin de la décennie, le bilan est peu flatteur. Certes, les exportations ont augmenté, mais pas dans des proportions suffisantes pour assurer le remboursement des emprunts et l'ensemble du secteur séricicole chinois n'a pas pris l'envol tant espéré. En 1902, les douanes maritimes signalent que les ateliers de tissage ne rassemblent la plupart du temps pas plus de quatre métiers. Selon une enquête japonaise, en 1904, à Hangzhou, il y a 300 métiers en ville et chaque chi-hu ne compte en moyenne que 2 ou 3 métiers 1085 . Avec le soutien de F. Kleinwatcher ("the custom commisionner") par exemple, Lin Ti-ch'en avait pourtant créé à Hangzhou une école de sériciculture avec instructeurs japonais qui fut un franc succès 1086 . Autre exemple, la Hushukwan Girl's Sericultural School (Hu-shu kuan nu-tzu hsueh-hsiao) fondée près de Suzhou en 1913, était très connue en Chine et recevait 35.000 yuan annuels du gouvernement provincial du Kiangsu 1087 . A propos de la sériciculture dans la province du Jiangxi, le consulat français de Canton rapporte qu'on fait venir des agriculteurs des autres provinces ("émigration agricole") auxquels on donne une parcelle par tête dont ils deviennent propriétaires "au bout de quelques années", puis que le gouverneur du Kouang-si envoie son secrétaire recruter un ingénieur et "trois ou quatre autres agents agricoles" en Belgique. Ceux-ci reviennent en septembre 1909 mais l'ingénieur en question, M. Devaux, repart peu après en Belgique pour se marier 1088 . Mais ces efforts sont trop isolés pour être efficaces. Il n'y a pas de plan de développement concerté de la sériciculture en Chine. R. Hart lui-même se désespère en 1890 devant le refus de développer le procédé Pasteur dans les campagnes chinoises et L.M Li reconnaît qu'au début du XX° siècle, on compte peu de réussite dans la sériciculture chinoise 1089 . Les filatures se heurtent à de multiples problèmes, le premier étant bien sûr leur coût de départ puisqu'en 1904, à Shanghai, 70.000 taels sont nécessaires pour en établir une, 40.000 pour la construction, 12.000 pour les machines à filer, 8.000 pour les machines à vapeur et 10.000 pour les équipements 1090 . Le problème suivant est celui de la qualité des approvisionnements en cocons auquel il faut ajouter les effets de "surchauffe" comme le rapporte le consul français en 1896. Cette année-là, les affaires ralentissent car, suite au développement "soudain" des filatures en 1895, les producteurs de cocons décident d'augmenter leurs prix. Les salaires augmentant eux aussi de 15 à 22 cents à 30 et 35 cents en trois ans, le coût de la soie produite est trop élevé 1091 . En 1898, un projet de règlement pour l'achat à l'intérieur et le transport des cocons de soie doit être établi suite à la menace "d'individus avides et mal intentionnés" de détruire les séchoirs. Il est prévu:1) l'obligation pour les fonctionnaires locaux de publier une proclamation établissant les droits des marchands étrangers, à savoir acheter librement des cocons, 2) l'établissement d'un transit libre, 3) la suppression des taxes aux différentes "barrières", 4) le paiement de celles-ci uniquement à l'arrivée, 5) l'adoption d'un mode de règlement des dommages 1092 . 1900 est encore une mauvaise année car les fournisseurs maintiennent des prix trop élevés. Une importante étude sur l'industrie et le commerce du port de Shanghai en 1900 rapporte que les événements politiques en Chine annulent l'espoir de ventes de soie importantes liées à l'Exposition de 1900 et signale que les cocons prennent la voie de Marseille mais sont en fait destinés à Milan 1093 . En fait, les filatures à vapeur chinoises sont trop éloignées du processus agricole. La filière qui se met en place manque de cohésion. En 1901, Pariset 1094 écrit: "Vingt filatures à l'européenne existent en 1896 dans les environs de Shanghai mais elles sont trop éloignées des provinces où l'on récolte des cocons, et elles payent la main-d'œuvre très cher. Leurs produits demeurent donc d'un prix trop élevé, quoique de qualité excellente. La Chine centrale n'entrera en lutte pour les soies fines, filées à l'européenne qu'avec des usines établies, comme à Canton, comme au Japon, au milieu des pays producteurs de cocons". Du coup, toutes les filatures sont en permanence au bord de la faillite. A Suzhou et Hangzhou, des grêves pour les salaires éclatent à partir de 1890 et jusque dans les années 1910 1095 . Une traduction d'un rapport du commissaire M.E.B Drew à Foutchéou datée du 15 mai 1906 rapporte 1096 : vers 1902, vingt "compagnies" 1097 sont lancées dont une anglo-chinoise et une école officielle spéciale de sériciculture. De 1902 à 1905, 12 millions de mûriers sont plantés, mais, au lieu des 250.000 FF de vente de soie attendus, il n'y en eu que le tiers d'obtenu. Seule la société anglo-chinoise survit. Les causes de l'échec sont simples: les œufs étant insuffisants sur place, on en faisait venir de Canton ou du Zhejiang et ceux-ci, dont une forte proportion étaient malades, éclosaient durant le transport 1098 . A Tchéfou, il est noté dans un rapport du vice-consul de France du 6 avril 1912 que ce port est le premier port exportateur de grèges sauvages et qu'il s'y trouve quarante filatures mais une seule à vapeur. Il est en outre précisé qu'en 1909 il y avait trois filatures à vapeur mais que deux ont cessé à cause de frais généraux excessifs et que finalement, sur 12.193 piculs exportés en 1911, seulement 1.586 étaient dévidés à la vapeur 1099 .

En 1909, une note du consulat de France à Canton 1100 signale la création d'une revue mensuelle par l'Ecole de sériciculture du Kouang-tong qui donne des traductions de traités japonais sur la sériciculture et la création d'une "Association étrangère de la soie" à Shanghai. On lit: "d'une manière générale il semble que l'industrie soyeuse dans la région de Canton soit en décadence. Les Européens acheteurs de soie se plaignent de la qualité inférieure des soies "filatures" et de la soie brute qu'ils trouvent sur le marché depuis un an et demi". Un communiqué du consulat français à Tianjin du 5 janvier 1911 intitulé "Nouvelles mœurs commerciales des Chinois" nous apprend que: "la probité des grandes maisons de commerce chinoises qui était proverbiale tend peu à peu à disparaître". Citant un mandarin, le consul rapporte que les principaux négociants indigènes "ne songent plus qu'à faire de fructueuses faillites (…) on est frappé de la désinvolture avec laquelle les Chinois tiennent aujourd'hui leurs engagements et exécutent leurs commandes (...) les négociants indigènes se font remettre des avances allant sur certains produits jusqu'à 85% de la valeur (...) en raison de la concurrence les trafiquants déloyaux trouvent toujours de nouveaux clients alors que les étrangers devraient se solidariser pour écarter de semblables fournisseurs, il n'y a qu'une procédure bien aléatoire: réclamer par l'intermédiaire des consuls, souvent divisés, l'intervention des mandarins". Par exemple, le coton est souvent mouillé jusqu'à 18% de son poids et le consul préconise la création d'une condition des cotons "sur le modèle de celle des soies" sinon l'exportation de coton sera prohibée comme en 1905 à Tcheng-kiang et le coton réservé aux usines chinoises, ce qui est prôné par les nationalistes et qui s'est déjà passé à Tcheng-kiang pour les usines du Zhejiang. En juillet 1911, la Cotton Anti-adulteration Association est donc créée sur l'initiative des négociants et filateurs anglais. Les profits liés à la soie semblent donc faire l'objet de réinvestissements stériles, leurs bénéficiaires, comme les marchands de Nan-shun par exemple, plaçant leur argent dans le sel, des officines de prêts sur gages ou des terres 1101 . Le rôle des étrangers paraît somme toute limité. Anglais et Japonais sont les plus présents, font les plus gros efforts En 1906, par exemple, les Japonais aident à la création de the Shanghai Silk Spinning Cy, une usine de traitement des déchets avec participation chinoise dont le président, Chu Pao-san est par ailleurs un des leaders du mouvement pour le "self-government" de Shanghai. Ceux-ci sont présents à Shanghai, Wusih, Hangzhou, Szechwan et en Mandchourie 1102 . Mais entre les uns et les autres, la confiance règne-t-elle ? La CCIL rapporte par exemple qu'en septembre 1908, une corporation des commerçants de soies de Canton a décidé d'envoyer un représentant en Europe en précisant que "leur création avait uniquement pour but de les soustraire (...) à l'arbitraire des acheteurs français et étrangers de ce port qui, pour opérer leurs achats ont été jusqu'ici par trop favorisés par l'ignorance des vendeurs" 1103 . L'industrie chinoise de la soie peine donc à se développer et les Lyonnais semblent particulièrement absents. Ceci nous amène à nous pencher d'un peu plus près sur la participation française à toutes ces initiatives.

Suite à la défaite chinoise face au Japon, la France a pourtant elle aussi reçu sa part de gâteau. En janvier 1896 en effet, après avoir obtenu la permission de prolonger la voie de chemin de fer franco-annamite en territoire chinois, la Chine lui accorde Dalian en territoire à bail et des privilèges commerciaux en Chine méridionale, région dont elle partage désormais la domination avec l'Angleterre. Elle se voit ainsi attribuer l'île de Hainan, la baie de Guangzhouwan où elle espère capter une partie du trafic de Canton 1104 et le droit de poursuivre la voie ferrée du Tonkin. La présence française est alors des plus limitées, que ce soit dans les administrations 1105 ou dans les transports. Quant au secteur bancaire, le seul établissement important est l'agence de la Banque de l'Indochine ouverte à Shanghai en juillet 1898 1106 et dont l'efficacité paraît des plus réduite puisque dans un rapport sur le mouvement commercial du port de Shanghai en 1898, on lit: "elle est enfermée dans ses statuts, elle lutte difficilement contre les autres banques locales. Les opérations les plus lucratives lui échappent et le secours et les facilités qu'elle offre à nos négociants et nos industriels sont des plus limités" 1107 . En fait, les Français se cantonnent plutôt dans la participation financière à des entreprises de chemin de fer et d'armement 1108 ainsi que le placement de capitaux dans le cadre de prêts à la Chine en partenariat avec d'autres puissances 1109 . En 1893, il n'y aurait que deux maisons françaises présentes à Canton, Chauvin Chevalier & Cie 1110 et MM. Pasquet et Tamet 1111 tandis qu'un seul Français, J. Chapsal des MM, assiste à la séance du 20 mai 1895 de la Chambre de Commerce de Shanghai. A ce moment, la faiblesse de la représentation française en Chine est manifeste.

Notes
1063.

Celle-ci peut être domestique ou organisée dans le cadre des "chi-hu", de petits ateliers avec quatre ou cinq métiers, vingt au maximum. L.M Li, p.55.

1064.

L.M Li, p.189.

1065.

Lynn Pan

1066.

L.M Li, p.189

1067.

L.M Li, p.169

1068.

L.M Li, p.164

1069.

AN F12 7058 pour toute cette partie.

1070.

Malheureusement sans plus de précisions.

1071.

Dans une lettre de 1901, il est noté qu'ils s'occupent d'une usine de mercure; au total, il y aurait donc 13 filatures à Shanghai.

1072.

MAE Nantes, Shanghai 24, Affaires diverses 1898-1900; liste rédigée dans une très belle écriture française par Kee Chong Filature C° Ltd

1073.

L.M Li, p.164

1074.

L.M Li, respectivement p.31 et p.123. A Hangzhou, s'agit-il de la première usine moderne de tissage, the Yi Chang, en 1905 avec métiers métalliques japonais dont L.M Li parle page 122 ? Il y a une ambiguïté…

1075.

L. Gueneau, Lyon et le commerce de la soie, 1923, 266 p, p.150.

1076.

Lilian M. Li, p.6

1077.

Pariset, p.364

1078.

p.182

1079.

La Mission remarque également que Canton est un gros port d'émigration, qu'entre 1893 et 1897, ce port exporte en moyenne 1.454.628 kilo de soie grège mais avec une augmentation entre 1893 et 1898, de 1.301.760 à 1.853.978 kilo, soit + 42%.

1080.

Le rapport est daté du 22 août 1907 et une des listes est datée du 25 avril 1907.

1081.

Soit une différence tout de même de 2.009 balles.

1082.

Pour Pollak frères dans la seconde liste.

1083.

Pour respectivement Carlowitz & Cie, dans la première liste, et la Kiito Gomer Kaisha, dans la seconde.

1084.

balles de 80 catties

1085.

L.M Li, p53

1086.

Celle-ci fut même réorganisée en 1909 par ses élèves qui étaient partis étudier à l'étranger. Ayant reçu 200.000 yuans annuels du gouvernement provincial, elle devint un centre de préparation scientifique des œufs.

1087.

L'enseignement y était libre et des pensions données aux étudiants dont beaucoup de ceux-ci par ailleurs devinrent des leaders de l'industrie de la soie. L.M Li, p.109.

1088.

"mais il envisage de revenir". MAE Paris NS Chine 579.

1089.

p.190

1090.

L.M Li, p.169.

1091.

MAE Paris, CCC Shanghai, tome 15.

1092.

MAE Nantes Shanghai 24 Affaires diverses.

1093.

MAE Paris, CCC Shanghai tome 16.

1094.

Pariset, Histoire de la Fabrique lyonnaise, Lyon, 1901, 430 p, p.365.

1095.

L.M Li, p.127.

1096.

MAE Paris NS Chine 578.

1097.

leur nature n'est pas précisée.

1098.

Le consul en profite pour dénoncer le "caractère indolent et apathique du peuple du Fou-kien".

1099.

MAE Paris, NS Chine 580.

1100.

MAE Paris NS Chine 579, février 1909.

1101.

L.M Li, p.131.

1102.

L. M Li, p.171.

1103.

CCIL Relations étrangères.

1104.

A propos de laquelle la Mission lyonnaise de 1895 précise que le commerce par jonques atteint 800.000 HK taels, soit 3 M FF, "dont 200.000 HKT d'importation de marchandises européennes".

1105.

En 1898, la France fait accepter un co-directeur des postes en Chine.

1106.

Echo de Chine du 21 mars 1905. Implantation en Chine qui marque le début de "la période la plus glorieuse (…) l'alliance de la diplomatie et de la finance se révèle d'une remarquable efficacité". M. Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, histoire de la Banque de l'Indochine 1875-1975, Fayard, 1990, 646 p, p.12.

1107.

MAE Paris CCC Shanghai tome 16.

1108.

AN F12 7058, Tableau des "entreprises, fournitures concédées à des maisons françaises par le gouvernement chinois depuis 1886 jusqu'en 1890".

1109.

En 1895 et 1898, par exemple, respectivement en compagnie de la Russie et de la Belgique, la banque Hottinger, le Comptoir National et le Crédit Lyonnais investissent dans les emprunts du gouvernements et la Société de Chemin de Fer en Chine.

1110.

"Marius Giraud & Cie" était devenue "Chauvin, Chevalier & Cie" en juillet 1893; MAE Nantes, Shanghai, série rose n°22.

1111.

CCIL / Relations étrangères, les Français à Shanghai, 1855-1942, rapport du consul de France à Canton.