Au début des années 1880, les achats de soie à Lyon sont supérieurs à 100 M FF selon M. Meuleau, soit 1.474 M FF actuels. Installé à Shanghai depuis 1860, le Comptoir d'Escompte ouvre des agences à Tien Tsin, Fou Tcheou et Hankéou en 1886 mais sa faillite de 1889 engendre la fermeture des agences de Fou Tchéou et Tien Tsin, ce qui fait dire à M. Meuleau 1204 : "les essais d'installation directe en Chine restent (...) l'exception et l'intérêt pour le Tonkin grandit". Depuis l'expédition de Garnier d'ailleurs, l'idée d'une pénétration en Chine par le Tonkin n'avait jamais été totalement abandonnée. Gambetta lui-même y songeait encore en 1872, juste un an avant la prise d'Hanoi, celle-ci motivant le conflit frontalier de 1883. Cette même année justement, Ennemond Morel faisait un discours dans lequel il signalait "l'impossibilité d'utiliser le Mékong comme voie de communication avec l'intérieur de la Chine" 1205 , précisant en outre qu'il ne croyait pas au développement des relations Yunnan-Haiphong: "cinq ans après l'ouverture du port de Haiphong on peut dire que le commerce du port n'a fait aucun progrès" 1206 . Néanmoins, à cette époque, on croit encore que la Haute-Birmanie possède des passages vers le Yunnan. Ce pays ayant signé des traités de commerce avec la France et l'Allemagne, des commerçants anglais font courir le bruit que ceux-ci contiendraient des clauses militaires secrètes et en novembre 1885, les Britanniques occupent Mandalay tandis qu'avec leur soutien, les Siamois occupent Luang Prabang. A l'occasion d'un grand débat qui a lieu en France en décembre à propos du maintien de la présence française au Tonkin et à Madagascar, les Chambres de Commerce de Paris et Lyon ainsi que les commerçants de Troyes s'opposent alors violemment à cette alternative 1207 . Petit à petit cependant, au fil des envois d'échantillons de soie indochinoise, l'opinion lyonnaise évolue. En 1887 par exemple, des essais de sériciculture au Tonkin à partir de vers importés de France se révèlent plutôt satisfaisants et une lettre de M. de Margry, directeur du musée commercial de Saigon sur les usages commerciaux dans cette ville relance l'attention lyonnaise. L'année suivante, M. Arnal, filateur français établi au Tonkin "depuis plusieurs années" envoie un échantillon de grège provenant de cocons de race française récoltés au Tonkin. L'opinion de la CCIL sur cette soie est fort bonne puisqu'elle la trouve semblable à celle des Cévennes. Une première souscription de 100 francs est alors versée à l'Association tonkinoise qui a pour but l'hospitalisation temporaire, avec repas gratuits, des militaires les plus malmenés après une opération coloniale. En 1889, l'année de l'Exposition qui est aussi celle des colonies, au Congrès colonial national à Paris, Ulysse Pila entre en scène en défendant le libre-échange en faveur de l'Indochine et deux ans plus tard, Lyon confirme ses intentions en se dotant d'un cours de législation coloniale. L'année d'après, le résident de Nam-Dinh remet un rapport sur l'industrie de la soie dans cette région de l'Indochine. Selon lui, le vêtement de soie représenterait un tiers de la garde-robe annamite, ce qui représente des débouchés pour la soierie lyonnaise. Un échantillon de soie en provenance du Tonkin est encore envoyé à la CCIL provenant sans doute de la filature de Pila et Bourgoin-Meiffre, première usine à vapeur à Hanoi avec matériel des chantiers de la Buire à Lyon 1208 .
En 1892, une conférence de M. Haas, consul de France à Hankéou devant la CCIL relance l'idée d'une mainmise sur le Tonkin. Pour lui, le Fleuve Rouge est une voie de pénétration, Haiphong peut devenir l'équivalent de Shanghai et il estime que le transit du Se-tchuen, du Yunnan, du Kuang-si, du Kouei-tcheou et su Hounan peut passer sous influence française. Il fustige "la mauvaise humeur du commerce anglais" qui "se rend très bien compte des avantages considérables que nous donne la voie de Laokai (...) reconnue par M. Happer directeur de la douane de Mongtzé qui, en 1889, signalait le danger en reconnaissant que la victoire pourrait rester à la France parce qu'elle a les clefs de la plus courte et de la moins onéreuse des voies de pénétration en Chine". Il affirme en outre que la voie de terre est la plus rapide et la moins chère, de plus "tout le Setchouen produit de la soie". Le CRT note que le consul se prononce contre le développement industriel de la Chine: "M. Haas ne pense pas que ce vaste empire adopte prochainement nos coutumes, nos chemins de fer et notre industrie: c'est fort heureux sinon nous serions gravement menacés, ne pouvant supporter la concurrence d'un pays producteur où la main-d'œuvre est presque nulle et où les richesses naturelles sont immenses". C'est suite à cette communication que le Syndicat des marchands de soie décide d'envoyer une mission dans le Setchouan avec l'appui de la CCIL qui de son côté projette de créer une chaire d'études coloniales à la Faculté de Lettres 1209 . Parce qu'il est déjà financièrement très engagé au Tonkin 1210 , Pila se dépense sans compter. Il organise l'exposition coloniale de Lyon en 1894 1211 et multiplie les déclarations du genre: "la supériorité de cette voie [Fleuve Rouge] ne fait plus de doute". Celui-ci est très habile orateur, sachant parfaitement jouer de l'amour-propre des Lyonnais 1212 comme de leurs sentiments patriotiques 1213 . Le jour de la réception de Lanessan 1214 à la CCIL, Pila par exemple, s'en prend à la ferme de l'opium ainsi qu'au pouvoir parisien et fait miroiter le potentiel mirifique du Tonkin: "son voisinage immédiat de l'empire le plus peuplé du monde offre à notre génie de civilisation, de commerce et d'industrie un champ bien vaste de travail (...) l'heure est solennelle; une résolution virile et immédiate s'impose (...) la place que nous avons conquise en Indochine et plus particulièrement au Tonkin, va devenir une situation stratégique de premier ordre (...) il faut par des voies de communication rapides nous rapprocher des portes de la Chine (...) Une deuxième voie ferrée de Hanoi à Lao-kay s'impose; elle permettra d'atteindre la porte du Yunnan en deux journées et une marchandise venant d'Europe, débarquant à Haiphong, pourrait atteindre Yunnan-Fou, la capitale commerciale du Yunnan en dix jours, alors qu'en transitant actuellement par le port de Shanghai, elle exige soixante jours et même plus (...). Par ces deux voies ferrées, le Tonkin pourrait devenir le maître du commerce ou du transit, au moins avec les provinces Ouest de la Chine, les plus riches de l'empire". En 1894, devant la CCIL, il encourage ses pairs: "les événements très graves qui se déroulent en ce moment même dans l'Extrême-Orient ajoutent encore à l'opportunité d'une telle entreprise car (...) il paraît certain que la Chine ne saurait se dérober bien longtemps à l'infiltration de l'influence des civilisations occidentales", ou bien encore: "les graves événements qui s'accomplissent en Extrême-Orient sont d'une portée économique incalculable. Nous ne pouvons pas assister à une pareille évolution de l'humanité sans chercher à en pénétrer la portée économique, à en mesurer les conséquences, à en retirer le plus de fruits possibles. Or, pas une ville en France, n'est préparée à en tirer parti aussi bien que Lyon". Dans une lettre du Ministre du 11 mai 1895, on lit cet extrait d'un discours de Pila à la CCIL, dans lequel par ailleurs il souligne que bon nombre des marchands chinois des régions à visiter sont chrétiens et que cela peut aider: "Shin-Tu (au Setchouen) est le vrai Lyon de la Chine" 1215 .
La mécanique est lancée et l'engouement devient collectif. Arrivé en Indochine en 1894, Lyautey lui-même déclare: "(...) le Tonkin c'est un affût d'où bondir les premiers sur notre part de l'immense fromage [la Chine] (…) on est venu ici avec Garnier, non pour y faire un établissement de peuplement et de simple exploitation (...) mais pour la pénétration commerciale de la Chine, pour être aux avant-postes dans le grand conflit de dislocation et de civilisation qui est suspendu sur l'Extrême-Orient". Suite à l'attribution à la France du Yunnan et du Guangzhouwan (Guangdong occidental), Doumer de son côté envisage très sérieusement une conquête et il envoie des troupes sur la frontière lors de la révolte des Boxers. A toute fin utile, il fait prolonger la ligne de chemin de fer du Tonkin. En 1895, dans son Dictionnaire de la Géographie commerciale, J.A Ganeval pense lui aussi passer par le Tonkin pour "court-circuiter" Hong-Kong et on lit, p.95: "l'ouverture de Louang-tchéou dans la province du Kouang-si au commerce franco-annamite portera un coup sérieux au port de Canton". En 1895, la CCIL a fait sien le discours de Pila. Elle rappelle que les Anglais, par le traité de Zhifu de 1878, ont obtenu la libre circulation des jonques sur le Yang-tsé ainsi que l'ouverture du port de Chongqing. Or cette ville se trouve au centre de quatre provinces "considérées comme les plus riches de l'empire chinois", le Szetchuen, le Hu-nan, le Guizhou et le Yunnan. Les CRT précisent: "nos missionnaires en ont fait leur siège le plus important d'évangélisation (…) Chengdu est la capitale de la province de Szetchuen (…). Le chef de la chrétienté y a sa résidence; l'évêque, M. Chouvelon, est un lyonnais", avant de rajouter: "On peut dire que le Sze-Tchuen a été le berceau de la sériciculture en Chine et ses fabriques de soieries sont renommées. La capitale, Chengdu, est le vrai Lyon de la Chine. Dans plusieurs grandes villes de la province et à Kiating il est peu de maisons qui n'aient un métier à tisser (…)" 1216 . La même année, la CCIL donne également 100 francs pour l'érection d'un monument à Francis Garnier sur une place de Paris 1217 et à la réception de M. Rousseau, gouverneur général d'Indochine, dans son discours, A. Isaac proclame: "nombre de nos compatriotes se sont montrés surpris de nous voir aussi chauds partisans de l'expansion coloniale, nous qui ne représentons pas une ville maritime (...). Nous sommes coloniaux par tradition (Lyon fut une colonie romaine) et par tempérament et si, parmi les conquêtes de notre pays, il en est une où nos yeux se portent le plus souvent et s'attachent le plus longtemps, c'est assurément notre domaine colonial asiatique. Nous sommes liés à l'Extrême-Orient par nos matières premières (...). La Chine a toujours exercé une sorte de fascination sur notre Chambre. Nous avons demandé au gouvernement de la République d'y favoriser des tentatives de pénétration pacifique et commerciale par le Sud-Est (...). Nous disons pacifique parce que nous sommes de ceux qui comptent le plus sur la puissance morale des nations. Cela a toujours été l'honneur de la France de se faire aimer des peuples au milieu desquels elle pénétrait; là où l'Angleterre s'est imposée par la crainte, le Français s'est souvent maintenu par l'amitié (...)".
A l'occasion de la réception à Lyon de Li-Hong-chang, ambassadeur extraordinaire de l'empereur de Chine, le 25 juillet 1896 Aynard prononce un discours enflammé: "Nous tirons de votre pays l'aliment de notre principale industrie et cette industrie elle-même est tellement ancienne en Chine, elle a précédé la notre de tant de siècles que nous devons respecter votre pays comme notre grand ancêtre dans l'art de la soie. C'est pourquoi nous pouvons parler de sympathie entre nous (...). Nous recherchons les moyens de développer de précieuses relations entre le Tonkin et la Chine parce que nous y voyons un gage de paix et d'amitié entre les deux pays". Ce à quoi, lucide, l'ambassadeur répond: "Il existe ainsi entre nous des liens qui iront en se resserrant entre votre ville et notre pays (...). Cependant il ne faut pas se leurrer sur les avantages que vous pouvez tirer du Yunnan et du Kouang-si: ces deux provinces qui sont très montagneuses ont été ruinées par les dernières révolutions et il faudra longtemps avant qu'elles retrouvent leur ancienne prospérité." En sa qualité de dernier survivant de l'expédition Lagrenée, N. Rondot est présenté à l'ambassadeur et Aynard fait remarquer que c'est un Lyonnais "qui le premier a visité la Chine dans un but commercial il y a plus de cinquante ans (...)" puis il poursuit: "Nos voisins les Anglais ont un proverbe qui est extrêmement simple; en commerçants pratiques, ils disent: "la chose essentielle dans la vie, c'est d'être en bons rapports avec le voisin de la porte d'à côté". Eh, bien, Excellence, vous êtes ce voisin: vous êtes ce voisin en Indochine et sur notre frontière du Tonkin. Le Tonkin est une terre française; partout où le drapeau tricolore est planté il ne sera jamais enlevé. Nous considérons que là où il est, il indique une partie intégrante du sol national." Les applaudissements fusent 1218 . Li Hong-chang visite ensuite les ateliers de tissage à la main d'étoffes façonnées de Chatel & Tassinari, l'usine de tissage mécanique Gindre et enfin l'usine de teinture Gillet & fils 1219 .
Selon Tche, Tse-sio 1220 , l'objectif de cette mission conçue comme une "conquête pacifique" 1221 mais impliquant Ministère du Commerce, Sociétés de Géographie 1222 et support logistique missionnaire, est de voir "dans quelle mesure il aurait été possible de dévier au profit de l'Indochine le grand courant d'échanges se dirigeant vers Shanghai". Cet objectif de départ a-t-il été au moins été atteint ? Selon elle, à terme, l'ouverture en Chine de toutes les rivières navigables et de douze nouveaux ports ou villes au commerce européen et à la navigation à vapeur, doit entraîner la suppression des douanes intérieures ou lijins mais il n'y est pas lancé de vibrant appel à se ruer sur ce pays. Son rapport sur le Tonkin est-il plus encourageant ? Il y est écrit que la consommation intérieure de soie absorbe la presque totalité de la production, soit 800.000 kilo, et "qu'à mesure que la richesse de l'indigène s'accroît, la production restant la même, l'exportation diminue". Depuis 1895, les soies grèges ou redévidées exportées à l'étranger y paient un droit de 100 francs les 100 kilo, et les bourres un droit de 15 FF les 100 kilo, conclusions: "L'industrie de la soie est encore primitive, et ce produit qui était considéré, et à juste titre, il y a quelques années, comme un produit d'avenir pour nos colonies d'Extrême-Orient, est en train de tomber graduellement au dernier rang. Il ne serait pourtant pas impossible de changer cet état de choses, en modifiant les procédés de fabrication, et partant, en améliorant le produit. La soie du Tonkin a actuellement peu de valeur, parce qu'elle est mal filée, irrégulière, très sale, indévidable, et qu'elle arrive la plupart du temps à Marseille avariée, moisie, l'emballage se faisant avant d'avoir obtenu une complète siccité. Ce ne sont pas là des vices irrémédiables. L'Annamite file mal, parce qu'on ne lui a jamais appris à filer autrement, mais l'ouvrière n'est pas rebelle aux perfectionnements. Qu'on lui apprenne à jeter ses cocons régulièrement (...) et avec sa souplesse de caractère, sa docilité, on en fera une ouvrière parfaite, très attentive, qualité primordiale, bien rare en général chez la fileuse française. (...) Il semble possible de diminuer peu à peu la dépendance dans laquelle l'Annam-Tonkin se trouve par rapport à Hong-Kong (...). Des relations directes doivent autant que possible être établies entre notre colonie d'Indochine, d'une part, et la Chine et les différents pays qui peuvent lui servir de débouchés, ou bien où elle peut s'approvisionner, d'autre part. (...) Le Chinois (...) nous paraît jouer un rôle indispensable (....). Mais si le Chinois est utile (et même nécessaire) (...) nous devons nous garder d'un danger possible: celui qui consisterait à laisser accaparer tout le commerce de l'Extrême-Orient par les Célestes (...)1223. [le Chinois] est un admirable instrument économique (...). Nous pensons que Saigon ou Haiphong pourraient remplacer, dans une certaine mesure (nous attirons l'attention sur ce correctif, Hong-kong étant beaucoup mieux placé que nos deux ports comme centre de distribution), Hong-Kong (...). En dehors de la compagnie des Messageries Maritimes qui a une ligne annexe de Saigon à Haiphong et une autre de Saigon à Singapour, et de la compagnie de navigation tonkinoise (MM. Marty et d'Abbadie), pour le service entre Haiphong et la Chine, notre pavillon n'est pas représenté dans les mers adjacentes à notre colonie d'Indochine".
Les auteurs notent la naissance d'une Chine industrielle avec des filatures à vapeur de soie ou de coton à Shanghai, en plus d'industries diverses comme les hauts-fourneaux de Han-yang et la manufacture de thé de Fou-tchéou ou l'ouverture de la Monnaie de Canton en 1889 mais, concernant plus spécifiquement le secteur séricicole chinois et son potentiel, tant au niveau de ses capacités de production de soie que d'absorption de soieries, on lit: "Le transport du Setchouan à Shanghai par balles de 120 kilo est très onéreux; les lijins sont aussi très nombreux; enfin la spéculation locale s'est emparée depuis quelque temps de ce produit et l'a considérablement renchéri. (...) Nous le répétons, il peut y avoir là pour la France les éléments d'une industrie très intéressante, qui lui procurerait un produit soyeux dont le coût serait sensiblement diminué par les premières manipulations en Chine. (...) Peut-être même au Setchouan pourrait-on aller jusqu'à tenter l'établissement d'une filature (...) Peut-on établir au Setchouan des filatures à l'européenne ? (...) Malheureusement, à l'heure où nous écrivons, le projet d'installer des filatures à l'européenne dans l'intérieur du pays serait entouré de difficultés insurmontables (...) [à cause de] une législation industrielle des plus incertaines, il faudrait supprimer l'hostilité systématique des mandarins (...) Si les commerçants chinois adoptaient les filatures à l'européenne, les corporations et associations (...) les groupes corporatifs des fileurs (...) se soulèveraient. (...) Comme nous insistions auprès des marchands de soie en leur citant l'exemple des filatures de Shanghai et de Canton, ceux-ci nous ont simplement répondu qu'ils ignoraient ce qui se faisait à Shanghai et Canton! (...) La guerre sino-japonaise a été soigneusement dissimulée aux populations. (...) Nous devions amener avec nous une filature modèle. (...) Malheureusement la crue du fleuve ayant été très forte en 1896, nos bateliers craignirent de ne pouvoir remonter le matériel jusqu'à Tchoung-king; et notre filature resta immobilisée à Shanghai (...) La production Nous formons un souhait en clôturant cet exposé: c'est que quelques-uns de nos compatriotes avisés et entreprenants consentent à faire comme nous un voyage en Chine. Cette pérégrination n'offre rien de dangereux à condition de se munir des passeports officiels indispensables. Que nos compatriotes aient soin de transporter avec eux une petite filature expérimentale et qu'ils séjournent quelque temps au Setchouan. (...) Est-il permis du moins de supposer, d'entrevoir même la possibilité d'introduire à l'intérieur de la Chine nos propres procédés, notre outillage perfectionné, nos méthodes scientifiques, nos métiers mécaniques à la Jacquard? Nous ne le croyons pas. (...) Nous ne devons pas l'oublier: l'industrie de la soierie en Chine est essentiellement familiale (...) Les groupements supérieurs à dix métiers sont excessivement rares (...) le Céleste est rebelle a priori au machinisme. Il repoussera longtemps encore comme il repousse aujourd'hui les métiers mécaniques dont il n'éprouve d'ailleurs aucun besoin. Jusqu'ici en effet l'intérêt ne lui paraît point (...) de produire des quantités plus considérables de tissus. (...) La Chine traverse depuis la guerre de 1895 une crise des plus graves. Elle semble ne plus pouvoir tourner le dos à l'Occident, et l'Occident est sur le point de la conquérir. Il convient que les industries de notre pays soient assurées dès maintenant de trouver dans ce vaste empire une place légitime et suffisante. Et pour le moment nous ne pouvons que former ce souhait, sans approfondir l'hypothèse de l'introduction du tissage mécanique dans l'intérieur de la Chine". soyeuse du Setchouan (...) se trouvera triplée et quadruplée lorsque les filatures à l'européenne seront installées (...) La soie obtenue pourra rivaliser avec les sortes moyennes d'Italie.
La Mission propose donc une très timide stratégie de pénétration par le Tonkin: "En attendant, peut-être l'industrie lyonnaise pourrait-elle tirer un meilleur parti de l'état de choses actuel, si la voie du Tonkin (la véritable voie d'accès en Chine par le Fleuve Rouge) offrait plus de facilité et de sécurité. (...) Nos teints en pièces, nos damas, nos teffetas façonnés et satins en grande largeur peuvent lutter avec les tissus chinois en raison de leur fini, de leur légèreté et de leur brillant. Au début l'humidité excessive du climat serait peut-être pour nos articles une cause de détérioration et, par suite, de dépréciation. Avec la pratique, les précautions convenables seraient prises pour ce genre d'expéditions, et la difficulté serait vite surmontée. Nous pensons qu'il y a, dans tous les cas, un essai à tenter, en procédant par de petits envois simultanés. Nous soumettons l'idée à ceux qui s'intéresseraient au développement de notre exportation de soieries. (…) L'industrie métropolitaine (que les auteurs espèrent voir trouver des débouchés dans cette partie du monde), de son côté, ne devra pas perdre de vue deux choses: 1°) que c'est le client qui fait le marché, qu'il faut consulter ses goûts ou ses habitudes pour la largeur, la longueur des étoffes, etc..., les marques et emballages; 2°) qu'elle a tout intérêt à prendre le contact le plus direct possible avec le consommateur, et à se renseigner elle-même sur place". Et de citer les chiffres des importations de tissus français en Indochine: en 1885, 474.000 francs contre 8.578.000 en 1895. "Le Yunnan ayant à peu près le même climat que la France, nous pensons que la race de ver à soie, dite du Var s'y acclimaterait très bien. (...) Un croisement avec nos races jaunes du Var donnearit aussi d'excellents résultats. Quelques graines de France, provenant de Buis-les-Baronnies (Drôme), que nous avions emportées avec nous et qui ont été élevées sous nos yeux à Tchen-lan-lin ont particulièrement réussi.". Selon cette mission, on peut espérer doubler ou tripler la production de soie du Tonkin. Le trafic naval sur le Tonkin atteint alors 1.348 jonques chinoises, 22 vapeurs allemands et 15 vapeurs français, quatre voiliers affrétés par le département de la Marine passent également à Saigon. Suite à ces rapports, doit-on attribuer à cette Mission l'origine d'une nouvelle dynamique française en Extrême-Orient ? Oui, mais suivant deux méthodes, l'une, très libérale et pragmatique, l'autre colonialiste et étatique. Ulysse Pila représente la première. Dans le numéro 13 de la revue Questions diplomatiques et coloniales, de septembre 1897, celui-ci écrit: "il serait puéril de nous dissimuler l'infériorité, pour ne pas dire la nullité de notre position commerciale en Chine (...) nous sommes représentés dans les mers de l'Extrême-Orient par un transit dérisoire (...). Les Anglais se sont rendus utiles, indispensables (...). Nous n'avons pas suivi cet exemple (...). Nous les [les Chinois] avons traités avec cette morgue hautaine que d'aucuns prennent pour de l'habileté et que les Asiatiques n'oublient jamais. C'est peut-être de la grande politique mais il est permis de penser que ce n'est pas le moyen de nouer des relations économiques. (…) "Fallait-il pénétrer en Chine pour "l'exploiter" au double sens du terme? Fallait-il se soucier seulement de la "perfectionner" par des injections consenties de techniciens et de capitaux ? On n'en a jamais tant discuté en France que dans les trois ou quatre années qui entourent 1900"1224. Pour sa part, Pila joue donc la carte de la coopération avec les Anglais et l'on ne saurait le condamner pour cela car eux aussi s'intéressent alors de près à cette région de l'Asie 1225 . Par exemple, dans une lettre du 8 juillet 1898 des autorités diplomatiques françaises en Chine, on lit que suite à la formation d'une "puissante compagnie anglaise pour l'exploitation de la Chine, il y a urgence à suivre cet exemple en France" 1226 . Pour sa part, Lyon choisit l'option du colonialisme étatique. En mars 1896, la CCIL alloue ainsi une subvention de 1.000 francs à une nouvelle association coloniale, le Comité Dupleix, et réceptionne des échantillons de soie cambodgienne envoyés par le vice-consul de France à Korat, au Siam. Le 1er mars 1897, la section commerciale de l'Ecole coloniale est mise sur pieds, la CCIL précisant que cette création "est de nature à favoriser le développement économique de nos possessions d'outre-mer en attirant à l'Ecole coloniale non pas seulement des candidats fonctionnaires mais encore de jeunes gens ayant l'intention de se livrer au commerce colonial ou à la colonisation directe".
p.181
CCIL fond SEP, compte-rendu de séance de l'année 1883-1884.
Selon J.F Klein, son avis est partial car il appartient aux orléanistes revanchards…
J. Meyer (ouvrage collectif), Histoire de la France coloniale, Tome I (des origines à 1914), A. Colin 1991, 846 p.
Gueneau, p.143. Pour HESM tome IV, p.544, l'apparition de l'industrie textile au Tonkin date de 1894. AN F12 7414 évoque un Eugène Meiffre, négociant, résidant à Bombay en octobre 1893 (ainsi qu'un "M. Gallois", fabricant de soieries à Berhampore, au Bengale, sans date précise).
La même année, la CCIL souscrit à concurrence de mille francs à l'Union coloniale française et à mille autres francs pour la fondation de l'Union française de Constantinople (qui regroupe toutes les maisons françaises présentes en Turquie).
Lire: Jean-François Klein Ulysse Pila, vice-roi de l'Indochine, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 1994, 160 p. En 1891, avec Philippe Germain, Cambefort, Louis Issac, la banque Veuve Morins-Pons et Testenoire, soit en tout 120 actionnaires et un capital de 500.000 francs, il a par exemple créé un syndicat lyonnais d'études pour l'Indochine dont le but est d'acclimater les cultures récentes d'exportation, notamment celle du pavot. Mais, à cette époque, les entreprises de Pila ne semblent pas couronnées de succès.
Après avoir siégé au Tribunal de Commerce de 1881 à 1886, il est élu à la CCIL en 1889 où il travaille à la commission des manufactures. Il est président de l'UMSL de 1892 à 1895 et membre du Conseil Supérieur des Colonies. En 1897, il dirige le Comité départemental du Rhône pour l'Exposition Universelle de Paris.
Notamment les sentiments "anti-parisiens". Par exemple, en 1895, dans un rapport sur les privilèges de l'Ecole coloniale de Paris devant la commission des intérêts publics de la CCIL, celui-ci demande l'ouverture d'un concours pour les postes dans l'Administration coloniale et la fin du privilège de préférence réservé aux élèves de l'Ecole coloniale de Paris. La CCIL projette alors d'adjoindre à l'Ecole de Commerce de Lyon une section d'enseignement colonial.
M. Laferrère, dans son ouvrage Lyon, ville industrielle, essai d'une géographie urbaine des techniques et des entreprises, n'hésite pas à parler, page 289, des "généralités proférées par Pila ne pouvant satisfaire le besoin d'informations plus exactes".
gouverneur général de l'Indochine de 1891 à 1894. Réception du 28 mai 1891.
MAE Nantes, Shanghai, cartons roses, 1895-1900.
CRT 1895, pp.302-305.
CCIL / CRT 1895
Conclusion de Aynard: "nous avons travaillé pour la patrie dont le cher et profond souvenir ne nous a pas quitté pendant nos deux années d'exil". cité par MAE Parsi, NS Chine 674.
Par la suite, Li Hong-chang "envoie plusieurs étudiants pour étudier l'agronomie séricicole et les questions relatives au tissage"; Tcheng Tse-sio, p.89.
p.81
Celle-ci se compose de deux directeurs dont M. E. Rocher qui a résidé trente ans en Chine, un médecin de marine, quatre délégués de Chambres de Commerce (C. Métral pour les soies et soieries, R. Antoine pour les soies, L. Sculfort pour le commerce général et les banques), cinq délégués des Chambres de Commerce participantes dont Lille pour les filatures de lin et les constructions mécaniques, Roubaix pour les laines et les lainages, Roanne pour les cotonnades et Marseille pour le commerce général, deux attachés à la mission. Le programme officiel est l'étude du marché chinois après le traité de Simonoseki du 17 avril 1895. En réalité, une certaine crainte anime également les intentions lyonnaises car dans un discours précédant le départ, Aynard proclame: "Nous ne savons si la race jaune est l'ennemie de la race blanche comme d'aucuns le prétendent. Mais si elle l'est réellement, il vaut mieux connaître son ennemi plutôt que de l'ignorer (...)". cité par MAE Paris, NS Chine 674.
Les "Notes commerciales sur Canton" de M.C Imbault-Huart, consul général de France à Canton, extraites du Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris ont été utilisées par les rapporteurs de la Mission et une collection d'articles européens vendus en Chine avait été présentée par M. Ramasse accrédité par le Ministère du Commerce à Lyon en 1895.
La Mission estime à 2.205.736, le nombre de Chinois dispersés en Asie (Straits Settlements, Iles de la Sonde, Siam, etc...).
Cité par J.F Klein pour la seconde partie.
J.F Klein, p.229, souligne leur immixtion au Yunnan par l'Anglo-french Yunnan Syndicate, groupement financier créé en 1898, et regroupant ceux étant intéressés par la mise en valeur de la région, ce qui est confirmé par une lettre consulaire du 5 août 1898 contenant le résumé de la mission de M. Bourne de la Chambre de Commerce de Balckburn et M. Sitton dans les mêmes régions que la mission lyonnaise de 1895. Pour eux, la province la plus intéressante est en effet celle du Setchouen dont l'accès par le "Yangtzekiang" est possible mais difficile: "C'est à cette région que les explorateurs anglais voudraient voir aboutir les voies ferrées de Birmanie. Quant aux provinces du Yunnan, du Kouitcheou et du Kouang-si, les explorateurs anglais estiment que leurs ressources très réelles ne pourront être utilisées qu'après l'établissement de chemin de fer et la constitution de grandes entreprises agricoles et industrielles par les Européens" (MAE Nantes, Shanghai cartons roses 1895-1900). Le succès anglais ne se dément pas puisqu'en en Birmanie par exemple, la British Burma Oil exploite des gisements de pétrole dès 1911 et les aciéries du Bengale exportent vers la Chine à partir de 1907. Par ailleurs, dans la correspondance consulaire française, les travaux anglo-saxons que l'on trouve sont très souvent excellents comme cette monographie de la Chine intitulée "Commercial China in 1899; area, population, production and commerce of the United States with China" de 180 p. dans MAE Paris, NS Chine 674.
Il s'agit de l'anglo-chinese limited. MAE Paris CPC 1897-1918 n°409, p.33.