7.4. LES EVOLUTIONS DU MARCHE DE LA SOIE

En 1894, N. Rondot dresse un bilan exhaustif du marché lyonnais des soies 1286 . A ce moment, il estime que la valeur du commerce de la soie et de ses dérivés en France atteint 400 M FF et que le volume des soies "mises à disposition de l'industrie" est de 12 à 13 millions de kilo 1287 . Il brosse un tableau flatteur, écrivant par exemple: "Ce marché de la soie (...) a tiré une autre partie de sa force d'un outillage à demi-industriel (...): service de navigation à vapeur, sociétés de crédit, magasins généraux, établissement de pesage, de conditionnement, de décreusage, de titrage, etc..." 1288 . Rondot constate le recul des prix de la soie alors qu'il n'y a pas de hausse de la production et que la consommation mondiale s'est maintenue et a même augmenté 1289 . Page 19, on lit: "Nous ne dirons rien du prix de la soie, quelle que soit l'importance d'un pareil sujet; la tenue du prix dépend de tant de circonstances, et souvent de tant de causes étrangères à l'industrie elle-même, que l'étude de ces mouvements nous entraînerait trop loin". Pour lui, les causes principales expliquant les variations de prix de la soie, sont les fluctuations de la production, l'influence de la mode, "l'état de la consommation générale", la baisse de l'argent et les variations du taux de change. Une seule chose est sûre: "les circonstances sont telles que le retour à l'ancien état des choses1290 sera lent et qu'il est incertain". Il note enfin la confirmation de l'industrie des déchets de soie française qui représente selon lui un capital de 35 M FF et dont les 130.000 broches assurent une production de 1,2 à 1,5 millions de kilo. En réalité, le marché mondial de la soie est bel et bien entré dans une phase de transition irréversible. Emmanuel Pellerey 1291 remarque que les quantités de soie produites dans le monde sont de plus en plus importantes mais que chaque année la récolte entière est achetée pour l'industrie et qu'il n'y a plus moyen de constituer des stocks pour les reconduire d'une saison sur l'autre. L'offre de soie est de plus en plus importante mais elle ne peut suivre la demande. Gueneau, note pour sa part 1292 "qu'en un siècle, les chiffres de la soie ont pour le moins quadruplé" mais que la consommation mondiale de soie qui était de 12,5 millions de kilo en 1890, est passée à 18,5 en 1900 pour atteindre 28 millions de kilo en 1912. La consommation américaine de soie notamment, à elle seule, est passée d'une moyenne de 0,7 millions de kilo par an entre 1875 et 1879 à 3,6 entre 1894 et 1898 et 10,1 entre 1909 et 1912 1293 . La tendance à la substitution est nette 1294 . Dès 1884, Lyon s'en rend compte et à propos de la grande variété des tissus qui rend les combinaisons multiples et autorise l'utilisation de matières de toutes provenances, on lit dans les CRT: "la production n'est plus tributaire de telle ou telle soie et peut facilement remplacer l'une par l'autre" 1295 . Alors que durant la période 1857-1866, 617.000 kilog. de bourre étaient importés à Lyon, 1.400.000 l'étaient en 1867-1876 et 5.979.000 en 1887-1896. En 1905 est votée la loi Morel 1296 pour protéger le tissage français des importations étrangères, notamment d'origine japonaise. Face à cette évolution, Bourgaud proclame encore en 1901: "le Levant, la Chine, voilà l'avenir" et Pariset, la même année, écrit: "Les marchands de soie, toujours actifs et audacieux, sont demeurés fidèles à leur mission de maintenir la place de Lyon largement approvisionnée (...) ils parviennent ainsi à devenir les pourvoyeurs non seulement de la Fabrique lyonnaise mais encore des fabriques étrangères" 1297 .

Ainsi le marche lyonnais reste-t-il fidèle à ses traditions. Si le fonctionnement de la Condition, par exemple, est officiellement régi par la loi du 21 août 1900, en cas de conflit, le recours au tribunal arbitral permanent de Lyon existe toujours. S'il n'y a pas d'arrangement à l'amiable possible, on s'adresse au Tribunal de Commerce, l'affaire étant alors renvoyée devant une Chambre du tribunal qui propose aux parties d'aller devant le Président d'une Chambre Syndicale, soit celle de la fabrique de soieries pour une contestation sur les tissus, soit celle des Marchands de soie pour une contestation sur de la soie 1298 . Le Syndicat des courtiers en soie apparaît en 1904 tandis que l'UMSL adopte enfin un "Tableau des renseignements officieux des pertes au décreusage des organsins et trames" pour régler les problèmes de surcharge des soies 1299 . Elément de la politique de soutien à la sériciculture française à partir du milieu du XIX° siècle, les importations de cocons et de soie ouvrée refluent. Elles n'entrent plus désormais que pour moins de 8% du total des importations. Entre 1907 et 1910, la moyenne des importations françaises de cocons est de 1.942.049 kilo dont 555.625 kilo consommés en France, 1.285.890 étant en simple transit dont 1.249.399 pour l'Italie. En ce qui concerne les grèges, la diversification des approvisionnements reste de mise avec une prépondérance asiatique puisqu'entre 1887 et 1894, l'Asie assure en moyenne 57,5% des arrivages, l'Italie 17,5% et la France 12%. Lyon continue de suivre de près les marchés asiatiques de la soie. En 1901, Pariset écrit par exemple 1300 : "l'importation des soies sauvages, sites "tussahs" a pris un grand développement à raison de leur prix infime. La moyenne pour les cinq dernières années, 1895 à 1900 a été de 780.000 kilo envoyés de Chine et 60.000 kilo envoyés du Bengale". La même année, le conseiller du commerce extérieur de France communique encore à l'UMSL qu’à Srinagar, dans le Kashmir, l’industrie de la soie, qui est le monopole du gouvernement de cette région, va être confiée à une société privée 1301 . La filière lyonnaise subit la concurrence dans sa partie amont également et a de plus en plus de mal à supporter la comparaison. Si les stocks de soie londoniens ont fondu entre 1860 et le début du XX° siècle, dégringolant de 65 à 70.000 à 7 à 8.000 balles 1302 , d'autres places plus jeunes, plus dynamiques, ont pris le relais comme le montre ce tableau des Conditions:

En vingt ans, la Condition de Zurich a connu une progression de + 146 %, celle de Crefeld de + 220 %, mais celle qui désormais supplante Lyon, c'est Milan. Comme Lyon, cette place a une double fonction de répartition et de consommation. Il y a deux conditions à Milan, une société anonyme et la Conditio Oriani. En 1894, N. Rondot, constate page 32: "Le marché des cocons secs, qui existait à Marseille, s'est déplacé et s'est reformé à Milan". Il note en outre que la sériciculture italienne s'est vite relevée des effets de la pébrine et que la production de soie est sous-évaluée. Selon S.B Clough 1303 , l'Italie qui exportait 2.600 tonnes de soie en 1861 en expédie 10.400 tonnes en 1906 dont une majeure partie vers la France, tandis que le nombre de métiers atteint en 1908 14.224 à bras et 2.642 métiers mécaniques 1304 . Pariset, pour sa part n'hésite pas à parler de la "prouesse des mouliniers italiens" qui, entre 1860 et 1870, à peu près, sont parvenus à améliorer la grossièreté des soies d'Asie. Tout en rapportant que les importations françaises de soies grèges italiennes n'ont jamais cessé d'augmenter 1305 , Pariset souligne que la part de l'Italie dans les soies conditionnées à Lyon de 1892 à 1898 est de 12% tandis qu'avant, elle était de 20 à 26%. Le 1er juin 1903, suite à un projet de type international de flottes de soie grège de la part de l'American Silk Association, c'est le titre italien, et non le titre lyonnais, qui devient le titre international 1306 . En 1907,la production italienne atteint les 57 millions de kilo de cocons frais pour 4,8 millions de kilo de grège. Entre 1868 et 1913, le nombre des filatures italiennes passe certes de 4.800 à 1.800 mais le nombre de bassines double, bondissant de 62.000 à 120.000.

L'évolution de la sériciculture italienne est exactement inverse à celle de son homologue française et si celle-ci se maintient encore quelque peu, c'est uniquement parce que, bien que la tendance soit à la standardisation de la matière première 1307 , les évolutions de la mode de haut de gamme lui sont encore favorables. Seules quelques solides maisons connaissent encore une certaine prospérité. Armandy par exemple, s'est spécialisée dans l’approvisionnement des passementiers, des fabricants de soie à coudre et des tisseurs de Picardie. La société est restée familiale, fils et gendres travaillant ensemble. Agé de 25 ans, David, à la fois négociant et président de la chambre syndicale des négociants en soie, est envoyé à Paris pour y créer une maison de vente de soie. Le second fils Gratien est quant à lui rapporteur désigné par la corporation des marchands de soie à l’Exposition internationale de Lyon en 1894. Le gouvernement lui décerne la Légion d’Honneur et il est envoyé à son tour dans cette même ville pour y créer, lui aussi, une maison de vente avec l’aide de son beau-frère, Léon Cotte. Léon Armandy enfin se retrouve à la tête d'une troisième succursale créée cette fois-ci à St Etienne. Ce n'est plus qu'à l'abri de barrières protectionnistes que survit la sériciculture française et les débats sur les droits de douane sont loin d'être terminés.En 1895, le syndicat du commerce des soies de Marseille se prononce contre le projet de suppression de prime à la filature de cocons étrangers car, selon lui, une telle suppression détournerait les cocons étrangers vers Milan 1308 . En 1897, la bagarre pour ou contre les droits de douane sur les soies étrangères reprend de plus belle. En 1900, la CCIL accorde 3.000 francs de subventions à l'Union des filateurs et mouliniers français mais la crise du phylloxéra étant résorbée, de plus en plus de paysans arrachent leurs mûriers pour planter de la vigne et se lancer dans la production de fleurs et de fruitiers 1309 . Pariset et Gueneau 1310 constatent que la prime de 1892 aux filateurs contre l'engagement de moderniser leurs usines est restée sans effet. Les droits sur les importations de filés de coton posent eux aussi problème puisqu'en France, ils doivent s'acquitter d'un droit d'entrée s'élevant jusqu'à 200 francs 1311 alors qu'en Allemagne, ils ne paient que 15 à 45 francs les 100 kilo. Pareillement, les fils de déchets de soie "arrivent librement en Allemagne" alors qu'à leur entrée en France, ils supportent des droits qui varient de 75 à 120 francs les 100 kilo. Les tiraillements entre marchands et mouliniers continuent. Ainsi, en 1901, tout comme en 1898, ces derniers réclament le passage des soies tant à l'arrivée qu'au départ des moulins via la Condition, car une telle mesure est rarement prise et ils imputent aux fabricants des déprédations au cours du stockage 1312 . "Les tableaux de la Condition des soies attestent la diminution de l'emploi des grèges moulinées et l'augmentation de l'emploi des grèges non moulinées. Vainement, les mouliniers (...) diminuent le coût de l'ouvraison en augmentant la production des moulins et en sacrifiant une partie de leur main-d'œuvre. Ils ne parviennent pas à conjurer la fréquence des chômages qui sont ruineux. Ils veulent du moins monopoliser le marché national, et demandent au gouvernement de fermer la frontière aux grèges moulinées étrangères, par un droit de 12 francs par kilo. Ayant échoué, ils poursuivent, d'accord avec les filateurs et les magnaniers, la campagne protectionniste commencée" 1313 . En 1902, mais seulement à titre d'essai pendant un an, la soie artificielle bénéficie quant à elle d'un droit d'admission temporaire au profit des teinturiers traitant cette matière. En 1905 est votée la loi Morel imposant un droit de 900 FF sur 100 kilo de tissus japonais, considéré comme une matière première, pour protéger le tissage français.

L'interventionnisme lyonnais ne ralentit pas pour autant et à partir de 1889, l'attention de la CCIL se porte vers Madagascar. A cette date, celle-ci réceptionne en effet des soies, de qualité moyenne, envoyées par M. Iribe, Français ayant une manufacture dans cette île, via le Ministère du Commerce 1314 . Elle reçoit à nouveau des échantillons de cette provenance en 1896 composés de cocons sauvages cette fois-ci, et envoyés par le directeur de cabinet du Résident Général à Tananarive. En 1905, Pellerey écrit 1315 : "Après l'Indochine, c'est à Madagascar que semble vouloir apparaître le plus bel avenir séricicole." Celui-ci rapporte 1316 qu'en 1898, un contrat entre le gouverneur général de Madagascar et un colon, M. Salomon, a été signé pour la création d'une école privée de sériciculture et celle, par l'école professionnelle de Tananarive, d'une mûraie de quatre hectares. Il cite Gallieni 1317 : "J'ai la conviction que (...) la région centrale de Madagascar contribuera dans quelques années à l'alimentation en soie de l'industrie métropolitaine". Et Pellerey de rajouter: "Avec l'Indochine, Madagascar sera un jour le salut de notre industrie de la soie" 1318 . Les premiers essais séricicoles sont réalisés en Tunisie en 1892, puis 1894 et 1897, tandis que La Réunion continue de faire l'objet d'un suivi séricicole en 1909. Finalement, c'est dans les Proche et Moyen Orients que, profitant de la bienveillance russe 1319 et parce que le potentiel est réel, les Lyonnais font plutôt porter leurs efforts.Vers la fin du siècle, on estime en effet qu'il y a en Anatolie par exemple 44 filatures à l’européenne représentant 2.400 bassines 1320 . A l’intérieur de l’Asie mineure, 40 filatures représentant 2.050 bassines fonctionnent et en 1894, en Syrie, se trouvent 126 filatures dont 8 françaises et un total de 7.638 bassines 1321 . Dans cette dernière région, au début du XX° siècle, ce sont plus de 150 filatures disposant de 9.000 bassines qui préparent les soies. Parmi celles-ci, les 9 plus grandes totalisent à elles seules 892 bassines et appartiennent aux Français Cambassèdès, Malpertuy, Mourgue d’Algue fils, Prosper Portalis, Palluat et Testenoire 1322 . D’autres filatures, sans appartenir à des Français, bénéficient du soutien financier de certains d'entre eux, parmi lesquels Chabrières Morel & Cie, Peillon et Mérieux, Terrail et Payen, Pirjantz & Cie 1323 . Début 1900, M. Lacomme, qui fut vice-consul de France à Brousse, fonde un établissement de grainage appelé "la Société française pour l'exploitation des graines de vers à soie de Brousse". En 1903, des troubles en Syrie provoquent l'inquiétude des Lyonnais 1324 et cinq ans plus tard Ennemond Morel, suite à son voyage en Turquie, en Perse, dans le Caucase et au Turkestan, fait un rapport des plus complets 1325 . A l'en croire, la position commerciale des Lyonnais y est alors encore prépondérante: "par le fait de notre commerce des soies et cocons nous tenons le deuxième rang à l'exportation des produits de Turquie". En effet, l'Angleterre n'achète que pour 7.119.000 livres turques 1326 de soie et dérivés, la France pour 4.443.000 et l'Allemagne 2.900.000 livres seulement. A cette époque, le crédit du Crédit Lyonnais en Perse est tel que ses traites sont très recherchées et servent de monnaie 1327 . E. Morel souligne que le chemin de fer transcapien vient d'être ouvert, rendant possible les exportations vers l'Europe et il précise: "Au siècle dans lequel nous vivons, tous les débouchés sont encombrés: l'intensité de la production dans les pays industriels, la création d'industries dans les pays qui n'en avaient pas encore, les encombreront de plus en plus. Nos producteurs seront donc forcés de porter leurs regards au loin et d'étendre leur rayon d'affaires au-delà des pays déjà exploités". Faisant habilement vibrer la fibre patriotique il encourage alors les marchands français en disant qu'au Turkestan, "l'Anglais (...) s'y sent suspect et mal à l'aise. Le Français au contraire y et bien reçu" 1328 . Enfin, il suggère de faire vite car en Perse les douanes sont entre les mains des Belges, l'influence de la Russie se fait nettement sentir au Nord et celle de l'Angleterre au Sud tandis que, s'appuyant sur le chemin de fer de Bagdad, les Allemands sont en train d'accentuer leur pénétration sur ce territoire où, pour un montant de 10.000.000 de francs, les exportations de cocons sont encore entre les mains des Lyonnais.

A la veille de la Première Guerre Mondiale, le marché lyonnais de la soie n'est déjà plus que l'ombre de lui-même. En 1900-1910, Milan reçoit 36.000 balles asiatiques, 2.700 du Levant et 64.000 de soies européennes, surtout italiennes 1329 . Suite aux représailles douanières italiennes contre les importations françaises de cocons et grèges de Turquie, "un assez grand nombre des plus importantes maisons lyonnaises font filer en Italie des cocons de provenance turque ou font mouliner dans des établissements italiens des soies grèges de Brousse et de Syrie qui, dans la plupart des cas, sont destinées à la ré-exportation" 1330 . En 1907, on apprend que "chaque année la Chambre dote la Caisse de Secours des Marchands de soie et Fabricants de soieries d'une subvention de 25.000 FF qui est inscrite au budget annuel de la Condition" 1331 et qu'à partir de 1905, les secours qui étaient réservés aux fabricants et marchands sont désormais accordés aux courtiers en soie, ce qui entraîne une subvention supplémentaire de 5.000 francs. En 1912, la société contre le piquage d'once demande 10.000 francs de subvention qui lui sont accordés tandis qu'à la Faculté des Sciences une chaire de sériciculture appliquée est créée. L'année suivante, un comité France-Italie voit le jour. Les séricicultures d'Europe orientale ainsi que du Proche et du Moyen Orient continuent néanmoins de progresser 1332 . Au total, entre 1870 et 1912, leur production sera passée de 700.000 à 3 millions de kilo. Transactions et exportations se font via les ports de Salonique, Andrinople et le Pirée, ainsi que les marchés de Brousse, Smyrne, Beyrouth, Tripoli, Noukha et Koutais pour le Caucase, Rescht dans la province du Ghilan pour la Perse, Boukhara et Kachghar pour le Turkestan russe ou chinois. A elle seule, la production de la Turquie d'Europe et d'Asie est de 17 millions de kilo en 1912 avec des filatures modernes à Brousse et Guevguili. La sériciculture française quant à elle n'en finit plus de sombrer, des essais de sériciculture sont même effectués en Normandie à partir de graines chinoises 1333 . En 1911 éclate un procès qui fait grand bruit, le procès des mouliniers de Privas. Gueneau témoigne: "La fabrique lyonnaise accusa de vol et poursuivit 28 mouliniers de la région de Privas, qui avaient gardé les excédents de leurs ouvraisons. Mais le tribunal correctionnel et la Cour d'appel donnèrent raison aux ouvreurs et leur conservèrent la possession des excédents (...). Avec la concours de la fabrique, des projets de codification ont été établis, mais il a été difficile de concilier des intérêts si contraires et d'apporter un peu de clarté dans ces discussions confuses. La question est encore à l'étude". Dans un dossier de la CCIL de 1911 sur "L'affaire des mouliniers de l'Ardèche, de la Drôme et de la Loire devant le Tribunal de Lyon", il est rapporté qu'à l'occasion des plaidoiries, les avocats des mouliniers rappellent le refrain d'une chanson de 1830: "Ah! Quel beau métier que celui de la soie, On y vole, on y vole, Ah! Quel beau métier que celui de la soie, Car chacun y trouve son poids!" 1334 . Entre 1850 et 1913, date à laquelle les primes à la filature existent toujours, le nombre des filatures françaises a chuté de 72,3%.

De son côté, la maison Armandy maintient le cap vaille que vaille. Si elle est présente à Chicago en 1893 1335 , en 1912, elle fonde l’établissement du Setificio Castello Ticino, un des plus modernes d’Italie avec 26.000 broches, 80.000 kilo de soie traités ainsi qu'un autre centre de production de soie, à San Colombano, dans le Piémont avec 120 bassins 1336 . Elle reste cependant fidèle au paternalisme et c'est ainsi qu'en 1895, à Taulignan, une caisse de secours exclusivement alimentée par les patrons pour les nécessiteux et les malades est créée avec environ 15.000 francs. En 1898, un cours d’adultes de couture et écoles ménagères est créé à son tour puis en 1900 le logement devient gratuit pour les ménages les plus anciens et les plus méritants avec chauffage, éclairage et soins médicaux gratuits. En 1910 des primes sont accordées aux femmes mariées ainsi que 50 francs à la naissance de chaque enfant. Au total, ce sont 8 à 10.000 francs annuels qui sont consacrés au personnel du groupe de Taulignan. Un économat existe désormais par usine mais "rien n’est livré sans que la directrice se soit assurée de l’absolue nécessité de l’objet demandé". L’éducation est confiée à des institutrices brevetées: "des cours d’une heure par jour ont permis à ces jeunes filles d’apprendre ou d’obtenir des notions sur l’économie domestique, ainsi que des leçons d’instruction et de bonne éducation. Elles sont initiées aux travaux de blanchissage, de raccommodage, de couture et à toutes les connaissances nécessaires à la bonne tenue d’une maison. Une bibliothèque leur est ouverte durant les récréations et les jours de travail suspendus. Il y a également des cours de chant et de théâtre dans chaque établissement, afin de développer les aptitudes des enfants et d’occuper plus agréablement leurs loisirs". Dans les établissements du Pont du Lez et de Faujas St Fond, il y a une école ménagère ainsi que des travaux à l’aiguille : "Ce fut là, une façon ingénieuse de former ces jeunes filles à la vie, et à devenir de bonnes épouses. (…) Ces jeunes élèves cuisinières étaient aussi initiées à tout ce qui touche l’entretien d’une maison. (…) La direction spirituelle était confiée à un aumônier nommé par Mgr l’évêque de Valence. (…) Des cours de morale, de politesse, et de lecture instructive sont dispensés dans le but de former le cœur, l’intelligence de la jeunesse et de leur inspirer l'amour du devoir. (…) La stabilité de la part du personnel témoigne de la sympathie qui existait entre les chefs, leurs collaborateurs et les employés". Croizat, précise, page 87: "D’après certaines personnes, dans les greniers de l’usine du Pont, on aurait enfermées les orphelines ayant eu un mauvais comportement. Sur les murs du grenier sont encore inscrits ces quelques messages (…) : Dans cette profession de malheur, où l’on brise nos vies nous languissons de partir pour avoir le bonheur. Adieu souvenir inoubliable. Je languis de partir de cette maison maudite où l’on meurt de chagrin, loin de tous ceux que l’on aime. Souvenir du 20 juin 1910 jour de souffrance. Vive la gare de Lyon et ses petits amoureux. Je languis de partir du Pont. Dieu que l’exil est long au Pont, encore 32 mois, 1914. 14 jours, je languis de partir de cette maison pour aller voir mon bien aimé, que c’est long, 1914".

Notes
1286.

N. Rondot, L'industrie de la soie en France, Lyon, impr. Mougin-Rusand, 1894, 147 p.

1287.

moyenne 1889-1892

1288.

p.21.

1289.

Au total, le recul des prix aura été de 45% en 15 ans à partir de 1874.

1290.

C'est-à-dire la hausse des prix.

1291.

p.15

1292.

p.59

1293.

Li Jin-Mieung

1294.

De son côté, la consommation de coton qui représentait 4% du textile employé dans le monde en 1815, en représente 74% en 1900. G. Lefranc, Histoire du Commerce, 1972, p.95.

1295.

CCIL / CRT 1884, p.19.

1296.

Droit de 900 FF sur les 100 kilo de tissus japonais, considéré alors comme une matière première.

1297.

Respectivement A.M Bourgaud, Lyon et le commerce des soies avec le Levant, Lyon, 1901, 63 p, p.9 et Pariset, Histoire de la Fabrique lyonnaise, Lyon, 1901, 430 p, p.371.

1298.

CCIL 1901, p.123

1299.

Fonds "Condition des soies ", CCIL, février 1904, lettre de l'UMSL au président de la CCIL. Les taux de perte au décreusage sont fixés et servent de base pour le règlement des contentieux.

1300.

p.363

1301.

CCIL / CRT 1901, p.121.

1302.

Gueneau, p.212.

1303.

S.B Clough, The economic history of modern Italy , Columbia University Press, 1964, 458 p.

1304.

N. Rondot: "le matériel italien peu à peu transformé et perfectionné, était devenu tout à fait le notre au XVIII° siècle; les Italiens se l'approprièrent à leur tour".

1305.

111.000 kilo de 1866 à 1868, 360.000 de 1869 à 1877, 702.000 en 1880, 856.000 en 1883, 990.000 en 1887.

1306.

Avec ces unités: 450 m et 0,05 gramme; Gueneau, p.177.

1307.

Pariset, p.385: "peu importe sa qualité [la soie]: elle ne peut être acceptée par la consommation que si elle est d'un prix peu élevé (...) il n'y a d'ailleurs plus besoin d'une soie d'une origine spéciale".

1308.

CCIMP, sériciculture et industrie de la soie, avril 1895. La prime est finalement renouvelée en 1898 mais le débat existe toujours en 1907.

1309.

Suite à la crise de sur-production de 1907, la poussée des vergers est encore renforcée, notamment dans l'Aude et l'Hérault où les vignerons provoquent des émeutes auxquelles se joint le 17e de ligne mutiné.

1310.

Respectivement p.358 et p.110.

1311.

Cette charge représente 10 à 23% des prix. Pariset, p.391.

1312.

Lettre du Ministre au président de la CCIL le 14 octobre 1901.

1313.

Pariset, 1901, p.369.

1314.

CCIL 1889, p.63.

1315.

p.46

1316.

p.48

1317.

p.58

1318.

Une variété de soie de Madagascar est produite par une araignée, l'épeire diadème, qui fit l'objet elle aussi d'une tentative d'élevage à la fin du XIX° siècle.

1319.

A.M Bourgaud, 1901, à propos du développement de la sériciculture dans l'empire ottoman: "en même temps l'alliance russe nous facilitait la pénétration des régions du Moyen-Orient".

1320.

à Brousse et ses environs.

1321.

Croizat, p.96.

1322.

Ces deux dernières maisons sont également les premières à avoir installé au Liban les premières filatures à vapeur vers le milieu du XIX° siècle.

1323.

A.M Bourgaud, pp.26 à 38.

1324.

CCIL 1903

1325.

CRT 1909, pp.324-341.

1326.

1 livre turque = 23 francs.

1327.

Hubert Bonin, La banque et les banquiers en France du Moyen-Age à nos jours, Larousse Histoire, p.152.

1328.

p.412 du rapport. Dans une deuxième partie de son rapport, pp.400-413, E. Morel rappelle que la sériciculture du Turkestan a été ravagée par la pébrine de 1870 à 1881 mais qu'en 1885, une station séricicole à été créée à Taschkent et que d'autres ont été créées par la suite. L'ouverture du chemin de fer transcapien, dans le dernier tiers du XIX° siècle, permet surtout d'exporter vers l'Europe plus commodément.

1329.

Gueneau, p.211

1330.

CCIL 1911

1331.

CCIL / CRT 1907; mais depuis quand existe-t-elle ?

1332.

Gueneau, p.127 et suivantes.

1333.

CCIL / CRT 1908.

1334.

CCIL "Condition des soies" 1911.

1335.

mais hors concours.

1336.

Croizat, p.32. Tous les renseignements de cette partie sur les Armandy sont extraits de Croizat, La vie devant Soie, imp. St James à Montélimar, 1998, 128 p.