Confrontés à une situation périlleuse, les responsables de la CCIL prennent néanmoins conscience de l'importance des questions logistiques. Dans le cas de la soie, sous l'Ancien Régime, le faible volume et la forte valeur de la marchandise posaient plutôt un problème de sécurité et imposaient des approvisionnements au plus près. Avec la nécessité d'aller plus loin pour s'en procurer, la régularité et la rapidité des transports importent peu du moment que les modes évoluent lentement et que la clientèle est suffisamment fortunée pour supporter les éventuels sur-coûts. C'est la situation de la première moitié du XIX° siècle. A partir du milieu du XIX° siècle, la pébrine, le système du paiement par traites, la recherche des coûts de production finaux et l'accélération des rotations de la mode imposent des "flux tendus" qui remettent à l'ordre du jour la régularité, la sécurité et la fréquence des moyens de transport: il faut alors des ports adéquats, éviter les ruptures de charge, augmenter les volumes pour faire des économies d'échelle ainsi que le nombre des rotations, ce qui suppose d'importants échanges en volume entre les marchés producteurs et les acheteurs. Or, ni Lyon, ni Marseille n'ont beaucoup à vendre à la Chine alors que Lyon a besoin de beaucoup de soie. Marseille se tourne peu à peu vers les colonies qui sont autant de débouchés pour ses industries mais l'armement n'est pas le même pour le commerce vers la Chine et celui vers l'Algérie 1424 , et le commerce de la France avec sa colonie d'Indochine est trop limité pour engendrer des flux d'échanges suffisants avec l'Extrême-Orient Les 23% de gain de temps entre les deux extrémités du continent euro-asiatiques grâce à Suez deviennent ainsi un peu vains. Au 1er juillet 1870, la compagnie des MM assure deux départs par mois quinzaine par quinzaine le dimanche matin mais le gros handicap, c'est l'absence de fret de retour pour les lignes régulières à partir d'un port français, ce qui entraîne une surtaxe de pavillon de 2 francs pour 100 kilo appliquées au port de Marseille sur les soies de Chine et du Japon. Le fret de Canton à Lyon coûte ainsi 34,50 francs par balle de 80 catties, 45 francs de Shanghai à Lyon et 63,25 francs de Yokohama à Lyon 1425 . En 1873, une guerre des tarifs du transport de la soie vers Marseille et Londres éclate entre les compagnies des Messageries Maritimes, la P& O et la Compagnie Holt. Une lettre du consul français à Shanghai témoigne en juillet 1873: "la compagnie Holt fait concurrence aux Messageries Maritimes et à la P & O". Les coûts de transport de la balle de soie reculent de 40%, de 5 à 3 taels par balle. Holt riposte en passant à 3,5 taels alors "qu'auparavant", MM et P & O prenaient des droits de 11 à 12 taels. En 1876, une autre lettre consulaire confirme que P & O et MM prennent 3 taels par balle tandis que Holt, "compagnie non subventionnée", prend 2,5 taels. De son côté, la CCIL trouve les vapeurs étrangers plus économiques et plus fréquents 1426 .
En 1875, commence à se poser le problème du renouvellement de la concession du service postal de l'Indochine qui, suivant la convention d'avril 1861, avait été concédée pour 24 ans à la compagnie des MM avec possibilité de résiliation au bout de 24 ans. La mise en exploitation ayant été faite en 1864, cette concession arrive donc à échéance en 1876. Les responsables de la CCIL débattent: Alors qu'en avril 1862, Marseille est la tête de ligne d'un service anglais ayant deux arrivages par mois des ports de Chine, il n'entre à l'époque pas plus de 3 ou 4.000 balles de soie par an en France sur les 50 ou 60.000 balles s'exportant annuellement de Hong-Kong, Shanghai et Yokohama vers l'Europe. Or, en 1875, les importations directes de Marseille sont à peu près égales à celles de Londres. On peut par conséquent parler de succès pour le service français mais le prix du fret Shanghai-Lyon est supérieur à celui de Shanghai-Londres: 3 taels 75 pour une balle contre 3 taels, ce qui fait un coût supérieur de 25% que les MM expliquent par le fait qu'elles prennent à leur charge le parcours entre Marseille et Lyon par chemin de fer. Une telle explication ne satisfait pas la CCIL qui remarque en effet que le coût de Shanghai-Londres égale celui de Shanghai-Marseille et que la navigation Marseille-Londres dure dix à douze jours, du coup, comment se fait-il que le coût final de Marseille-Londres soit inférieur au coût de Marseille-Lyon 1427 ? Pareillement, les exportations de Lyon vers l'Extrême-Orient par les MM sont supérieures de 25 à 33% au coût de l'exportation par Londres. La Chambre réclame des connaissements directs jusqu'à Lyon, car ceux-ci sont irréguliers pour l'instant et à titre gracieux alors que la compagnie les assure pour Londres, Zurich, et Milan 1428 . Finalement, une nouvelle convention est tout de même signée en 1875 mais la différence entre "taux du fret" reste de 33% plus élevé pour Lyon que pour Londres. A partir de 1872-1874, les MM dépassent donc certes la Peninsular sur Yokohama, et à partir de 1875 sur Shanghai, mais à cette époque, dans le domaine du transport et des communications, l'Angleterre reste un partenaire obligé. Les "tramps" 1429 assurent 60% du tonnage maritime anglais 1430 et le Lloyd's Act de 1879 réunit les plus puissants assureurs maritimes anglais. En 1871, à cause de problèmes sur les voies postales, la CCIL préfère passer par la Grande Bretagne et cinq ans plus tard, celle-ci se plaint que la place de Londres est toujours avertie en premier. Quant aux ports italiens qui étaient pourtant placés à l'écart des grandes routes maritimes, même après l'ouverture du canal de Suez, ils connaissent un nouvel essor avec le percement du tunnel du Mont Cenis en 1872. Entre 1871 et 1880, Brindisi notamment devient une escale anglaise, ce qui favorise le développement de Milan. Avec l'affirmation des axes de communication d'Europe Centrale, dès les années 1870, la concurrence est vive entre les ports italiens et Marseille. Parce qu'il réceptionne les minerais, les matières premières, dont textiles, et les combustibles nécessaires aux industries de la région du Pô, le port de Gênes connaît un net développement. En 1875, le duc de Galliera lègue 63 millions à ce dernier qui permettent l'agrandissement et l'installation de Magasins Généraux par une société anglaise et des silos pour céréales construits par une société allemande à laquelle le gouvernement italien a accordé une concession de 50 ans 1431 .
Dans le domaine de la logistique également, la crise des années 1880 a de sérieuses répercussions. D'après une correspondance du consul de Shaghai de novembre 1883, la compagnie Freycinet fait une tentative pour pousser jusque Shanghai mais les tensions franco-chinoises à propos du Tonkin provoquent une baisse des affaires, donc du fret, et l'échec de Freycinet après "quelques mois à peine d'essais". L'année suivante, la question du fret est largement débattue à la CCIL. Le marché régulateur est alors Londres où se fixe le taux du fret. Les soies embarquées pour Lyon sont toujours 20% plus chères que pour Londres 1432 . De Calcutta à Lyon les 500 kilo paient 189 francs contre 147 pour Londres et une balle de 50 kilo embarquée à Shanghai pour Lyon paye 4,50 $ mexicains, la même balle de Hong-Kong pour Lyon 6 $, et à partir de Yokohama 7,60. La CCIL veut une harmonisation des droits des MM calqués sur ceux de Shanghai, ce qui ferait 3,75$ pour Hong-Kong, 5$ pour Yokohama et 150 FF les 500 kilo en provenance de Calcutta 1433 . Toujours en 1884, les retards des courriers de l'Extrême-Orient "via America" entraînent une réclamation de M. Morel, "agent de la H.K & Shanghai Banking Corporation", car les courriers pour la Suisse arrivent 36 h plus tôt qu'à Lyon. De ce fait, les traites que les maisons de Bâle et Zurich recouvrent sur Lyon sont souvent présentées à l'acceptation avant que les maisons lyonnaises, de leur côté, n'aient expédié pour acceptation les traites sur la Suisse qui leur sont souvent apportées par la même malle. Pour M. Morel, les retards ne sont pas imputables au départ des ports asiatiques, donc à New York ou à l'arrivée à Queenstown. Les mêmes retards sont constatés pour les malles de l'Indochine "via Suez-Brindisi": "elles arrivent le samedi en Suisse et le lundi à Lyon". Du côté des chemins de fer, la fusion entre PLM et la Compagnie des Dombes fait que les soies et les soieries circulant entre Lyon, Montbrison et Bourg-Bellegarde paient une taxe de 48 centimes par tonne kilométrique, à la différence des Dauphiné, Ain, Savoie, Haute-Savoie et Ardèche où est appliqué le tarif spécial "G.V n°45" qui ne permet de payer que 22 centimes seulement. Logiquement, la CCIL réclame 22 centimes partout. Trois lettres sont envoyées à PLM mais sans aucune sans réponse et l'année suivante, la CCIL se plaint de l'attitude très dure de cette compagnie. En 1886, la CCIL se plaint toujours des problèmes de tarifs avec les MM et PLM, de la lenteur des communications par voie ferrée entre Lyon, Bordeaux et La Rochelle et un conflit avec PLM éclate à nouveau à propos de la distribution tardive des colis de soieries en grande vitesse à Paris 1434 . Dans les années 1880, il apparaît clairement qu'il faut faire désormais un effort d'harmonisation entre tous les tarifs des compagnies de chemin de fer, c'est pourquoi, à partir de 1880, toutes les modifications de tarifs doivent être communiquées par bulletin à toutes les Chambres de Commerce 1435 . Mais cette harmonisation est très difficile, ce qui fait dire à Pariset: "le problème à résoudre (...) est ardu et demande un grand effort de bonne volonté de la part des compagnies". PLM refond par exemple ses tarifs en 1882 mais le conflit avec Lyon reste sérieux jusque 1886, date de l'ouvrage. Trois ans plus tard, du côté des télécommunications cette fois-ci, la CCIL dénonce l'attitude de l'agence lyonnaise de la Société Générale des Téléphones qui refuse de recevoir de nouveaux abonnements. Industriels et commerçants sont mécontents, ce qui provoque l'intervention du Ministre du Commerce. En guise de représailles, en 1891, la CCIL refuse de participer au financement d'une ligne télégraphique supplémentaire entre Lyon et Paris prétextant que la contribution à l 'Exposition de 1889 a vidé les caisses et que la "dépression des affaires" ne le permet pas. En 1888, la CCIL souligne que les MM donnent souvent la priorité à l'embarquement de produits de Londres vers l'Extrême-Orient par rapport aux produits français qui doivent attendre à Marseille, ce qui impose un surcoût et elle obtient de la compagnie une réduction du coût du fret pour Lyon par rapport à Londres 1436 .
C'est dans ce contexte que réapparaît le vieux problème de la liaison entre la côte et Lyon. Depuis les années 1870, les Lyonnais veulent la concurrence de la voie d'eau pour contrer le chemin de fer dont les compagnies fixent les prix comme elles l'entendent. Néanmoins, les voies d'eau sont peu utilisées car le réseau de canaux manque d'homogénéité et les transports sont peu réguliers 1437 . Le chemin de fer l'emporte. En 1878 par exemple, le trafic de la ligne Marseille-Lyon représente 218.600 francs. Seule la ligne de "Ceinture de Paris" fait plus avec 231.800 francs tandis que le prolongement de Lyon à Paris ne produit que 161.000 francs 1438 . Néanmoins, Bouvier, écrit 1439 : "il faut reconnaître que les Lyonnais entrent dans l'ère nouvelle à reculons" (...), car le réseau ferré se fait au profit de Paris, la ligne Lyon-Genève avec son "affluent" Mâcon-Ambérieu mettant en communication directe la capitale et les ports du Nord de la France, avec la Suisse. Ceci explique le mépris lyonnais pour Paris car le rôle d'entrepôt de Lyon était directement menacé 1440 . P. Dockès estime pour sa part que c'est la lutte contre l'influence parisienne qui conduisit à tenter de concurrencer PLM par la voie d'eau et à l'établissement d'un chemin de fer régional, la constitution de la compagnie de chemin de fer des Dombes et du Sud-Est étant selon A. Dufour, un "acte d'émancipation provinciale". Il est vrai qu'en ce qui concerne l'aménagement de l'hinterland méridional, les Lyonnais interviennent depuis longtemps et dans le seul but, au nom de la concurrence et du libre-échange, de défendre leurs seuls intérêts. Par exemple, en 1871 déjà, la Chambre de Lyon lutte contre le projet d'un canal dérivé du Rhône pour l'irrigation du Sud 1441 . Les choix ne sont pas toujours judicieux, loin s'en faut, puisque, autre exemple, quand le canal d'Arles à Bouc, tracé lentement, est ouvert en 1834, celui-ci est déjà obsolète du fait de l'apparition de la navigation à vapeur 1442 . En 1886 des études de la Société de Géographie de Lyon sont réalisées sur la jonction à établir entre voies fluviales et gares riveraines puis présentées au Congrès de Nantes avant d'être transmises à la CCIL. A ce moment-là, port St Louis du Rhône, huit cents habitants, n'a pas encore d'autonomie communale. Cette localité dépend d'Arles. Au cours d'un voyage du Ministre des Travaux Publics, le président de la CCIL, M. Sevene, fait une chaude allocution en faveur de ce port "auquel il a souhaité la fortune de St Nazaire". Il semble également que, St Louis n'étant pas encore relié au réseau PLM, la CCIL souhaite voir se réaliser cette connexion. L'objectif de Port St Louis est alors de concurrencer Marseille 1443 et en 1887 le chemin de fer d'Arles à Port St Louis du Rhône est inauguré 1444 . L'année suivante, le bureau de douane de St Louis du Rhône est ouvert aux opérations de transit international à la grande satisfaction de la CCIL qui préfère ce port à Port de Bouc 1445 . Ce n'est certainement pas comme cela que Marseille, et ce dès 1870, envisageait une politique de coordination entre la voie maritime et la voie fluviale 1446 .
"Depuis le Moyen-Age, le port était tombé en décadence pour trois raisons: manque de liaisons avec l'intérieur, absence de débouchés outre-mer, équipement portuaire médiocre. Ces trois obstacles disparurent avec ces changements: liaisons vers l'intérieur réalisées, canal de Marseille à Arles, de 1802 à 1842, voies ferrées de 1832 à 1849, liaison de l'étang de Berre à la mer par l'étang de Caronte en 1870. Apparition de débouchés nouveaux: (...) Algérie, (...) isthme de Suez (...); conquêtes coloniales de la Troisième République: Tunisie, 1881, Indochine, 1885 (...). Accroissement du port par la création de nouveaux bassins (...) d'Arrenc en 1855, bassin National en 1863, bassin de la Pinède en 1893" 1447 . Selon O. Teissier, l'époque la plus active du port de Marseille est 1865-69. En 1874, le mouvement général de la navigation à Marseille est de 17.076 navires pour 4.981.481 tonneaux contre 20.792 navires et 3.051.931 tonneaux en 1855. Le commerce général du port de Marseille en 1874 est de 1.915 M FF alors qu'il était de 1.132 M FF en 1857, ce qui fait dire à Teissier que "le port de Marseille a suivi de très près la marche progressive du commerce général en France". En 1872 la capacité des docks de La Joliette est devenue insuffisante à cause de l'augmentation du trafic commercial. Dans la seconde moitié du XIX° siècle, l'armement marseillais est divisé en trois groupes: deux grandes sociétés subventionnées, MM et Cie Générale Transatlantique qui sont des SA, formes de sociétés auxquelles les marseillais sont pourtant opposés, des compagnies maritimes solides comme Fraissinet, Fabre, Paquet, Frisch et enfin les négociants-armateurs 1448 . La compagnie Fabre est notamment associée à des banquiers parisiens et se spécialise dans le trafic avec l'Amérique du Sud, ligne sur laquelle elle est la première à utiliser des bateaux frigorifiques. Néanmoins, là encore, l'union entre capitalistes français est loin d'être évidente. C'est en 1878 qu'O. Teissier analyse le mieux la situation de Marseille: "L'immense mouvement commercial de la ville de Marseille n'est (...) desservi que par un seul chemin de fer et il est facile de prévoir que l'encombrement qui est déjà considérable, deviendra bientôt irrémédiable (...)". Une réclamation est déposée pour relier la gare maritime des Docks à la gare de l'Estaque pour soulager St Charles mais "rien n'a été fait" par la PLM. Il faut aussi créer une seconde ligne vers Lyon. Elle est déjà en activité de Lyon au Teil et concédée du Teil à Nîmes depuis juillet 1875, mais le problème, c'est le monopole de PLM. L'auteur compare par rapport à Gênes qui est reliée à la France par le Mt Cenis et à l'Allemagne jusque Munich par le Brenner, bientôt la Suisse et le Nord de l'Allemagne avec le St Gothard, et il réclame la baisse des tarifs de PLM. Pour cela, il prend l'exemple des laines qui arrivent à Marseille et sont consommées à Roubaix mais celles-ci continuent d'emprunter la mer pour s'y rendre et vont, pour une bonne part, s'entreposer à Liverpool d'où elles seront ré-expédiées pour Roubaix pour 30 francs par tonne, "tandis que de Marseille elle coûte 80 francs". Il faut pourtant se garder de dramatiser puisqu'entre 1869 et 1890 le tonnage des navires de ce port passe de 4.480.000 à 8.560.000 tonneaux, le trafic de marchandises de 2.750.000 à 5.000.000 millions de tonnes tandis que celui des passagers bondit de 184.000 à 243.000 personnes.
Est-ce les problèmes d'indépendance régionale qui expliquent le peu d'intérêt de Marseille pour la filière de la soie ? Certainement. Voyant qu'il ne sera pas le siège d'un marché des soies auquel pourtant tout semble le destiner après le percement du canal de Suez, le grand port méditerranéen, se désintéresse de ce secteur. On trouve quelques traces de l'existence d'un "Syndicat du commerce des soies de Marseille", de la présence d'une colonie suisse pour capter le commerce vers l'Allemagne mais finalement très peu de choses concernant le trafic de cette matière première 1449 . En 1895, le Ministère constate 1450 que sur les 8.299.120 tonnes du mouvement du port, 902.000 ne font que passer, soit 11%. La soie grège d'Extrême-Orient "pèse peu": 0,2% du tonnage total en 1874 selon Teissier. Celle-ci ne fait que transiter, mais représente la plus haute valeur du commerce marseillais". Le même auteur rappelle un constat de la CCIM de 1866: "depuis quelques années nous constatons avec regret que notre marché des soies perd de plus en plus de son importance (...). Nous trouvons la cause de ce fait dans la transformation opérée, au point de vue des relations commerciales, par les grandes entreprises et dans la facilité des rapports qui tendent à supprimer le rôle des intermédiaires en mettant le consommateur en face du producteur". Dans le Courrier de Marseille du 14 août 1868, on lit: "l'état actuel des choses ne peut changer que (...) par la formation d'une grande compagnie d'importation des soies (...). Hors de là, il n'y a rien à faire et Marseille devra se résigner à voir transiter purement et simplement par ses docks (...) une marchandise de prix dont elle aurait pu devenir le marché privilégié". Selon O. Teissier, toujours, dans le tableau des recettes des docks et entrepôts de Marseille (1870-1874) les soies n'apparaissent pas.: "Il est regrettable que Marseille, port d'arrivée dans une situation privilégiée (...) n'ait pas, comme marché de vente, l'importance qui lui revient naturellement, et continue à voir simplement traverser son territoire les soies de l'Extrême-Orient (...)". Pour attirer les acheteurs de soie, il suggère de constituer des stocks abondants et surtout d'élaborer un système de ventes aux enchères publiques et périodiques "qui est en voie de succès à Lyon depuis plusieurs années". Il termine en insistant: "Marseille ne participe que pour une faible part au commerce des soies et reste principalement place de transit" 1451 . Ceci explique que rapidement, pour procurer de l'activité à ses entrepôts, Marseille se soit tournée vers les premières colonies. Pierre Guiral, dans son Histoire de Marseille, souligne ainsi 1452 le gros intérêt de ce port pour l'Algérie puisque de 1855 à 1874, les exportations vers cette destination se sont accrues de + 258% tandis que les importations connaissaient une progression de + 308%.
Marseille se sent donc de moins en moins concernée par la filière de la soie et s'oriente entièrement vers le commerce colonial. En 1890, la Condition de Marseille fait un essai de titrage d'un envoi de soie de M. Bourguoin-Meiffre à Hanoi 1453 mais, du propre aveu de Paul Masson, faute de fret assuré, "les relations avec la Chine ne peuvent prendre aucun développement et restent bornées à quelques voyages exceptionnels" 1454 . Le transit de la soie se fait la plupart du temps directement, sans passage par l'entrepôt. En 1895, dans le tableau des taxes "les plus intéressantes", la soie n'apparaît donc pas 1455 et entre 1889 et 1895 les arrivages de marchandises asiatiques à Marseille mesurées en tonnage représentent en moyenne 11,25% du total. Avec 14.908 tonnes, les importations marseillaises de soie de 1903, se situent loin derrière le blé avec 591.267 tonnes, les graines oléagineuses, 494.440, la laine, 125.879 1456 , le café, 29.984 ou les peaux brutes, 18.027. En 1902, un rapport de la Société pour la défense du commerce et de l'industrie proclame: "Marseille sera coloniale ou ne sera pas du point de vue de l'exportation lointaine" 1457 . L'Indochine attire les investisseurs marseillais. La Société Marseillaise de Crédit par exemple est intéressée dans la Société des Docks et houillères de Tourane et un armateur, Henri Estier, est au conseil d'administration de la Compagnie lyonnaise indochinoise, en Annam. La culture du thé progresse grâce au marseillais Lombard dont la Compagnie des thés de l'Annam, vend 150.000 kilo de marchandise en France. Le délégué à la Mission lyonnaise de 1895, M. Grosjean, retourne fonder une fabrique d'albumine à Hankéou. Quatre grandes rizeries à Marseille exploitent le riz de Cochinchine 1458 . Le port phocéen accueille de plus en plus d'industries coloniales dont celles des corps gras, huileries, savonneries et fabriques de bougies 1459 . Cependant, même Masson s'étonne de "l'absence à peu près complète des industries textiles (... )", ce qui lui fait écrire: "Marseille n'est plus comme autrefois, un très grand marché de textile, sauf pour les soies qui prennent le chemin de Lyon". Malgré ces efforts, l'Indochine intéresse elle aussi finalement peu Marseille 1460 et Masson écrit: "l'Afrique, Madagascar, suffisent à absorber tous les efforts des négociants et armateurs de la cité phocéenne (...)". Entre 1872, 1880 et 1889, le fret de Marseille pour l'Indochine s'affaisse de 335 millions de francs à 171 puis 86 pour finir à 80 millions en 1895 1461 . Opportunistes et adaptables, favorables au colonialisme mais pacifiques, fidèles au libre-échange, "les milieux d'affaires marseillais semblent avoir eu de bout en bout un modèle: l'Angleterre" parce que celui-ci correspond à leur esprit libre-échangiste 1462 . Entre 1847 et 1856, Marseille, Bordeaux et Le Havre, représentaient 50% du trafic colonial mais entre 1884 et 1896, ils en assurent les trois quarts 1463 . Le trafic dans le bassin National qui était de 505.000 tonnes en 1882, passe à 749.000 en 1883 puis, l'ouverture de quais libres favorisant la concurrence, à 900.000 tonnes en 1884-89. Celui-ci perfectionne son outillage, se dote de voies ferrées et de nouveaux hangars, et en 1896, il atteint les 1.284.000 tonnes. En un quart de siècle 1464 , les tonnages moyens respectifs des navires à vapeur à Marseille, du cabotage et pour le commerce extérieur passent de 344 à 785 tonneaux, de 312 à 431 et de 733 à 1.027 tonneaux. Seule ombre au tableau, la part du pavillon français recule. Elle est de 56,4% en 1895 contre 62,25%vingt ans plus tôt. Idem pour la navigation à vapeur dont la part recule de 76% en 1875 à 58,8% en 1895 1465 .
Du côté de Port St Louis et de l'hinterland, "la Chambre de Commerce de Lyon ne cesse d'entourer de sa sollicitude le Port St Louis du Rhône qu'elle considère comme pouvant rendre d'importants services à la région lyonnaise" 1466 . La CCIL appuie même la demande de celui-ci de devenir commune afin de ne plus dépendre d'Arles ou de Fos et le 13 octobre 1896, le projet de canal Marseille - Rhône voit le jour 1467 . Le canal de Bouc à Martigues n'ouvre en effet l'accès de l'étang de Berre qu'aux navires de moins de 80 mètres de long et ne dessert aucun commerce ni industrie: il est inutile 1468 . Le canal St Louis implique la création du port St Louis permettant de transborder d'un navire à un bateau du Rhône mais rien de plus. En définitive, St Louis détourne de Marseille un transit de 200.000 tonnes par an. A la fin du siècle, Marseille est donc toujours isolée du Rhône et de l'étang de Berre et ne dispose que d'un seul chemin de fer. La marine et les ports français souffrent de la comparaison technique 1469 . De ses études avec les autres ports européens, l'auteur constate le manque de liaison de Marseille, pourtant aussi bien équipé que ses concurrents, avec son hinterland. Il constate également le recul du trafic de Marseille depuis 1891 et le développement de Gênes: alors que Marseille était le troisième port mondial après Londres et Liverpool en 1832 1470 , en 1895, il n'est plus que le 14e, derrière Londres, Constantinople, Liverpool, le canal de Suez, Hong-Kong (7e) et Hambourg (10e) 1471 . Doit-on imputer ce recul à la concurrence du Gothard 1472 ? Il semblerait plutôt que ce soient les coûts de transbordement qui aient détourné le trafic vers l'Italie. En 1880 par exemple, pour un vapeur de 2.000 tonneaux arrivant à plein chargement, les dépenses sont de 1.968 FF à Gênes contre 3.026 à Marseille et "plus récemment" 1473 , pour les mêmes données, il en coûte 6.720 FF à Marseille contre 4.280 à Gênes 1474 . Se rendant compte des lacunes logistiques de leur filière, les Lyonnais multiplient les études. A lui seul, Isaac rend douze rapports, dont deux, en février 1900 et décembre 1906, respectivement sur un projet de rachat des grandes compagnies de chemin de fer pour le premier et sur le rachat de la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest pour le second 1475 . Fin XIX°, début XX° siècle, beaucoup de rapports de la CCIL concernent les chemins de fer 1476 et les questions maritimes, respectivement par Lyonnet et par Morel. Paul Masson, lui aussi, prêche à Marseille l'union sacrée avec son hinterland lorsqu'il écrit: "une vraie fédération régionale devrait se former" impliquant la réalisation d'un réseau de voies navigables, l'alliance et le soutien des chemins de fer, le développement d'une vaste zone industrielle autour de l'étang de Berre. Dans le domaine des communications, les choses n'ont pas plus avancé. En 1893, le courrier de New York transporté par bateaux français arrive toujours avec 24 h de retard sur du courrier de même provenance transporté par bateaux anglais via Londres. Trois ans plus tard, il existe bien un projet de ligne téléphonique Lyon-Milan mais la CCIL ne veut pas en prendre en charge une partie et en 1899, on note juste une demande d'augmenter la capacité des lignes téléphoniques vers Marseille et Paris. Enfin, côté transport marititme, bien que le 9 mai 1895, les contrats de la Cie des MM soient révisés, les compagnies étrangères restent les plus attractives entre la France et l'Extrême-Orient. La Mission lyonnaise en Chine rapporte par exemple que les communications de Hong-Kong avec l'Europe sont certes assurées par six lignes régulières, dont les MM et la P & O, tous les quatorze jours, mais que la Nippon Yushen Kaisha, les Shire Line, Ben Line et Glen Line, toutes anglaises, plus de nombreuses compagnies allemandes, desservent sans problème Marseille et l'Angleterre. Quant à la Compagnie Nationale créée en 1881 pour assurer le commerce avec les Indes, elle est dissoute dès 1905 1477 tandis que dans une lettre de la P & O du 8 juillet 1910, il est rappelé la dure concurrence à laquelle continuent de se livrer les ports de Gênes et d'Anvers 1478 .
Braudel et Labrousse, Histoire (...) France, tome III, PUF 1993, p.329: concentration du commerce français sur un espace géographique limitrophe, cabotage et peu de modernisation. Dans ces conditions, navigation étrangère du pays de provenance avantagée.
CCIL 1871 et CCIL, 1872-73.
CCIL 1874.
CCIL 1875.
CCIL 1875.
Bâtiments navigant de port en port et prenant en charge tout fret qui se présente. Système souple bien adapté aux besoins lyonnais.
G. Lefranc, Histoire du Commerce, p.98.
Paul Masson, 1904, pp.319-334, qui estime cependant que cet outil reste bien inférieur à celui de Marseille.
CCIL / CRT 1884 pour tout ce qui concerne les questions de logistique en 1884 dans cette partie. Dix ans auparavant, la CCIL se plaignait déjà des délais trop longs par petite vitesse et réclamait une vitesse moyenne comme en Angleterre, qui coûterait moins cher que la grande mais obligerait les compagnies à transporter à une vitesse de 250 à 300 KM par jour (CRT 1874). En 1888 encore, pour la CCIL, la différence de coût entre Shanghai-Lyon et Shanghai-Londres tient dans la rupture de charge et, surtout, le coût des MM.
J.L Miège, p.146: "l'alimentation" des compagnies maritimes, c'est la pénétration commerciale, l'installation politique et l'essor des affaires. Elles déterminent les taux de fret à leur convenance, touchent des subventions et fixent cahiers des charges avantageux (donne l'exemple des MM). p.147: 'l'action de ces différentes compagnies appelle de nombreuses études".
"depuis plusieurs années"; CCIL 1886. Selon le célèbre Livret Chaix, l'ABC des chemins de fer, p.29: la "grande vitesse" concerne les envois jusqu'à 40 kilo qui doivent s'acquitter de 50 centimes par tonne et par km. Au-dessus de 40 kilo, on passe à 40 centimes. En ce qui concerne la "petite vitesse", chaque marchandise paie suivant sa nature. Le classement se fait en quatre ou six séries pour l'intérieur ou deux pour l'étranger. Les cahiers des charges sont établis entre les transporteurs et leurs clients. Les marchandises qui ne pèsent pas 200 kilo au m3 paient suivant le cubage, il existe des possibilités de "taxes différentielles" pour abaisser les prix sur les longues distances et favoriser le commerce avec l'étranger. Ainsi, un projet de surtaxe de PLM sur les cocons pesant moins de 200 kilo au m3 est retiré.
Pariset, 1886.
- 50% de la différence entre les deux. A ce moment, les MM assurent le transport vers, et à partir de, Lyon grâce à un service régulier deux fois par mois "Shanghai - Marseille".
CCIL 1874, p.104 Par ailleurs, la CCIL cite comme exemple les réseaux de canaux de Belgique, des Etats-Unis et d'Angleterre.
Teissier, p.203.
J. Bouvier, Naissance d'une banque: le Crédit Lyonnais, Flammarion, 1968, 382 p, p.16.
De nombreuses protestations sont en effet émises contre les tarifs préférentiels pratiqués par la compagnie des chemins de fer à partir de 1857.
Pariset, 1886
Ministère des Travaux Publics, Les ports maritimes de la France, Marseille, Tome VII
Paris, 1895, 592 p, p.472.
Ce que confirme Pariset en 1886, page 173 et suivantes.
"le port méditerranéen le plus rapproché de l'intérieur" (par rapport à Marseille et Cette) selon la CCIL. CCIL / CRT 1887.
Celle-ci est même favorable à l'approfondissement du chenal du premier port.
CCIMP, 1949, p.32.
Lesourd et Gérard, Nouvelle histoire économique, Tome I: le XIX°siècle, A. Colin, Coll. U, 1976, 325 p.
M. Barak, RHMC, juillet-septembre 1982.
Entre 1883 et 1887, Louis Poncet, fabricant d'étoffes de soie, 20 rue Dumont à la Croix Rousse, Lyon, projette d'y établir un atelier de tissage, plus une "école commerciale et industrielle de tissage".
p.364
respectivement p. 200 et p.137. En 1861, les marchands marseillais avaient vendu jusqu'à 5.377 balles. En 1878, ils n'en vendaient plus que 3.488.
page 264
CCIMP Sériciculture et industrie de la soie,1876-1909.
Ce qui provoque le pessimisme du secrétaire de la Chambre de Commerce, Berteaut.
Ministère, p.361. Ce qui est paradoxal car statistiquement, elle appartient à la catégorie des "marchandises riches", comme le café et le tabac, c'est-à-dire celles dont la valeur est bien supérieure au commerce du blé par exemple. Si le classement était fait par la valeur, la soie arriverait en premier.
Balles pour la laine. Paul Masson, 1906.
cité par M. Barak, dans RHMC 1982.
En 1903, celui de Saigon représente 27.403 tonnes sur un total de 43.246 tonnes. Marseille importe du riz de Cochinchine qu'elle réexpédie ensuite vers le Sénégal. Paul Masson, 1906, pp.481-499 pour cette partie sur les investissements marseillais en Indochine.
A propos des industries de savons et de bougies: "c'est une heureuse chance pour ces deux industries de pouvoir compter sur le marché colonial". Paul Masson.
Les maisons Bonade, Allatini, Debeaux ont une certaine importance mais les plus grosses entreprises en Indochine restent les maisons allemandes.
Ministère des Travaux Publics, 1895, p.215.
P. Guiral, "Quelques notes sur la politique des milieux d'affaires marseillais (1815-1870)" in La Provence historique 1957, pp.155-174.
J.L Miège, p.145.
Respectivement entre 1866 et 1895 pour le premier et 1879 et 1895 pour les deux autres.
Pour cette partie sur l'évolution chiffrée de Marseille, Ministère des Travaux Publics, Les ports maritimes de la France, Marseille, Tome VII, Paris, 1895, 592 p.
CRT 1894
En fait, ce projet existe depuis 1877.
Ministère, 1895.
En 1892, 45% du tonnage français se compose encore de voiliers; Braudel et Labrousse, Histoire (...) France, tome III, PUF 1993, p.330.
Hambourg n'étant alors 7em, Gênes 8em et Anvers 20em.
Canton est alors 39e avec 1.816.300 tonneaux.
Sur ce sujet, Paul Masson se contredit (Ports francs d'autrefois et d'aujourd'hui, Hachette 1904, 470 p, p.327). Dans un premier temps en effet, le percement de ce tunnel fut selon lui un rude coup pour Marseille car "il a grandement favorisé les relations entre l'Allemagne, la Belgique, la Suisse et l'Italie". Ouvert au trafic marchandise en 1883, 455.000 tonnes y transitent la même année contre 1 million en 1901. Mais, en fait, toujours selon Masson, tout cela n'est qu'apparence car "de 1898 à 1901, le Gothard n'a reçu de Gênes que 198.000 tonnes en moyenne annuelle et ne lui a donné que 14.500 tonnes (...) en fait Milan et sa région sont les principaux clients du Gothard". Le tonnage expédié de Gênes au delà des Alpes par cette voie n'atteindrait en effet que 7,2% du mouvement total du port en 1896, 4,8 en 1897 et 9% en 1901. Par contre, la ligne du Simplon est plus cruciale car elle aboutit dans une région de Suisse dans laquelle Marseille a une influence prépondérante. Tout cela mérite quelques études complémentaires.
Paul Masson,Ports francs d'autrefois et d'aujourd'hui.
Les coûts de transport d'une tonne de charbon de Newcastle à Marseille qui étaient de 24 francs en 1865 ne sont plus que de 7 à 8 francs en 1895 tandis qu'une tonne de Bombay à Marseille qui revenait à 122 à 130 en 1856, ne coûte plus que 20 à 25 francs; Ministère des Travaux Publics, 1895.
Fonds Condition des Soies, CCIL
Par exemple, en 1895, "Révision des contrats de la Compagnie des MM", pour le projet du canal reliant Marseille au Rhône, travail de Coignet.
Compagnie Nationale créée pour effectuer le commerce des Indes anglaises, néerlandaises et Philippines. Celle-ci avait concentré son activité sur le Tonkin et ses cinq grands bâtiments totalisaient 24.000 tonneaux; Masson, 1906, p.520.
Car les douanes françaises veulent que figure désormais sur les balles de soie la provenance alors qu'auparavant il était indiqué la destination ("Marseille option Lyon, Milan, Zurich"). Remarques: cette lettre reprend mot pour mot une missive des MM; ces deux lettres ont été recopiées par la CCIM pour le Ministère.