6. Conclusion

Comme ce survol historique a pu le montrer, l'utilisation des opiacés est née avec les premières civilisations humaines. Son utilisation thérapeutique contre toutes sortes de maux a toutefois été rapidement controversée. Principalement utilisé comme médicament par le monde médical, ce n'est qu'au début du XIXe siècle que des auteurs britanniques feront de l'opium un usage créatif et euphorisant, y trouvant un moyen d'accès au monde de l'imaginaire. Dès lors, l'image de l'artiste vivant en marge de la société va s'associer à celle de l'usager d'opium recherchant jouissance et évasion.

Cette opiophagie de la première moitié du XIXe siècle est un phénomène relativement restreint et il faudra attendre les années 1860 pour voir se développer dans le monde occidental une véritable épidémie de morphinomanie causée principalement par la prescription abusive de ce produit. Confrontés à une catégorie de patients peu commune, les médecins vont tenter d'expliquer leurs troubles en les ramenant à la manifestation d'un état de dégénérescence hérité ou acquis qui fait en outre courir le risque à la nation d'appauvrir la race humaine par le biais de la transmission de tares à la descendance.

On assiste dès lors à ce que J.-J. Yvorel74 nomme une véritable disqualification étiologique des morphinomanes. Sous l'égide de la théorie de la dégénérescence, de même que d'autres maladies de l'époque, la toxicomanie va être stigmatisée au point d'être qualifiée de fléau social, ce qui fera le lit de sa future pénalisation, laquelle sera adoptée par la France en 1916.

Le portrait négatif de l'intoxiqué passionnel oisif et improductif conjugué à celui de la morphinée perverse ou hystérique reflètent les tentatives du corps médical pour imposer des normes en matière de comportement social et ce dans le cadre de la formidable promotion politique qui s'offre à eux grâce à la création d'organismes d'hygiène publique faisant d'eux des experts de la santé publique dès la seconde moitié du XIXe siècle.

Les conséquences historiques de la politique répressive en matière de drogue sont nombreuses : diminution globale importante de la consommation d'opiacés, apparition d'un trafic illégal, perte de qualité du produit, corruption de la police et surtout création d'une nouvelle catégorie de toxicomanes délinquants et développement d'une sous-culture.

Un tel choix politique a amené le marché de la drogue à se retrancher vers des lieux où les contrôles légaux sont moins soutenus, ce qui était le cas des ghettos des grandes villes américaines, où dès les années 50 la toxicomanie se répand parmi les classes pauvres de la population. Relevons toutefois que, parmi les milieux délinquants, l'usage de drogues était déjà répandu avant la criminalisation de leurs usages et que celle-ci a surtout accentué ces pratiques dans ces milieux.

Ainsi le cadre juridique qui a fait basculer en 1916 (pour la France) la toxicomanie dans la délinquance offrira aux jeunes de la fin des années 60 un ensemble de pratiques illégales dont ils vont se saisir pour exprimer leur révolte et leur opposition face à une société de consommation traversant une crise au niveau de ses valeurs.

Notes
74.

J.-J Yvorel, 1992, op. cit.